Alia Cardyn : “Avant de devenir écrivaine, j’ai raté ma vie…”
Alia Cardyn, autrice belge, a connu la gloire avec “Mademoiselle Papillon” (plus de 50 000 exemplaires). Elle confie ses doutes et ses certitudes, notamment sur l’éducation et la scolarité. Deux maîtres mots dictent sa pensée et son écriture : égalité et liberté.
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- Publié le 20-08-2023 à 08h01
- Mis à jour le 20-08-2023 à 09h47
Résilience, pudeur.
Braine-le-Comte. Une petite rue, la vraie campagne. La maison n’est pas ancienne mais son escalier en colimaçon lui donne un certain charme. L’accueil des enfants est sage et franc. Au premier étage, un petit feu de bois est allumé dans la cuisine. C’est l’automne en août. Au moins, le jardin n’a pas besoin d’arrosage. La pelouse est d’un vert vif. Un robot lui donne des airs de green anglais. Tout est ordre, calme, sérénité. Alia Cardyn, la maîtresse de maison – elle aime les rituels et son personnage favori est Violet Crawley, la comtesse douairière de Grantham dans “Downton Abbey” – est légèrement tendue lorsque l’entretien débute… Elle semble marcher sur des œufs. Un mélange de timidité et de force. Beaucoup de pudeur, aussi. Elle se lance : “J’ai d’abord raté ma vie” en devenant… une brillante avocate dans de prestigieux cabinets. La formule est étudiée mais j’imagine qu’elle fait mouche chaque fois qu’elle l’utilise. Beaucoup de jeunes aimeraient rater leur vie en débutant ainsi… N’empêche : à 28 ans, elle sent qu’elle se trompe de voie. Elle commence à écrire des livres sur le développement personnel jusqu’à ce que son mari lui lance ce défi : “écris un roman”. Elle rédige Une vie à t’attendre (Ed. Charleston). Elle envoie son deuxième ouvrage à huit maisons d’édition. Bingo : toutes l’acceptent. Robert Laffont l’emporte : Mademoiselle Papillon se vendra à plus de 50 000 exemplaires. Peu nombreux sont les auteurs belges qui affichent un tel résultat. Les romans suivants connaîtront aussi le succès. Une recette ? Des êtres fragiles, en quête de liberté, de résilience. Alia Cardyn aime distiller dans ses textes des principes bien arrêtés sur ses thèmes de prédilection. L’école arrive en tête. Elle rêve d’une école démocratique où l’on apprend à apprendre. Il faut, dit-elle, bannir les cotes et les devoirs, sources d’inégalités. Elle assure que l’élève doit être l’égal du professeur : les deux ont à apprendre de la rencontre de l’écoute mutuelle. Voici donc une personnalité qui, derrière son sourire, cache un caractère bien trempé. Comme Violet Crawley…

Dans quelle famille avez-vous grandi ?
À la campagne, dans une ferme au milieu des champs, à Hoves. Mes deux parents sont médecins de formation. Mon père est généraliste. Ma mère a changé d’orientation : elle faisait du dressage et des concours d’équitation. Deux intellectuels qui avaient à cœur d’aller vers l’excellence dans leur passion. Ma mère a été championne de Belgique d’équitation et figurait dans les classements mondiaux. Ils avaient chacun leur rêve et cette capacité d’aller au bout de ces rêves. J’ai un frère et mon père a eu une fille avec sa deuxième femme, qui avait déjà deux filles dont je suis proche.
Quel enfant étiez-vous ?
Il y avait une forme de paradoxe. J’étais très sage à la maison, bon élève. J’étais aussi sauvage : j’avais beaucoup de liberté. J’ai vécu pieds nus dans la nature, nageant dans l’étang. J’avais, comme mes parents, une grande capacité à rêver : c’est l’énergie qui m’a portée. Si le présent ne convient pas, il y aura un futur qui me comblera.
