"Quand l’homme a peur de la nature, il la détruit. Quand il la connaît, il la respecte"
Tanguy Dumortier présente le “Jardin extraordinaire” depuis 2014. L’émission, créée en octobre 1965, connaît toujours un énorme succès. Sa passion : émerveiller les gens grâce au spectacle de la nature. Ici et ailleurs.
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- Publié le 23-07-2023 à 08h12
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Les dates de sa vie
06-05-1980 : naissance à côté de la forêt de Soignes
06-03-2013 : naissance de sa première fille Louanne, le plus beau jour de ma vie
23-06-2014 : naissance de sa deuxième fille Alizée, l’autre plus beau jour de ma vie
07-09-2014 : son premier “Jardin Extraordinaire”. Les présentatrices précédentes le diraient aussi : “c’est comme un mariage”
13-10-2023 : sortie de son premier long métrage “L’affût aux loups”
Un travail ? Une passion
Virginal, petit village du Brabant wallon, dans l’entité d’Ittre. Une petite rue en pente. Deux maisons jumelles se tiennent. À droite, c’est sa maison. À gauche, son bureau. Tanguy Dumortier m’a prévenu. “Je rentre d’un reportage en Islande, mon bureau sera en désordre…” Au sol, sur le bureau, sur les chaises, une multitude d’appareils photos, de caméras, d’instruments attestent du métier du propriétaire des lieux : globe-trotter, journaliste, photographe animalier. Et, depuis 2014, présentateur du “Jardin extraordinaire”. C’est la plus vieille émission – avec le JT – de la RTBF. Consacré à la nature et à l’environnement, le programme a été créé le 3 octobre 1965. Son titre vient de la chanson éponyme de Charles Trenet. “Le Jardin extraordinaire” a résisté à toutes les vagues : plus de 2000 émissions ont déjà été diffusées. Après Claudine Brasseur, c’est Tanguy Dumortier qui a repris le flambeau de cette émission très populaire. Fidèle a son concept (faire découvrir la faune et la flore d’ici et d’ailleurs), il a entrepris une révolution payante, en réalisant, avec sa petite équipe, des reportages aux quatre coins de la planète alors qu’avant le “Jardin” diffusait beaucoup de reportages réalisés à l’extérieur. Himalaya, Tchad, Islande, Inde, Congo… Rien ne l’arrête. Mais son obsession est aussi de pousser les gens à découvrir leur nature, celle d’ici, que nous côtoyons sans toujours la connaître. Deux concepts le guident : la connaissance et l’émerveillement. L’un déclenche l’autre. Le confinement a accentué cette tendance. Pendant cette période, les gens ont appris à découvrir leur jardin. Une communauté s’est rapidement constituée, dépassant les 60 000 personnes qui ont envoyé au “Jardin” des milliers de phots et vidéos réalisées dans leur cour, jardin ou en forêt. Ainsi est né “Notre jardin extraordinaire” (Ed. Kennes), un livre magnifique qui raconte les expériences des téléspectateurs. Tanguy Dumortier s’intéresse à la nature mais surtout aux femmes et aux hommes qui veulent la protéger. Il a sa vision qui le distingue, en quelques points, des écolos et des marcheurs pour le climat. Ils ont, dit-il, des manques abyssaux dans leurs connaissances : “Qui, dans ces groupes peut encore distinguer un pigeon d’une tourterelle ?…”. Pudique, Tanguy Dumortier préfère parler de ce qu’il fait plutôt que d’évoquer qui il est. Le sourire toujours en bandoulière, il n’a, confie-t-il, jamais le sentiment de travailler. Juste celui de suivre sa passion : filmer les animaux pour leur rendre justice. Suivez le guide.
"Quand l’homme a peur de la nature, il la casse et la détruit. Quand il la connaît, il la respecte”
Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Une famille simple. Classique. Mon père s’est spécialisé dans l’informatique. Ma maman a arrêté de travailler quand elle a eu des enfants. J’ai deux frères. Je suis au milieu. Nous vivions à Watermael-Boitsfort, dans le quartier du Coin du Balai, près de la forêt. Rétrospectivement, je me dis que j’avais la chance… de ne pas avoir de jardin. Nous n’avions qu’une petite cour de quatre mètres sur cinq. Cela nous obligeait à sortir. J’ai dû faire mes premiers pas dans la forêt. Nous construisions des cabanes, regardions passer les chevreuils. Nous étions fascinés par les bûcherons qui coupaient les arbres : nous rêvions tous d’être bûcheron… C’est le premier endroit où j’ai pu sortir seul quand j’avais dix ans. C’était mon premier terrain d’aventure, de solitude, de choix : fallait-il prendre le chemin à gauche ou à droite ? Aujourd’hui encore, ses sensations sont ancrées en moi. L’odeur d’une forêt de hêtres comme la forêt de Soignes, je la reconnais entre mille autres.
