Il serait irréaliste de mettre en pause la restauration des écosystèmes dégradés

Certes, certaines mesures s’avéreront couteuses. Mais, comme on l’a vu par le passé, une politique communautaire ambitieuse porte ses fruits. Alors que l’Escaut figurait parmi les fleuves les plus pollués du continent dans les années 80, la qualité de ses eaux s’est améliorée du fait que les États riverains ont été obligés d’atteindre un bond écologique des eaux en 2015.

Il serait irréaliste de mettre en pause la restauration des écosystèmes dégradés
Il serait irréaliste de mettre en pause la restauration des écosystèmes dégradés

Une opinion de Nicolas de Sadeleer, professeur ordinaire à l’université Saint-Louis, chaire Jean Monnet

Depuis plusieurs semaines déjà, le débat fait rage. En Belgique, en France et en Suède, des chefs d’État et de gouvernement et des partis politiques réclament une “pause” dans la mise en œuvre de plusieurs mesures en rapport avec la biodiversité du Pacte vert pour l’Europe, au motif que son volet “énergie – climat” impose suffisamment de sacrifices aux entreprises (élargissement du marché CO2, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, augmentation de la part des énergies renouvelables). Des raisons électorales – notamment le ras-le-bol du monde rural néerlandais et flamand à l’égard des mesures limitant l’épandage de l’azote – expliquent le malaise que le premier ministre Alexander De Croo éprouve à l’égard de la proposition de règlement sur la restauration de la nature. Responsable de la mise en œuvre du Pacte, la Commission européenne rechigne à retarder la mise en œuvre du volet “biodiversité”. Par ailleurs, des eurodéputés, des ONG. et des scientifiques condamnent un appel au ralentissement du zèle réglementaire.

Tout est lié

Porteuse de croissance économique, la politique “énergie – climat” doit-elle dominer les politiques environnementales, telles que la lutte contre la pollution de l’eau et de l’air, la conservation des sols et la biodiversité ? Faut-il l’isoler en occultant ses rapports avec les autres facettes de la crise écologique ? Deux exemples illustrent l’interdépendance des politiques sectorielles protégeant l’environnement. Tout d’abord, les relations entre la lutte contre le changement climatique, la mère de toutes les batailles environnementales, et la conservation de la biodiversité sont à double sens. D’un côté, les événements climatiques extrêmes (inondations, sécheresses et vagues de chaleur) ainsi que les enchaînements de rétroaction fragilisent des écosystèmes “à bout de souffle” alors que de l’autre, la restauration d’écosystèmes dégradés peut contribuer, à un moindre coût, au succès des politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. En effet, les tourbières, les zones humides et les forêts primaires constituent des puits à carbone. Il en va de même des sols qui constituent un gigantesque réservoir de carbone (275 milliards de tonnes de CO2) et dont la capacité à remplir cette fonction diminue. Le cercle est vicieux : l’agriculture intensive (compactage et érosion des sols, épuisement de leurs substances nutritives) réduit la capacité des terres cultivées à absorber le CO2, ce qui a pour effet d’exacerber le changement climatique, lequel fragilise à son tour les sols. Aussi, si les précipitations se font plus intenses à l’avenir, le risque d’érosion des terres cultivées augmentera.

Il faut en faire davantage

L’enchevêtrement de ces problématiques rend indispensable l’adoption par le Parlement européen et le Conseil de l’Union de la proposition de règlement relatif à la restauration de la nature, qui exige la restauration pour les écosystèmes terrestres, d’eau douce, côtiers et marins d’au moins 30 % de la superficie des habitats référencés (d’ici 2030) et de 90 % de l’ensemble des écosystèmes dégradés (d’ici 2050). On le sait, étant donné que le recours aux nouvelles technologies ne permettra pas d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, il en faudra davantage. Aussi les mesures de restauration envisagées par l’UE, telles que la protection d’un minimum de 30 % des terres et des mers, la conversion de terres cultivées en prairies, la restauration des zones humides, ainsi qu’une exploitation plus extensive des forêts permettront-elles de piéger des quantités importantes de carbone. De même, la restauration des cours d’eau, le verdissement des milieux urbains et la restauration des populations de pollinisateurs devraient accroître la qualité de vie. Une action rapide se justifie en raison de la dégradation continue des différents écosystèmes. Selon l’Agence européenne de l’environnement, malgré les régimes de protection, l’état de conservation des habitats du réseau Natura 2000 est largement défavorable. La situation empire en dehors des zones protégées. Si rien n’est entrepris au niveau de l’UE, certains écosystèmes pourraient être dégradés de manière irréversible ou ne pourraient être réhabilités qu’au prix d’investissements extrêmement coûteux.

Certaines régions peuplées et industrialisées d’Europe, la Flandre et la Rhur, devront sans doute investir davantage dans la restauration de leurs écosystèmes dégradés que des régions moins développées. Ceci n’a rien de surprenant du fait que les pressions anthropiques exercées sur les écoystèmes varient en fonction de disparités géographiques, écologiques et socio-économiques. Alors que dans les pays d’Europe du sud, les stocks de carbone organique présents dans les sols sont menacés par la désertification, l’érosion et les feux de forêt, dans les grandes régions agricoles du nord de l’Europe, les sols perdent le carbone qu’ils renferment en raison du labour des terres arables, de l’utilisation d’engrais minéraux, du drainage et d’une faible rotation des cultures. Ainsi aucune région d’Europe ne sera épargnée par les efforts à fournir en termes de restauration des sols. Certes, certaines mesures s’avéreront couteuses. En Flandre, 30 % des 53 900 has des tourbières qui ont été drainées devront être restaurées d’ici 2030. Mais, comme on l’a vu par le passé, une politique communautaire ambitieuse porte ses fruits. Alors que l’Escaut figurait parmi les fleuves les plus pollués du continent dans les années 80, la qualité de ses eaux s’est améliorée du fait que les États riverains, fort industrialisés, ont été obligés d’atteindre un bon écologique des eaux en 2015.

D’aucuns ont mis en exergue que le règlement épargnera les régions moins industrialisées. Si les écosystèmes forestiers et agricoles des pays d’Europe centrale ont été jusqu’à présent épargnés des processus d’intensification de l’agriculture et de la sylviculture, il n’en demeure pas moins que plusieurs de ces pays sont à la traîne par rapport au volet “énergie-climat” du Pacte vert. En raison la part du charbon dans son mix énergétique, la Pologne doit consentir proportionnellement davantage d’investissements dans la transition énergétique que la Belgique. On ne saurait pourtant oublier que l’intégration européenne repose sur la solidarité entre ses 27 États membres, tous exposés au franchissement de différents points de bascule écologiques.

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