Vos héros et héroïnes connaissent des destins de résilience. Un hasard ?
J’adore cette question… Je suis convaincue que l’on ne peut raconter que soi-même dans les livres. De mille façons, chacun de mes romans est une légende ou une forme de comte de ce que j’ai vécu. Mes personnages existent en dehors de moi, je les façonne selon mes valeurs, ma personnalité, mes principes. La destruction d’un être et sa reconstruction me fascinent.
Vous avez quitté le domicile familial très jeune…
J’ai commencé à vivre seule à l’âge de 15 ans dans l’appartement de mes grands-parents. Ils voyageaient beaucoup. J’ai été très vite autonome. Cette expérience de vie fut hors du commun. On n’est pas toujours si libre, si jeune. Cela m’a permis de découvrir une palette d’émotions que j’ai pu, après, offrir à mes personnages. Dès cet instant, le savoir et les livres ont pris une place énorme dans ma vie. J’ai toujours eu besoin de me “remplir de connaissances” pour m’ancrer, m’enraciner, mais aussi m’équilibrer. Et garder une forme de sécurité. J’ai fait des études de droit et, en parallèle, de sciences politiques. Et j’ai complété ma formation par un master en droit européen et un autre en Droits de l’Homme.
Vous avez donc entamé une carrière d’avocate…
J’ai d’abord raté ma vie… Je voulais travailler dans une association active dans le secteur des droits de l’homme. Sans succès. En revanche, j’ai été très vite engagée dans de grands cabinets. D’abord chez Philippe Malherbe, un homme doté d’une personnalité et d’une intelligence hors du commun. Nous travaillions sur des dossiers fantastiques. Mais un soir, je devais avoir 28 ans, je me suis retrouvée en larmes.
Pourquoi ?
Parce que jusque-là, j’avais raté ma vie. J’étais “à côté de la plaque”. Je n’avais pas assez écouté mon cœur, ma voix intérieure. Moi qui adore les êtres humains, je passais ma vie dans les dossiers. Hypersensible, j’étais toute la journée dans les conflits. Je n’étais pas là où je devais être.
Cela dit, vous n’avez pas tout de suite changé d’orientation…
Je suis passée par d’autres cabinets prestigieux, notamment chez Allen&Overy et Linklaters. J’ai présenté des conférences dans différents pays. J’ai développé des méthodes de développement personnel, j’ai été promue dans une fonction de leadership et de business coach au niveau européen puis international. Je travaillais enfin sur le relationnel et l’humain. Mais je ne pensais pas encore à écrire parce que je ne m’estimais pas qualifiée. Je me sentais trop “première de classe” et pas assez “artiste”… Je me croyais trop rigide pour écrire. Puis j’ai rencontré mon mari…
Est-ce lui qui vous a poussé à écrire ?
À la naissance de ma première fille, j’ai commencé à écrire des livres de développement personnel. J’ai pris goût à l’écriture. Mon mari m’a poussé à écrire mon premier roman. Il m’a proposé de consacrer quelques mois à l’écriture : Une vie à t’attendre. Lors d’une séance de dédicaces d’un de mes livres sur le développement personnel, la directrice des ventes des Éditions Charleston m’a dit : “Le jour où vous écrivez un roman, contactez-vous”. Ce que j’ai fait. Ils ont donc accepté mon manuscrit. Et par chance, il sera sélectionné par Club et recevra le prix des lecteurs. Il a été dans le top des ventes pendant plusieurs semaines. Inouï.
Dans vos livres, “Mademoiselle Papillon”, “Archie”, “Le monde que l’on porte”, des thèmes sont récurrents : liberté, égalité, sororité, scolarité… Commençons par la liberté. Vous semblez affirmer, dans plusieurs de vos livres, qu’il est aisé de concrétiser ses rêves, qu’il suffit de le vouloir. Êtes-vous une irréductible optimiste ? Sommes-nous toutes et tous libres de choisir notre vie ?
