La tendresse des aînés
Lorsqu’ils se promènent tendrement enchaînés par leurs mains, ces “vieux” ont ce que les jeunes n’ont pas, pas encore, une richesse à nulle autre pareille : le temps
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- Publié le 17-07-2023 à 09h32
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Une chronique de Francis Van de Woestyne, journaliste
Dès qu’ils sortent dans la rue, leurs mains, leurs doigts se cherchent. Se touchent et se croisent dans un mouvement spontané, automatique que le temps a fini par définir pour eux. Certains se tiennent à peine par une phalange. Mais ils ne se lâchent pas. D’autres accordent leurs paumes rugueuses. La plupart de ces couples qu’un lien invisible semble avoir unis à jamais ont des cheveux gris ou blancs. La chevelure des femmes est parfois colorée. Les crânes des hommes sont parfois totalement lisses ou garnis de quelques cheveux qui s’accrochent vaillamment. Je suis toujours infiniment troublé, ému quand je croise ces couples d’âge mûr qui se tiennent par la main. Ou qui, dans un geste mécanique, se tiennent bras dessus, bras dessous. On ne dit plus que ce sont des vieux. Parce que depuis que Charles De Gaule a dit que “la vieillesse était un naufrage”, ce terme a pris des allures de déchéance, de faiblesse, de lenteur. Alors que l’âge a apporté, avec les rides, la sagesse, la tolérance, la nuance. Et lorsqu’ils se promènent ainsi tendrement enchaînés par leurs mains, ces “vieux” ont ce que les jeunes n’ont pas, pas encore, une richesse à nulle autre pareille : le temps. Puisqu’il faut aujourd’hui éviter toute stigmatisation, préférons le terme “aîné”. D’ailleurs on peut être aîné, très jeune. Il suffit d’être le premier né d’une famille.
Après les feux de l’amour…
Cette tendresse des aînés est l’un des plus beaux sentiments car il s’est installé dans la durée. Après les feux de l’amour et de la passion, c’est cette tendresse qui leur a permis de vivre ou survivre. Quoi qu’il arrive. Depuis quand se tiennent-ils ainsi la main dès qu’ils franchissent le seuil de leur maison ou de leur appartement ? Dans une rue, sur un chemin de terre, sur la digue ou même dans les allées des magasins ? On dirait depuis toujours. Ils et elles ne conçoivent pas de marcher l’un à côté de l’autre sans se tenir. Se tenir, quel joli mot. Ils se tiennent et tiennent l’un à l’autre. L’un tombe, l’autre aussi. Mais ils restent debout, les yeux tournés vers l’horizon de leur promenade ou le couchant de leur vie. Leur corps, leur cœur, leur âme semblent avoir besoin de cette tendresse des mains ou des bras. Ils avancent à pas comptés, comme ils l’ont fait dans la vie, à chaque saison de leur vie. Il y a dans ses mains unies toute une vie, faite, on l’imagine d’autant de bonheurs que de malheurs. Parce que des vies lisses, cela n’existe pas. Ou presque pas. Mais ils ont tenu bon, traversant les orages de la vie. Peut-être, d’ailleurs, n’ont-ils pas vécu toute leur vie ensemble ? Peut-être sont-ils l’un et l’autre, l’une et l’autre, veufs, divorcés, remariés ou pacsés ? Peu importe. Mais ils ont un âge où la tendresse est le sentiment le plus beau, le plus fort, le plus permanent. Il a prolongé l’amour des débuts. Il a remplacé une passion éteinte. Tout est dans le geste, le regard : la tendresse peut être plus forte que l’amour, souvent possessif, privatif, exclusif. La tendresse est plus généreuse, attentive, partagée, pleine de promesses.
Librement soudés l’un à l’autre
Se tiennent-ils aussi la main aussi quand ils regardent la télévision, quand ils s’allongent dans leur lit ? Sans doute vivent-ils parfois quelques disputes, des différends pour les broutilles du quotidien, ces horribles habitudes qui peuvent tuer un couple à petit feu. Mais eux, ces aînés semblent “librement soudés” l’un à l’autre. C’est peut-être une question d’équilibre. C’est surtout une question de désir partagé, celui de continuer à cheminer ensemble vers un avenir qui s’amenuise. Sanglés l’un à l’autre comme dans une cordée, ils montrent que la tendresse, la sérénité, la paix sont la douceur des jours heureux. Grand mère gâteaux, papy gâteux ? Ils ont eu toute leur vie pour construire ensemble une famille qui est là, à présent, pour les soutenir. Les rôles se sont inversés. Ce sont les enfants et les petits enfants qui, maintenant, veillent sur leurs parents et grands parents. Le pire d’ailleurs est l’abandon des aînés, voire leur maltraitance. Révoltant. En attendant que vieillesse nous blesse, laissons notre regard se poser sur ceux qui nous donnent une leçon de vie, de courage, de simplicité et de tendresse. Chapeau bas, les aînés unis