Il n’y aura pas de décroissance à l’échelle de la planète
C’est un moulin à vent contre lequel nous dépensons une énergie inutile. Tous les habitants de la France et de la Belgique peuvent disparaître de la surface de la terre ou décider de voler en avion toute l’année, cela ne fera aucune différence si des pays comme l’Inde, le Nigeria, et la Chine, ne suivent pas le chemin de la décroissance.
- Publié le 03-06-2023 à 00h38
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Une opinion de Mikael Petitjean, Professeur à l’UCLouvain et Chief Economist (Waterloo Asset Management)
Le prix du baril de pétrole aux États-Unis a chuté de 40 % en un an. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le consommateur et d’une mauvaise nouvelle sur le front de notre combat contre la saturation de l’atmosphère en CO2. C’est le même constat pour le gaz que nous avons préféré importer de Russie alors que nous pouvions continuer à produire de l’énergie nucléaire locale et propre, dont nous maîtrisions la technologie. C’est le résultat d’une posture à la Don Quichotte qui, rappelez-vous, s’était attaqué à des géants maléfiques imaginaires pour finir renversé par la force du vent qui avait fait tourner sa lance prise dans la pale d’un moulin. Nos Don Quichotte modernes brandissent désormais leur lance contre la croissance, la technologie, et le grand capital. Leur quête d’absolu est vouée à l’échec.
Il n’y aura pas de décroissance à l’échelle de la planète. C’est un moulin à vent contre lequel nous dépensons une énergie inutile. Tous les habitants de la France et de la Belgique peuvent disparaître de la surface de la terre ou décider de voler en avion toute l’année, cela ne fera aucune différence si des pays comme l’Inde, le Nigeria, et la Chine, ne suivent pas le chemin de la décroissance. Hormis notre moralisme néocolonial, quel exemple à suivre pourrait-on d’ailleurs leur offrir ? Quel est le pays dont la décroissance durable de l’économie s’est accompagnée d’un plus grand bien-être matériel, d’une meilleure éducation et de soins de santé plus performants ? Il existe en revanche de nombreux pays qui réussissent actuellement le découplage entre leur croissance et leurs émissions de CO2. Fait notable, ils ne font pas partie des pays pauvres ou en décroissance.
La décroissance sectorielle, quant à elle, est permanente. Il suffit de penser à la sidérurgie et à l’industrie du charbon, qui ont tragiquement retrouvé un second souffle l’année dernière grâce aux thuriféraires du mouvement antinucléaire. Les transformations de l’économie sont intrinsèques et elles proviennent le plus souvent de l’innovation technologique.
Positionner une économie sur la frontière technologique, c’est effectivement lui permettre de réaliser des gains d’efficience et de se transformer plus rapidement que les autres. C’est la manière la plus réaliste d’entrer dans une croissance durable, plus efficiente, plus sobre, plus verte. Lorsqu’une économie gagne en efficience sur le plan technique, elle peut produire la même quantité avec moins de ressources. Ce concept d’efficience, sans laquelle la sobriété est impossible, avait été très bien expliqué par Adam Smith en 1776. Il fut le premier à expliquer en détail l’importance de la division du travail et des gains d’efficience dont dépendent la richesse d’une nation et donc son niveau de bien-être. Contrairement à ce que la doxa décliniste affirme, richesse et bien-être sont indissociables : les habitants des pays pauvres ne sont pas plus heureux que ceux des pays riches.
L’innovation technologique, source de gains d’efficience sur le plan technique, est une condition nécessaire à une transition énergétique réussie. Elle n’en reste pas moins insuffisante. Elle doit s’accompagner de comportements plus sobres que nous ne parviendrons pas à promouvoir de manière durable en prenant des mesures coercitives propres aux climatocraties déclinistes. Il s’agit plutôt de renforcer l’éducation civique que nous offrons à la population, en la rendant notamment plus soucieuse de la biodiversité et du bien-être animal.
Comme le proposait Arthur Pigou en 1920 déjà, il s’agit également d’internaliser les coûts liés aux externalités négatives provenant de la pollution par des taxes et des réglementations appliquées, dans le contexte actuel, à la plus grande échelle géographique possible. Le rôle joué par la diplomatie internationale sera déterminant sur ce plan. Une des pistes consiste à taxer le pétrole davantage qu’il ne l’est actuellement. En tenant compte de son rapport au PIB réel aux États-Unis depuis l’après-guerre, le prix du baril du pétrole WTI devrait se situer dans une fourchette comprise entre 100 et 145 dollars à l’heure actuelle. Un prix du pétrole plus élevé favorise l’innovation et le développement de modes alternatifs de production plus respectueux de l’environnement.
La bonne nouvelle est que le prix de la tonne de carbone sur le marché européen des permis de pollution négociables a dépassé le seuil des 100 dollars pour la première fois cette année. Ce seuil avait été considéré comme critique dans le rapport Stern de 2006, par le FMI, ou dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte votée en France. Le problème est que plus de 3/4 des émissions dans le monde ne sont actuellement pas tarifées. Là encore, les négociations diplomatiques devraient peser davantage.
Cette transition énergétique va exiger des investissements significatifs que les pouvoirs publics, hormis en Allemagne sans doute, ne sont pas capables de réaliser à eux seuls. Instaurer une taxation sur le patrimoine financier pour boucher les trous qui ont été creusés depuis 50 ans, est un autre moulin à vent contre lequel nous dépensons une énergie inutile. Qu’on le vénère ou le haïsse, le “grand capital” est mobile et il va falloir l’attirer plutôt que le repousser, notamment pour développer des partenariats public – privé plus efficaces.
Il ne s’agit aucunement d’annoncer des lendemains qui chantent ou qui déchantent. “Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible” écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Nous le rendrons possible en mobilisant les outils dont l’Histoire a démontré la pertinence. C’est le temps des choix difficiles, pas celui des utopies.
Titre de la rédaction. Titre original : "Réussir la transition énergétique sans Don Quichotte"