Je suis en effet un être très optimiste. En même temps, je me sens privilégiée quand on connaît la condition de la femme dans le monde et même ici en Belgique. La liberté n’est pas un cadeau, c’est une évidence. Je me suis toujours sentie assez libre, même dans les moments les plus compliqués. Mes héros choisissent la liberté pour échapper à leur situation. Pour cela, il faut d’abord accepter le point de départ. Trouver son propre pouvoir, c’est le début de la résilience, plus encore que la liberté. C’est alors qu’il faut l’exercer pour reprendre la maîtrise de sa vie. Tous les êtres humains ont besoin de cela, quelles que soient leurs conditions.
Votre succès est venu avec “Mademoiselle Papillon” : plus de 50 000 exemplaires vendus. Il est sélectionné pour le Prix des lycéens… Il est aussi en cours de traduction en hébreu et en serbe. Ce livre est un bel hommage aux infirmières, de 1920 et celles d’aujourd’hui… Pourquoi ce choix ?
J’avais envoyé mon manuscrit à huit maisons d’édition et j’ai reçu huit réponses positives ! J’ai choisi l’équipe de la maison Robert Laffont avec laquelle je me sentais le mieux. La maison acceptait de publier le roman en 2020 alors que l’épidémie du Covid commençait. Nous avions prévu une belle sortie, une tournée des librairies, un truc fabuleux et une semaine avant la sortie, tout a fermé. Tout est tombé à l’eau. Le livre a quand même été publié. On m’avait prévenue : si vous n’êtes pas un gros best-seller, vous n’en vendrez pas beaucoup pendant le confinement.
Mais vous y avez cru…
Je me répétais sans cesse cette phrase : et si c’était exactement cela que je devais vivre ? Je me disais aussi : pour une déception, trois surprises. J’avais inventé cela, juste pour sourire. J’ai avancé pendant des mois en pensant que cela ne marcherait pas et, surprise, il s’est retrouvé en tête des ventes dans plusieurs librairies, même devant les gros best-sellers. Une influenceuse avait fait la pub du roman. Et le stock d’Amazone s’est vidé en un jour.
Mademoiselle Papillon a vraiment existé…
J’étais en vacances avec ma belle famille. Je ne dormais pas beaucoup, ma petite dernière avait des allergies très fortes. Mon beau-père nous a emmenés visiter l’abbaye de Valloires. Je me tenais à l’écart du groupe pour éviter que les voix trop fortes ne réveillent mon bébé. Mais insensiblement, je me suis rapprochée et j’ai entendu la guide raconter l’incroyable histoire de Mademoiselle Papillon. Mon corps s’est redressé, j’ai eu des frissons. C’est devenu une évidence : il fallait que je raconte la vie de cette infirmière qui, au lendemain de la Première guerre mondiale, a transformé cette abbaye en maison d’accueil pour enfants des rues. Elle a ainsi sauvé des milliers d’enfants, dont des juifs, et a été reconnue Juste parmi les Nations.
L’intérêt du roman est le parallèle que vous établissez avec une infirmière d’aujourd’hui qui se bat pour sauver des bébés prématurés…
Ce qui les caractérise toutes les deux, c’est l’audace d’incarner le changement. Elles sont rebelles, elles ont de l’humour, de la force. Mademoiselle Papillon est obsédée par la vue des enfants des rues qui, littéralement, meurent de faim et sont atteints de plusieurs maladies. Gabrielle, l’infirmière d’aujourd’hui, veut modifier la prise en charge des enfants de le centre néonatal dans lequel elle travaille. J’ai inventé ce personnage parce que je ne voulais “noircir” la mémoire de Mademoiselle Papillon. Or, dans les romans, lorsque vous décrivez un personnage trop parfait, cela énerve le lecteur. Il me fallait donc un personnage qui soit plus humain, avec ses qualités et ses défauts. L’idée de parler de la néonatologie m’a été soufflée par une lectrice.