Quel enfant étiez-vous ? Un peu chiant, je crois. En recherche de ce qui m’épanouissait. Mes frères sont plus simples. Moi, je cours beaucoup. À la recherche de sensations.
Votre scolarité ? Plus ou moins normale. Souvent honorable dernier. Mais sans rater.
Vous avez quand même réussi un master en littérature romane, à l’UCL…
C’était très intéressant, bien sûr. Mais je pense que c’était un détour. J’aurais préféré des études plus terre à terre. L’agronomie par exemple. Mais il y a des agronomes qui travaillent dans un bureau. Moi, j’étais obsédé par l’idée d’être dehors. J’ai travaillé à la fin de mes études. Puis j’ai choisi de compléter ma formation par des études de journalisme à l’UCL. Une belle expérience. Il y avait une très belle émulation entre les étudiants.
Il y a des journalistes qui restent dans leur bureau… Au début, en effet, je me suis fait “piéger” puisque j’ai travaillé à l’intérieur alors que mon obsession était d’être, de vivre, de travailler dehors. C’était physiquement dur. J’aime être confronté aux éléments. Je déteste les journées où je n’ai pas vu le temps qu’il faisait dehors. J’aime être dans le vent, la pluie.
Vous avez ensuite déposé un projet de reportage en vue d’obtenir la bourse René Payot. Le thème : “le son du silence”…
Le silence m’intéresse beaucoup : c’est très poreux, tout dépend de ce qu’il y a avant ou après. Être en silence avec une personne que l’on n’aime pas, cela peut faire mal. Le silence est dur aussi quand on est seul sans l’avoir souhaité. En revanche, être en silence avec une personne que l’on aime, c’est agréable. Pour réaliser ce reportage sur “Le son du silence”, j’ai rencontré des musiciens aussi bien que des gens qui manifestaient en silence… Les mères de mai qui marchent sans bruit pour protester contre la disparition d’un proche ne doivent pas parler. Leur silence est plus fort que la parole. J’ai obtenu cette bourse et j’ai pu travailler à radio France et radio Canada. Et puis à la RTBF où j’ai travaillé au journal des régions.
Les gens ont commencé à connaître votre tête quand vous avez présenté le “12 minutes”, le JT du soir, avec Ophélie Fontana et Eric Boever. Un résumé de l’info, avec de l’humour, un ton un peu décalé…
Il avait une certaine ambiance, une confraternité, un style. J’ai tenu cinq ans. C’était génial, j’ai appris à écrire super vite. J’ai aimé ce rôle de transmetteur : ce sont les sujets qui ont de l’intérêt, pas le ou la journaliste qui le présente.
Cap ensuite sur le Rwanda pour rejoindre votre compagne institutrice… J’avais été au bout de la logique. Je voulais sortir. Depuis quelques années, j’avais déjà commencé à tourner du documentaire animalier. J’ai eu une chance inouïe en termes de technologies. Avant, il fallait un matériel lourd : il s’est simplifié, démocratisé, allégé. Le petit héritage de ma grand-mère, quatre mille euros, m’a permis d’acheter une bonne caméra. Je suis parti vivre au Rwanda, au cœur d’une région fantastique. J’ai réalisé des reportages sur les grands parcs nationaux d’Afrique centrale. Je me suis retrouvé dans des situations de guerre, là où les grands médias (la BBC, National Geographic) n’allaient quasiment jamais car ils ont des contraintes, en termes d’assurance notamment, très exigeantes. Moi j’y suis allé avec mon sac et ma petite caméra. J’habitais à côté, à deux heures de route. J’y ai vécu des aventures hors du commun. J’ai été engagé par la Commission européenne pour filmer des parcs nationaux au Tchad, au Congo Brazzaville. Je réalisais les montages et les sonorisations moi-même. J’en ai vendu à National Geographic : certains ont été diffusés dans plus de cent pays, notamment ceux sur le parc national des Virunga. J’ai fait aussi un cycle d’Exploration du monde avec mon confrère et ami Philippe Lamaire.
