Faut-il quitter Twitter (rebaptisé X)  ?

En annonçant la suppression de la possibilité de bloquer des comptes -et donc de se défendre contre le cyberharcèlement-, Elon Musk relance le débat entre une liberté d’expression maximale ou encadrée sur sa plateforme.

Faut-il quitter Twitter (rebaptisé X)  ?

Le milliardaire américain Elon Musk, propriétaire de Twitter (rebaptisé X le 24 juillet 2023) a annoncé vendredi vouloir supprimer la fonction qui permet de bloquer les messages (sauf pour les messages privés). La fonction Block empêche un autre utilisateur de vous envoyer de nouveaux messages et de voir vos propres messages. Cette possibilité s’avère être une fonction clé sur tous les réseaux sociaux, particulièrement pour arrêter le cyberharcèlement qui prend de plus en plus d’ampleur.

Défenseur de la liberté d’expression à géométrie variable

Celui que l’on qualifie de libertarien continue donc sa croisade pour une liberté d’expression maximale. C’est “le fondement d’une démocratie fonctionnelle”, aime-t-il répéter.

Mais Elon Musk n’en est pas à une contradiction près. Après avoir pris le contrôle de Twitter le 27 octobre 2022 et proclamé que “l’oiseau est libre”, l’entrepreneur avait décidé de suspendre les comptes de militants et de journalistes qui suivaient sa reprise de Twitter et ses autres activités. Dans les jours qui suivirent, il se sépara en priorité des équipes de modération du réseau social.

Face à Instagram ou Facebook, X/Twitter apparaît comme un poids plume, mais c’est devenu l’instrument de communication favori des entreprises, des politiques et des personnalités “qui comptent” (et donc des journalistes qui cherchent dans cette gigantesque gare de triage).

C’est dire pourquoi les mesures prises par Elon Musk suscitent interrogations et inquiétudes. 80 % des effectifs de Twitter ont été licenciés ou ont quitté la plateforme qui ne compte plus que 1 500 salariés. Il fallait sauver l’entreprise de la faillite, argumente-t-il. Fin mai, il a fait sortir Twitter du code de bonnes pratiques de l’UE sur la désinformation (une série d’engagements volontaires lancée en 2018). Le ministre français du Numérique avait alors menacé de “bannir” Twitter. Fin juin, le bouillonnant patron avait tenté de calmer le jeu et expliquait sur France 2si quelqu’un qui dit quelque chose que vous n’aimez pas est bloqué, ce n’est qu’une question de temps pour que la censure se retourne contre vous”. Et d’ajouter pour rassurer ses détracteurs : “Nous devons avoir autant de liberté d’expression que nous le permettent les lois des différents pays, et il ne me semble pas juste de dire que Twitter va au-delà des lois sur le sujet.

Se positionner comme Fox News ?

Cela n’a pas empêché les problèmes de s’accumuler. Depuis sa prise de contrôle par le patron de Tesla et de SpaceX, le réseau social a vu ses recettes publicitaires s’effondrer, en partie à cause de cet encouragement à toute forme d’expression, y compris haineuse, et au retour de comptes d’utilisateurs extrémistes. Selon le Centre pour la lutte contre la haine numérique (Center for Countering Digital Hate, CCDH), les messages de haine fleurissent à nouveau sur la plateforme, ce que nie X qui a porté plainte contre le CCDH.

Dans les dégâts collatéraux, on citera aussi un divorce entre médias publics et Twitter. La radio américaine NPR, le groupe CBC/Radio-Canada ou encore le suédois SR ont pris la décision de ne plus rien publier sur le réseau social à cause, selon eux, d’une atteinte à leur indépendance après que l’étiquette “Média financé par le gouvernement” a été accolée à plusieurs comptes. Dans la pensée “muskienne”, il s’agit de désigner les médias de propagande.

La dernière conséquence en date est que selon une étude publiée le 15 août dans Trends in Ecology&Evolution et relayée par Le Monde, les internautes s’intéressant aux questions environnementales sont nombreux à avoir quitté X/Twitter, souvent pour des raisons de cyberharcèlement.

Augmentation des fake news, des injures, de propos néonazis, complotisme… : est-ce une stratégie recherchée par cet homme d’affaires affûté ? Sans doute pourrait-il évoluer vers un business modèle plus disruptif similaire à Fox News, avançait en substance la professeure Joëlle Toledano, membre du Conseil national du numérique en France sur France Inter “Faut-il quitter Twitter ?” en avril dernier. Ce réseau d’extrême droite, avec ses provocations et ses polémistes, a complètement bousculé le paysage médiatique des chaînes standards aux États-Unis. Fox News est aujourd’hui le réseau qui gagne le plus.

Faut-il dès lors quitter X/Twitter ? Pas si simple si vous êtes un utilisateur régulier de X/Twitter et que vous avez une communauté d’intérêts présente sur la plateforme, expliquait Julien Pillot, professeur en économie et stratégie numérique à l’école de commerce INSEEC lors de la même émission sur France Inter. Ces sources et relais pour vos informations vous sont utiles et n’existent actuellement pas sur un réseau social alternatif. Même constat pour les individus ou organismes dits “relais d’influence” qui utilisent X/Twitter comme outil de travail pour informer et s’informer.

