”Grande dis” à l’étudiant qui doit garder son job étudiant en blocus

Parce qu’en période de blocus, les inégalités entre les étudiants sont exacerbées. La réussite d’un examen dépend sans doute davantage du contexte d’étude plus ou moins privilégié que de réelles capacités intellectuelles. De quoi questionner nos systèmes actuels de notation.

”Grande dis” à l’étudiant qui doit garder son job étudiant en blocus

Une opinion d’Aurélia Gervasoni, étudiante en BAC3 droit à l’USLB, tutrice et accompagnante d’étudiants en BAC1.

”Ce n’est qu’une session d’examens !” : combien de fois martelée, cette phrase, aux oreilles des étudiants en période de blocus. Si la plupart vivent cette contrainte sans plus de drames, il en est d’autres qui appréhendent le blocus comme une sentence. Aujourd’hui, je pense à eux – bafoués par une méritocratie qui ne veut plus dire son nom mais qui exige sur les CV “au moins une distinction”. Dans un système scolaire aux méthodes d’évaluation contestées, que représentent encore les résultats ? Au quotidien, des étudiants travaillent : certains pour leurs cours, d’autres pour supporter leurs besoins. Tous les jours, des élèves viennent écouter leurs professeurs : certains avec facilité malgré un réveil trop matinal, d’autres en ayant bravé dépression et anxiété avant de poser un pied dans le bâtiment.

Difficultés de concentration, environnement toxique, solitude, troubles du comportement alimentaire…

En blocus, les inégalités sont exacerbées : difficultés de concentration, environnement toxique, solitude, troubles du comportement alimentaire. La réussite d’un examen ne dépendrait-elle pas davantage du contexte d’étude plus ou moins privilégié que de réelles capacités intellectuelles ? Les tentatives louables des universités de mettre des locaux à disposition n’effaceront jamais les ressentis, les préoccupations bien trop graves de toute une partie des étudiants qui, non, n’arriveront pas à une moyenne de 16. Un résultat à la valeur démesurée qui efface les différences de milieux et de dispositions mentales des étudiants. Aujourd’hui, je pense à eux – parce que leurs difficultés se trouvent souvent éludées par les discours optimistes ou par les articles titrant “comment réussir son blocus en 10 étapes”. Une session d’examens est une période de vulnérabilité au cours de laquelle les inégalités initiales se trouvent renforcées, ce qui n’apparaîtra jamais dans les résultats chiffrés. Si la sélection est certes nécessaire, est-il encore pertinent qu’elle se base systématiquement sur de froides moyennes ? Une réussite au détriment du bien-être n’est qu’une accumulation de douleurs qui ressurgiront plus tard. Changeons de paradigme : les études supérieures sont des possibilités d’élévation infinies, mais pas si elles sont synonymes de système scolaire obsolète et de valorisation du factice.

Une pression infâme sur les épaules d’étudiants issus de milieux “compliqués”

Au cours des mentorats que j’ai pu donner à ces étudiants de BAC1 – issus de milieux “compliqués” ou souffrant de troubles psychiques – ce qui ressortait sans surprise était cette pression infâme qui s’accumulait sur leurs épaules au fil des “si vous ne commencez pas à travailler maintenant, ça n’ira jamais” ou des “ceux qui ont raté tel cours, c’est vraiment que la filière n’est pas faite pour eux !”. Les comparaisons entre étudiants étaient aussi un fléau aux dégâts tangibles. Aux élèves qui n’ont plus confiance, à tous ceux qui ont été bouleversés par de tels propos, n’oubliez pas la seule règle d’or qui vaille à mes yeux en termes de réussite scolaire : la comparaison n’est là que pour vous faire douter de la justesse de votre propre parcours.

Comment repenser nos systèmes d’évaluation chiffrés

À l’heure des remises en question des indicateurs économiques éclipsant les réalités humaines tel que le PIB, ne serait-il pas temps de repenser aussi nos systèmes d’évaluation chiffrés qui ont le même effet d’annihilation ? Certes, sortir d’une méthode de notation est très compliqué, en particulier dans l’enseignement supérieur, mais ne serait-il pas possible de les nuancer à l’aide de méthodes d’évaluation qui ne requièrent pas un sprint épuisant mais plutôt un marathon formateur ? Une piste pourrait être de mettre davantage l’accent sur l’évaluation de travaux et de projets, voire de portfolios ou de dossiers pratiques, ou encore des entretiens individuels réguliers avec les professeurs/assistants du cours.

”Grande dis” à l’étudiant qui doit garder son job étudiant en blocus

Aujourd’hui, je vais étudier et tenter de respecter mon planning. Je croise les doigts pour mes examens. Mais je prends un moment pour songer aux sacrifices, aux obstacles et à tous ceux qui ne jouissent pas de mes privilèges. Valorisons nos étudiants aux parcours atypiques, aux schémas familiaux complexes, ceux qui traversent cette tempête d’examens avec plus ou moins d’aide, ceux qui se sentent seuls, ceux qui ont déjà tout gagné d’avoir fait – un jour de plus – le choix d’exister.

À l’étudiant qui s’est levé pour voir le soleil à sa fenêtre, à l’étudiant qui doit garder son job étudiant en blocus pour gagner sa vie, à l’étudiant qui porte la charge mentale de ses aînés et proches, oui à tous ceux-là et aux autres, je leur accorde ma plus grande distinction.

=>Titre et chapô sont de la rédaction. Titre original : Magna cum laude dolor

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