Qu’est ce qui vous plaît dans le cinéma animalier ?
Pour les grands films du cinéma animalier, il faut du temps, des caméras très complexes. C’est presque du sport. Je ne peux pas rivaliser avec ce genre de films. Ces équipes inventent des machines pour suivre les dauphins… Moi, je veux raconter la nature mais aussi l’histoire des hommes et des femmes qui protègent cette nature, qui la vivent. Filmer les animaux sauvages, c’est vraiment ma passion, tâcher de prévoir leur comportement imprévisible, admirer leur caractère indomptable, leur résistance, leur liberté. Placer ma caméra au bon endroit pour parvenir à les filmer est un jeu rempli de sens à mes yeux pour rendre justice à ces créatures vivantes qui me fascinent depuis très longtemps.
Une opportunité s’est présentée : la présentation du Jardin extraordinaire s’est libérée…
Je travaillais déjà pour le Jardin : il m’arrivait de réaliser des reportages pour Claudine Brasseur. Quand on me l’a proposé, j’étais au Tchad. Un moment, j’ai craint à nouveau de m’enfermer Mais là encore, je suis arrivé au bon moment. “Le Jardin extraordinaire” ne produisait presque pas de contenu, mais diffusait beaucoup d’émissions réalisées par d’autres. J’ai proposé de fabriquer notre propre contenu. C’est une de mes fiertés. Nous louons toujours des reportages mais nous en fabriquons aussi beaucoup.
”L’amour de la nature transcende les classes sociales”
Votre souci est de faire découvrir des paysages lointains et leurs habitants mais aussi de pousser les gens à voir la nature qui nous est proche, source d’émerveillement.
C’est le plus beau compliment ! Récemment, un homme m’a dit : “Vous parlez des mésanges comme vous parlez des éléphants”. Cette démarche était d’ailleurs à l’origine du “Jardin extraordinaire”.
Le confinement vous a permis d’accentuer cette proximité…
Je rentrais d’un reportage en Himalaya, coté indien, sur la panthère des neiges, quand le confinement a été déclaré. Je me suis retrouvé à la maison, à scruter mon jardin. Je me suis demandé : que font ceux qui n’ont pas de jardin ? Beaucoup de gens m’appelaient spontanément pour me faire part de leur découverte : “j’ai vu un hérisson, je ne savais même pas qu’il y en avait, c’est incroyable…” En fait, un certain nombre de personnes n’avaient pas passé de temps dans leur jardin depuis bien longtemps. Ce ne sont pas les jardins qui ont changé avec le confinement : la seule différence est que les gens ont ouvert les yeux. Ce projet mûrissait depuis longtemps : nous avions envie d’intégrer les spectateurs dans l’émission. Le moment était idéal. Nous avons lancé ce mouvement qui a eu un succès considérable. Sur le plan humain, surtout. L’émerveillement a été pour beaucoup le déclenchement de la recherche et de la connaissance. Donc beaucoup ont décidé de planter des fleurs, des arbres, d’en prendre soin pour attirer les animaux. Avec la connaissance naît l’émerveillement.
Les gens ne se sont pas contentés de vous envoyer des photos et des films mais aussi des histoires de leurs prises de vues…
Nous avons reçu plus de 10 000 témoignages, accompagnées de photos et vidéos. Nous en avons rassemblé beaucoup dans ce livre “Notre jardin extraordinaire” (Ed. Kennes), parce que pendant le confinement, l’émission a changé de nom : ce n’était plus “Le” Jardin extraordinaire mais “Notre”. Aujourd’hui, il y a en groupe Facebook “Notre jardin extraordinaire” qui a une vie propre avec plus de 60 000 participants qui s’échangent du contenu, qui débattent, se rencontrent. C’est fascinant. Chaque semaine, nous récupérons une photo qui est publiée dans “Paris Match”. Outre le livre, nous avons aussi organisé des expositions avec les photos du groupe. Les audiences de l’émission pendant le confinement ont dépassé 550 000 téléspectateurs. Un record. C’est le rôle du “Jardin extraordinaire” : ce n’est pas d’être pointu mais d’être grand public. L’amour de la nature transcende les classes sociales.
Une histoire particulière vous a-t-elle touché ?