J’imagine que vous avez rencontré beaucoup d’infirmières, il y a des détails techniques très précis sur la prise en charge des prématurés…
J’ai parcouru les services de néonatologie et j’ai été accueillie à bras ouverts. Je me suis installée dans un petit bureau et j’ai dit aux équipes : ceux et celles qui veulent venir partager leurs expériences sont les bienvenus. J’ai eu sept heures d’interviews non-stop. C’était très fort, très émouvant, j’ai beaucoup pleuré. C’est lors de ces entretiens, à l’hôpital Saint-Pierre, que j’ai découvert la technique du NIDCAP (Neonatal Individualized Developemental Care Program) qui révolutionne la prise en charge des prématurés. Il s’agit surtout d’adapter l’environnement aux besoins du prématuré. Ces infirmières sont réellement exceptionnelles.

“Avant d’apprendre les maths et le français, il faut apprendre le bonheur aux enfants”
Et l’histoire d’Archie, deuxième roman à succès, est-elle tirée elle aussi d’un fait réel ou le fruit de votre imagination ?
L’histoire est complètement inventée. J’ai appris, lors de mes entretiens, que ces infirmières devaient également prendre en charge, selon des techniques particulières, des bébés nés de femmes toxicomanes. Quand on parle de toxicomanie, on pense aux drogues plus ou moins dures. Mais il peut s’agir aussi de simples médicaments. Je n’avais pas pensé que les premiers jours d’un être humain pouvaient être vécus dans une telle souffrance : celle du sevrage. Au départ, je trouvais l’histoire très noire. J’ai beaucoup cherché à “éclairer” le roman grâce à cette quête de liberté.
Pourquoi avoir choisi un garçon ?
Je reconnais qu’au départ j’avais peur d’écrire l’histoire d’un garçon. C’est bête, mais voilà. Finalement, c’est le personnage préféré de mes romans, celui dont je me sens le plus proche. Alors que c’est un garçon. J’avais envie de mettre face à face l’emprisonnement total de sa mère, toxicomane, face à la plus grande des libertés que s’offre son fils. Ce besoin de liberté est doublé par la beauté des paysages et son chemin vers une “école démocratique” dans laquelle on peut apprendre ce que l’on veut. J’ai aimé mettre en parallèle l’assuétude de la mère et l’énergie vitale de l’enfant qui choisit sa liberté, même si, au départ, cela n’est pas gagné.
Il part à la recherche d’une “école démocratique”. N’existe-t-elle pas déjà ?
Les vraies écoles démocratiques dont je parle, où chaque élève apprend ce qu’il veut au rythme où il l’entend, où le professeur n’impose pas, mais apprend à apprendre, existent aux États-Unis. Il y en a une à Lille et à Paris. La plus ancienne est en Angleterre. Je ne dis pas que l’école démocratique est meilleure qu’une autre, mais je voulais parler d’école avec un symbole fort. Moi, j’adore apprendre, tout le temps. Comment se connaître mieux pour aller vers son bonheur ? J’écoute aussi plein de podcasts avec des scientifiques américains sur des sujets très techniques. J’adore cela. Tout type d’apprentissage me captive. Au centre de l’école démocratique, le principe central est que tous les enfants ont envie d’apprendre, naturellement. Ils apprennent ce qu’ils ont envie d’apprendre. Dans notre système scolaire, il y a des devoirs, des leçons, des vérifications.
Si c’était la recette magique cela serait plus répandu, non… ?