Pour aller où : Mastodon ? Threads ? Bluesky ?

Ceux qui relayent de la désinformation idéologique, politique ou économique, boostés par leurs comptes certifiés (moyennant paiement) et le peu de modération, trouveront sur X/Twitter un terrain de jeu et de conquête idéal. Mais les autres ? Déserter X/Twitter, mais pour aller où ? Mastodon ? Threads lancé par Meta, l’entreprise de Mark Zuckerberg qui possède aussi Instagram, Whatsapp et Facebook ? Spill, lancée par d’anciens employés de Twitter ? Bluesky Social, créé par l’ancien PDG de Twitter ? T2, créé par Sarah Oh, ancienne employée de Twitter ? Les utilisateurs attendent qu’un convoi se mette en route. Malgré les inquiétudes et leurs défauts, les grandes plateformes restent addictives et il n’est pas facile de s’en défaire.

D’ici là, la question n’est-elle pas plutôt “va-t-on pouvoir réguler X/Twitter” ? Le garde-chasse dans l’UE s’appelle la Commission européenne. Le 25 août prochain entre en vigueur le DSA (Digital Services act) qui impose aux plateformes, outre un système de modération important, d’agir “promptement” pour retirer tout contenu illicite et prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. Elon Musk et X/Twitter devront respecter la règle ou alors quitter le marché européen. Fake News ?

Et vous, quel est votre avis ? Êtes-vous satisfait ou inquiet de l’évolution du réseau social X ? Comptez-vous rester ou quitter ce réseau social?

Vous êtes 250 à avoir répondu à cette question sur Lalibre.be. 65 % d’entre vous sont inquiets des évolutions du réseau social, et un bon tiers est satisfait. 40 % d’entre vous comptent rester (ou s’inscrire) sur le réseau. Une majorité désire donc soit ne pas s’y inscrire, soit le quitter.

Voici quelques-unes de vos réactions.

Christian, 57 ans : Je quitte. Les choix de Musk qui prétendent favoriser la libre expression ne favorisent en réalité que l’expression de l’extrême droite, des complotistes, des climatosceptiques et des harceleurs. Même dans sa mécanique de rétribution, on voit qu’il avantage des comptes de l’extrême droite ou des agrégateurs qui ne vivent pourtant qu’aux crochets des créateurs de contenus. En restant, je participerais à cette mécanique et je contribuerais donc directement à alimenter des gens et une idéologie que je réprouve et que je combats.

Maxime, 27 ans : je reste. X est devenu le réseau où la liberté d’expression est respectée alors que la censure voile tout l’Occident.

Alix, 32 ans : Je quitte. Il est temps de s’orienter vers des alternatives plus respectueuses de la vie privée et décentralisées telles que Mastodon.

Thibault, 40 ans : Que je quitte X ne fera pas une grande différence. Par contre j’espère que les journalistes, les médias et les politiques quitteront X pour une autre plateforme. Sans eux, X n’aurait plus aucun intérêt pour le grand public ou les observateurs politiques. Il ne resterait que les trolls et les réacs qui s’ennuieront bien vite à s’engueuler entre eux. Je m’étonne d’ailleurs que la Commission européenne et certains gouvernements ne recommandent pas à leurs employés de quitter la plateforme pour une autre. Pareil pour les médias. Le sort de X serait vite joué. La masse de fake news et de contenu conspirationniste sur la plateforme pose une menace à la démocratie. Mais le plus grand problème est qu’avec l’abonnement X tout le monde peut s’inventer commentateur politique. Le reach du message ne dépend plus de la qualité du contenu partagé mais du paiement d’une souscription. En plus, l’algorithme favorise les contenus conflictuels. Elon a aussi un comportement despotique problématique. Il dit favoriser la liberté d’expression, mais il a décidé de pénaliser certains organismes qui blessent son petit ego, et généralement qualifiés de gauche. Par exemple lorsqu’un temps de latence de 5 secondes était instauré pour visiter un lien du New York Times ou vers Threat de Meta.

Alice, 33 ans : J’attends de voir ce que ça donne pour me diriger vers des alternatives comme Bluesky, le temps de faire le transfert de communauté.

Michaël, 51 ans : Je quitte. Elon Musk a licencié la quasi-totalité de ses équipes de modération alors que la modération est fondamentale pour les réseaux sociaux. En plus, je déteste la manière dont il traite ses employés.

Evelyne, 48 ans : je reste. Il est important de conserver des lieux/plateformes où la liberté d’expression n’est pas filtrée selon les desiderata des instances officielles, gouvernements et autres. Nous n’avons pas besoin de ministères de la Vérité qui orientent et cadenassent les débats, dangereux pour nos démocraties.

Cécile, 27 ans : Je quitte. À cause de cette “modération” aux lignes ultralibérales qui autorise le harcèlement de minorités. À cause d’un contenu de moins en moins intéressant. La promotion via ces pastilles bleues ayant payé et n’ayant souvent pas de follow organique est synonyme de faible qualité.

Sam, 38 ans : Je reste. La justice est l’instance indépendante qui condamnera les propos déplacés. Limiter la parole sur des faits subjectifs est la porte ouverte au totalitarisme de la pensée.

Anne, 69 ans : je reste, je suis prise en otage…

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