Beaucoup d’histoires m’ont beaucoup touché. En particulier celles et ceux qui n’avaient qu’un tout petit jardin. Une dame, habitant Uccle, pose tous les jours 3 noix et un écureuil vient les déguster, quasiment dans sa main. Un lien se crée. Fascinant. À l’époque, le contraste était saisissant : nous étions enfermés alors que les animaux étaient plus libres que jamais. Ils se baladaient en ville…
Le confinement a été douloureux pour certaines personnes… Mais le confinement a aussi permis aux gens de retrouver un lien avec la nature, d’écouter, de voir, d’observer, d’aimer. Et une prise de conscience s’est opérée : cela ne sert à rien de préserver des ours polaires si l’on massacre des animaux chez nous. Tout est lié. Toutes les pièces se tiennent dans cette pyramide. La nature est fascinante partout. Nos audiences montrent que les téléspectateurs apprécient particulièrement ce qui est local : cela les touche. Notre pays est quadrillé d’ornithologues. La semaine dernière, quand j’étais en Islande, j’ai reçu plusieurs sms m’annonçant la présence de vautours à Mont-Saint-Guibert.
Deux stars se retrouvent dans beaucoup de photos : le martin-pêcheur et l’écureuil.
Depuis que l’on a assaini les cours d’eau, le martin-pêcheur va beaucoup mieux. Avant, il était quasiment menacé. Il y a parfois des martins-pêcheurs aux étangs de Woluwé. Certaines statistiques belges sont d’ailleurs positives : il y a beaucoup plus d’arbres qu’il y a cent ans, chez nous. En Wallonie, la forêt s’étend sur une surface qui est environ 1,5 fois plus grande qu’au début du vingtième siècle. Ces 100 dernières années, on ne peut donc pas parler de déforestation en Belgique, mais il faut continuer à se battre, pas seulement pour la quantité mais aussi pour la qualité des forêts. En plus, planter des arbres c’est un des vrais bonheurs de la vie.
D’autres pensent qu’il faut laisser la forêt en paix…
Si la forêt est moins coupée aujourd’hui qu’au début du 20ème siècle, ce n’est pas un miracle, c’est surtout parce que nous n’avons plus besoin d’autant de bois pour construire, chauffer nos maisons ou cuisiner car nous avons bénéficié du pétrole. C’est paradoxal, mais cette énergie fossile a été un accélérateur de développement et dans certains cas de protection de la nature. L’exemple de la chasse à la baleine est aussi fascinant. Avant leur graisse était transformée en huile qui faisait fonctionner tous les lampadaires d’Europe. On les aurait sans doute tuées jusqu’à la dernière, mais le pétrole est arrivé. Pareil aujourd’hui : la hausse des énergies renouvelables comme les panneaux solaires ou les éoliennes ne serait pas possible sans prendre appui sur les énergies fossiles. Je sens que je vais me faire lyncher par les plus écolos… Mais il serait idiot de nier que les énergies fossiles ont favorisé le développement de nos sociétés. A nous maintenant de les utiliser comme tremplin pour un futur meilleur. De la même manière, je pense dans de petits pays comme chez nous, nous sommes entrés dans l’air de la gestion de la nature. Par exemple, dans nos régions, la forêt, qui est très dynamique, a naturellement tendance à coloniser tous les milieux
"La protection de la nature ne devrait pas avoir besoin d’être un courant politique"
Dans vos reportages, vous devez avoir souvent constaté que la planète souffrait beaucoup, que l’homme l’avait beaucoup abîmée, épuisée…
Presque partout sur la planète, l’homme a pris de plus en plus de place, souvent au détriment de la nature. Mais l’image peut être trompeuse… Connaissez-vous le pays où la nature est la plus dégradée depuis 1000 ans ? C’est probablement l’Islande. Ces grandes étendues étaient auparavant couvertes de forêts : elles s’étendaient sur 30 % de la surface du pays. Les habitants ont tout rasé. Maintenant, c’est un désert. Ils commencent seulement à replanter. Il est clair que la planète se dégrade et que l’homme en est le principal responsable. Mais il faut quand même noter une prise de conscience quasi générale qui donne des signes positifs.
N’est-il pas trop tard ?