L’idéal serait d’investir cent fois plus dans l’école en Belgique, qu’on ne le fait aujourd’hui. Cela aurait un impact incroyable sur la santé mentale des jeunes…
Pardon de vous contredire, mais toutes les études sérieuses, celles de l’OCDE notamment, montrent que la Belgique, francophone notamment, dépense beaucoup pour l’école, par rapport aux pays voisins. Pourtant, notre école reste inégalitaire. Ce n’est donc pas une question de moyens…
C’est peut-être chouette, mais ce n’est pas assez… L’école est un sujet très important pour moi. Je vois environ 3 000 jeunes par an lors des ateliers que j’anime. Les classes sont surchargées et il y a des niveaux tellement disparates entre les élèves ! Comment, alors que tout le monde plaide pour la justice sociale, maintient-on des devoirs à la maison alors que l’on sait très bien que l’accompagnement dépend du milieu social, de la disponibilité des parents. Dès lors, l’école accentue les inégalités sociales là où elle pourrait les gommer. Le but de l’école est de donner les mêmes chances à tout le monde mais elle ne le fait pas encore suffisamment. Autre souci : on n’investit pas assez dans la formation des enseignants. Le principal objectif de l’école doit être de donner le goût d’apprendre, d’apprendre à apprendre… Pour cela, il faudrait des classes plus petites. Que voulez-vous faire avec des classes de 25 élèves ! Moi, je voue une admiration sans borne aux enseignants.
Vous allez plus loin : vous dites qu’il faut mettre les élèves sur un pied d’égalité avec les enseignants… Il doit quand même y avoir une transmission… ?
Tous les professeurs que j’ai interrogés sur leur “secret” m’ont tous et toutes répondu la même chose “les enfants m’apportent tellement”. C’est en ce sens que je parle d’égalité : c’est une question de flux. Il s’agit d’enrichissement personnel. Lorsque le professeur a le sentiment de cheminer avec ses élèves : l’échange est parfait. L’enfant aussi peut transmettre. Chacun enrichit l’autre et est source d’apprentissage. Voyez le système finlandais : il n’y a pas de points avant l’âge de 12 ans. Pourquoi doit-on coter nos enfants avant ? C’est leur attribuer du négatif dans un processus magnifique que sont l’apprentissage et le dépassement de soi.
L’équilibre d’un enfant dépend aussi des valeurs transmises par la famille. Que pensez-vous des parents qui publient les bulletins scolaires de leurs enfants sur Facebook ou Insta…
Il faut en tout cas cesser de classer les enfants en fonction de leurs résultats scolaires. Je trouve cela atroce.
Dans une interview, vous avez déclaré : il faut apprendre aux enfants à être heureux… Facile à dire !
Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit… Je m’explique. Je trouve qu’avant d’apprendre les maths et le français, il faut apprendre le bonheur aux enfants. Apprendre à s’écouter, à calmer son système nerveux. Sans cette maîtrise, l’acquisition de matières est plus compliquée. Un cerveau sous stress intègre moins bien.
On n’est pas du tout obligé d’être heureux…
Bien d’accord. C’est ce que j’explique dans les écoles : je raconte comment j’ai d’abord raté ma vie, comment j’ai géré mes émotions. Le principe de base est d’accepter qui on est, là où on est. C’est le départ de tout. Il faut être beaucoup dans son corps, apprendre à écouter son corps.
Comment faites-vous ?