Cela n’est pas ma spécialité. Je fais confiance aux scientifiques. Moi, je peux vous parler de ce que je vois. Donc, il y a des signes positifs. Les faucons pèlerins sont une espèce parapluie. S’il est présent, il y en a d’autres. Il y a 25 ans, il fallait faire 300 kilomètres pour avoir peut-être la chance d’en découvrir un en Allemagne. Aujourd’hui, il y a une douzaine de couples dans Bruxelles parce que l’on a, notamment, interdit le DDT qui fragilisait les coquilles de leurs œufs. Nous sommes les gestionnaires de la nature. Pour le meilleur et pour le pire. L’homme est un animal extrêmement fort et faible. Nous sommes capables de tout détruire. Nous avons tenté à une époque, d’éradiquer les renards, par peur de la rage. Échec ! Pourquoi ? Parce qu’ils étaient plus rusés que nous. Chaque fois que l’homme tirait un renard, l’animal était parmi les moins expérimentée, celle qui faisait moins de jeunes. Il était immédiatement remplacé par un renard plus rusé, qui faisait plus de jeunes. Après, on a décidé de les vacciner plutôt que les tuer. C’est évidemment beaucoup mieux.
L’homme est intelligent mais faible physiquement…
Au niveau physique, par exemple : une fourmi se balade avec le poids correspondant à celui d’une voiture au bout de sa patte… Physiquement, nous sommes nuls mais nous avons un cerveau capable de créer et de détruire. Il faudrait changer de logiciel et faire de nous des créatures à protéger la nature.
Placez-vous l’homme au-dessus des autres espèces… ?
Pas au-dessus, non “au service de la nature”. Comme un ministre : il est le serviteur des gens. La protection de la nature ne devrait pas avoir besoin d’être un courant politique, cela devrait être une évidence pour tous les courants politiques.
Les marches pour le climat montrent que les jeunes et pas seulement eux, sont mobilisés…
Oui la prise de conscience a lieu. Mais il y a des parties qui manquent. Aujourd’hui les jeunes militent pour le climat. C’est très bien. Mais il y a des trous abyssaus dans leurs connaissances de l’environnement. Combien de personnes, dans une manifestation pour le climat, savent distinguer un pigeon d’une tourterelle ? Qui, va se promener dans les bois, sait où nichent la buse et la chouette du coin ?
Sans doute, mais la lutte contre le réchauffement climatique n’est-elle pas plus importante que les connaissances de la nature ?
La lutte est évidemment importante. Nous sommes bien d’accord. Mais imaginons que le problème soit résolu dans quinze ou vingt ans. Que fait-on ensuite ? On recommence comme avant ? En plus de la militance, aura-t-on repris le contact avec la nature ? La connaîtra-t-on mieux ? Qu’est-ce qui nous inquiète : notre sort ou celui des autres espèces ? Avons-nous réellement assez de cœur et d’esprit pour penser à nous-mêmes comme une pièce de la nature qui a besoin des autres ?
”Il est toujours mieux de balayer l’horizon de droite à gauche que de gauche à droite…”
Dans votre livre richement illustré, “Notre jardin extraordinaire”, vous parsemez les récits et les photos de vos conseils personnels dans des pages intitulées “Les conseils de Tanguy”. Est-ce votre manière de pousser les gens à se rapprocher physiquement de la nature ?
En effet, prendre soin de la nature cela peut être gratuit et simple. Tout le monde peut commencer quand il le souhaite. Pour observer la nature, il suffit de sortir et d’ouvrir les yeux. Fabriquer un nichoir, une mangeoire, un abreuvoir… tout le monde peut le faire. Il y a des petits trucs simples d’observateur que j’aime transmettre.
Exemples ?
Prenez des jumelles pour observer le paysage. J’ai appris cela d’un guide Massaï. Il est toujours mieux de balayer l’horizon de droite à gauche que de gauche à droite… Essayez. Quand on utilise le sens de lecture, de gauche à droite, on va vite et le regard ne s’arrête pas assez. Dans le sens inverse, on observe mieux. Je conseille aussi, par exemple, d’installer des “drink station”, des points d’eau, dans son jardin ou sur sa terrasse parce qu’en toutes saisons, les oiseaux ont besoin d’eau pour boire mais aussi pour lisser et entretenir leur plumage…
Votre victoire, ce ne sont pas les audiences mais les vocations que le Jardin extraordinaire suscite…
À tous les âges ! Sur le site, une dame, Rachel, qui doit avoir plus de 80 ans, a commencé à faire des photos : splendides ! Elle est devenue une passionnée. Un gamin m’a confié qu’il avait commencé à étudier la biologie en regardant nos émissions. Un autre s’est intéressé à l’océanographie : à Liège, nous avons une excellente faculté dans ce domaine. Voilà le vrai rôle du Jardin extraordinaire : le partage de la connaissance. Quand j’avais dix ans, j’arrivais seul dans la forêt tout en me disant : qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ne pas aller jouer au foot avec mes amis ou jouer avec une console ? Mais non. Je me posais et j’observais. C’est la base pour connaître et aimer. Quand l’homme a peur de la nature, il la casse et la détruit. Quand il la connaît, il la respecte.
Comment se préparent vos reportages ?
Chaque émission autoproduite se prépare six mois, voire un an à l’avance. Nous disposons d’une toute petite équipe. Nous partons à deux ou trois, pas plus. Pour l’instant, je prépare un reportage sur les loups pour Arte en coproduction avec différentes télévisions européennes et américaines. Nos émissions recueillent un certain succès : notre reportage “Nos nichoirs extraordinaires” a reçu a reçu le prix de l’innovation technologique au Festival de Deauville.
Vous présidez aussi, depuis 2016, le Festival internation du film nature de Namur…
Il a été créé par Philippe Taminiaux et Philippe Blérot. Ils voulaient créer une émulation entre cinéastes amateurs. À l’époque, les réseaux sociaux n’étaient pas aussi développés. Ils voulaient partager les expériences, inciter des gens non professionnels à filmer et à partager leur création. Nous avons le même slogan : “La nature est un spectacle”. On s’est fait pendre par les certains écologistes avec ce slogan. Mais voilà, nous ne sommes pas des scientifiques, juste des saltimbanques. Notre rôle est d’émerveiller grâce au spectacle de la nature. Ici ou au loin, tout est spectaculaire dans la nature.
”Nous allons mourir un jour, c’est donc que nous sommes en vie.
Quel cadeau !”
Comment vous ressourcez-vous ?
Je cherche encore… Les voyages, la nature, les animaux sont mes passions. L’image reste une bataille. Cela n’est pas facile.
En qui, en quoi croyez-vous ?
Bonne question… Je ne passe pas beaucoup de temps à penser à cela. Je crois en la vie, tout simplement.
Pensez-vous souvent à la mort ?
Tout le temps, parce que je la vois tout le temps. Dans la nature, tout est vie et tout ramène à la mort. C’est une vérité simple et absolue : tout ce qui est vivant meurt un jour. Si on commence par la fin, c’est angoissant : tout meurt. Alors j’essaye de penser dans l’autre sens : nous allons mourir un jour, c’est donc que nous sommes en vie. Quel cadeau !
Qu’y a-t-il après la mort ? Je n’en sais rien. D’autres vies, peut-être.
Qu’est-ce qui vous a construit ? Les autres.
Êtes-vous un homme heureux ? Très heureux. Pas tous les jours, pas tout le temps. J’essaye de ne pas tomber dans cette exigence du bonheur. Mais je n’ai jamais l’impression de travailler. Mon travail, c’est ma passion. Et inversement. Il paraît que c’est dur de travailler. Moi je ne l’expérimente pas. Jamais. Je dois juste essayer de filmer des animaux. C’est un jeu, une philosophie, une poésie, parfois un art et même une politique. Fondamentalement, je suis un homme heureux et très chanceux. J’essaye de partager ces moments-là.
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Du côté de chez Proust
Quelle est votre vertu préférée ? La justice.
La qualité que vous préférez chez un homme ? La gestion de la liberté.
Chez une femme ? La même.
Votre principal défaut ? J’en ai beaucoup… La lenteur.
Votre principale qualité ? La détermination.
Votre rêve de bonheur ? Continuer de vivre comme je vis.
Quel serait votre plus grand malheur ? La guerre.
Votre auteur préféré ? Jack London.
Votre compositeur préféré ? Mozart.
Votre héros préféré dans la fiction ? Don Quichotte.
Qu’est-ce que vous détestez par-dessus tout ? L’injustice.
Quel est le don que vous auriez aimé avoir ? Je ne crois pas au don. Je crois au travail. Je voudrais prendre le temps d’apprendre à chanter.
Comment aimeriez-vous mourir ? Je paraphrase Brassens. “Comme je suis en train de le faire : pour des idées, mais de mort lente”.
Quelle est la faute, chez les autres, qui vous inspire le plus d’indulgence ? La lenteur.
Avez-vous une devise ou une phrase qui vous inspire ? Tout est possible.