J’utilise beaucoup certaines techniques américaines : le yogic sleep, par exemple. C’est un mélange d’hypnose, d’exercice de respiration, de paroles, de bruits de la nature et de voyage à l’intérieur du corps. Vous en trouverez beaucoup sur Youtube. La technique est utilisée sur les enfants hyperactifs : cela les calme.. Cela peut remplacer le sommeil aussi. Il faut se concentrer, trouver un équilibre personnel. Moi, je ne bois plus jamais d’alcool : je me fais un yogic sleep et je plane complètement…
Le féminisme et la sororité sont des sujets importants dans votre dernier livre “Le monde que l’on porte”…
Ce ne sont pas des sujets que je voulais vraiment traiter, même s’ils apparaissent dans cette saga familiale. Toute forme d’égalité m’inspire. Nous sommes dans une société ou le rapport de domination est partout. Il faut gommer cela. Pour avoir une société épanouie, chacun doit avoir sa place et sa valeur propre. Chacun peut y apporter quelque chose. C’est dans ce sens que la sororité est importante puisque la place des femmes n’est toujours place l’égale de celle des hommes. Le principe d’égalité doit exister entre les hommes et les femmes, toutes les personnes quelles que soient leur couleur de peau, leur pratique religieuse ou non, entre les professeurs et les élèves…
Il y a beaucoup d’injonctions, aujourd’hui. Aux femmes mais aussi aux hommes…
Parfaitement. Je reconnais que les injonctions faites aux hommes sont complexes en ce moment. La société est une société d’injonctions auxquelles chaque être est soumis : à consommer, à être le meilleur ou la meilleure. Mais pourquoi faut-il être performant ? C’est comme un tatouage sur la peau de chaque bébé qui naît. Il faut simplement laisser les gens libres : hommes, femmes, enfants. Si on se réfugie dans le silence, dans la nature, toutes ces injonctions nous apparaissent bien plus claires. On va très peu à la rencontre des gens tels qu’ils sont vraiment. L’écoute s’estompe.
Je vous écoute…
Chaque année, j’essaie de choisir un mot pour progresser. Depuis plusieurs années, je choisis le même : savourer. Ce n’est pas une injonction à profiter, mais simplement, arriver à prendre le temps, à se poser, à être présente. En tant que mère de trois enfants, je n’étais pas bonne à cela. J’essaie de progresser, de créer un lieu tranquille en moi. C’est merveilleux quand j’y arrive : on peut alors écouter, accueillir l’autre et permettre des liens. C’est ce qui se passe souvent dans les classes quand j’entends les témoignages, parfois douloureux, des jeunes. À la rentrée, je vais donner des ateliers d’écriture “A la rencontre de soi” pour les enfants ou les ados. Ils sont en demande de parler, d’exister. C’est ce que je recherche : autoriser l’autre à être vraiment ce qu’il est. J’aime cette démarche d’authenticité. C’est un spectacle fabuleux : c’est le bonheur le plus immense de la vie.
Comment vous ressourcez-vous ?
Je suis hypersensible. J’ai besoin de beaucoup de discipline pour être bien avec moi et avec les autres. Je dois avoir mes heures de sommeil. Je ne bois pas, je mange beaucoup de légumes. Cela peut ressembler à une vie de moine. Mais cela n’a pas de prix d’être bien avec soi et avec les autres.
Vous imposez-vous une discipline d’écriture ?
Oui. J’écris quand les enfants sont à l’école. Je me mets au bureau et je décide qu’il faut écrire. Cela me sécurise. Il faut enclencher les processus de créativité.
L’air de rien, vous aimez contrôler les choses…
J’ai surtout besoin de rituels plus que de contrôles… J’aime avoir une structure dans ma vie privée et professionnelle. Je n’ai que 46 ans, je peux encore évoluer.
En qui, en quoi croyez-vous ?
Dans l’être humain. Tous les êtres naissent parfaits, c’est la vie qui nous pousse commettre certains actes. Je crois en la beauté qui réside en chacun de nous. On est tous merveilleux et beaux dans notre cœur. Cette beauté est parfois ensevelie.
Pensez-vous à la mort, parfois ?
Tous les jours. C’est un privilège d’être en vie. Parfois les gens oublient que l’on peut mourir. C’est compliqué de savoir qu’il y a une fin.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Aucune idée.
Qu’est-ce qui vous a construit ?
L’énergie vitale. En réalité, ce sont les épreuves qui m’ont le plus construite. Elles m’ont contrainte à aller trouver la sérénité, profondément en moi. Cela m’a permis de devenir tout terrain, de vivre avec des choses difficiles. Il faut grandir beaucoup pour être dans l’acceptation de tout ce qui est.
Êtes-vous une femme heureuse ?
Aujourd’hui, oui.
