Engageons un vrai débat sur les alternatives au paiement de la dette publique

Sans rentrer dans les détails, quelques éléments permettent déjà d’alimenter le débat : de nombreuses annulations de dette se sont produites dans le passé, sans que cela entraîne des conséquences néfastes, au contraire.

Engageons un vrai débat sur les alternatives au paiement de la dette publique

Une opinion d’Olivier Bonfond, économiste au CCEF (Centre coordonné d’études et de formation) ; membre du CADTM (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes).

Malgré une séquence historiquement favorable depuis 2015, avec des taux proches de zéro, les montants transférés ces dernières années vers les créanciers au titre du paiement des intérêts de la dette publique ont été gigantesques. Au niveau européen, cela représente 5 plans de relance européens chaque année, et 14 au niveau belge.

Et cette charge de la dette, ce transfert permanent de richesses vers les marchés financiers, va inexorablement augmenter dans les années qui viennent. En effet, les récentes crises ont fait exploser les déficits et la dette, tandis que les taux d’intérêt ont fortement augmenté. Dans ce contexte, et alors que les politiques d’austérité appliquées au cours des années 2010 ont largement échoué, il serait salutaire d’avoir, enfin, un vrai débat sur les alternatives au paiement inconditionnel de la dette publique.

Cinq plans de relance européen chaque année

Lancé en février 2021, le plan de relance de la Commission européenne est qualifié d’historique, en particulier au niveau des montants dégagés : 724 milliards. En réalité, il ne s’agit pas de 724 milliards mais de la moitié. En effet, sur les 724 milliards de ce plan, 338 sont composés de subsides, tandis que 386 sont composés de prêts (à des taux légèrement plus avantageux) qui, s’ils sont contractés par les États bénéficiaires, devront être remboursés intégralement avec intérêts. Il est donc exagéré de parler d’aide, a fortiori historique, pour désigner un petit différentiel de taux d’intérêt. Notons que, jusqu’à présent, peu de pays ont contracté ces prêts (l’Italie, qui emprunte à des taux élevés, l’a fait). En janvier 2023, seuls 45 milliards de prêts sur ces 386 ont été utilisés.

Comparons maintenant les montants de ce plan avec les intérêts de la dette publique. Au niveau européen, le plan est donc de 338 milliards sur 6 ans, soit 56 milliards par an. Qu’en est-il des intérêts de la dette ? Entre 2012 et 2021, les 19 pays de la zone euro ont payé aux créanciers, c’est-à-dire aux grandes banques, 2 523 milliards d’euros en intérêts de la dette, soit une moyenne de 250 milliards d’euros par an (source Eurostat). Les États paient donc, chaque année, l’équivalent de 5 plans de relance chaque année en intérêts de la dette.

Au niveau belge, l’État devrait bénéficier de 4,5 milliards de subsides européens (le montant initial était de 5,9 milliards mais il a été revu à la baisse suite à une amélioration du contexte économique) sur 6 ans, soit 750 millions d’euros par an. Qu’en est-il des intérêts de la dette ? Entre 2012 et 2021, la Belgique a payé aux créanciers 110 milliards d’euros en intérêts de la dette (source BNB), soit une moyenne de 11 milliards d’euros par an. La Belgique paie donc en intérêts de la dette aux créanciers l’équivalent de 14 plans de relance chaque année.

Augmentation de la charge de la dette : minimum un milliard de plus chaque année

Le monde dans lequel nous vivons est très incertain (crises économique, sanitaire, financière, énergétique, catastrophes écologiques, conflits armés…), mais une chose est sûre : la période des taux d’intérêt très bas que nous avons connu ces 10 dernières années (avec des taux inférieurs à 1 % depuis 2015 et des taux nuls ou négatifs entre 2019 et 2021 – pour l’emprunt de référence, à savoir les emprunts de 10 ans), est terminée. Nous sommes passés, en moins d’un an, à des taux supérieurs à 3 %, et rien n’indique que ces taux vont diminuer à court ou moyen terme, au contraire. L’augmentation de la charge de la dette, même si elle sera progressive, est donc inévitable. Alors que la charge de la dette s’est élevée à 6,86 milliards d’euros en 2022, la Commission européenne prévoit que la charge de la dette belge s’élèvera à 8,45 milliards d’euros en 2023 et 9,87 milliards en 2024. Et les augmentations seront encore plus importantes au cours des années suivantes. Sauf si…

Avoir un vrai débat sur la dette publique

Malgré plusieurs mea culpa de dirigeants belges et européens admettant que l’austérité des années 2010 avait aggravé le problème, on se dirige à nouveau dans la même direction : “la dette est trop élevée”, “les déficits sont insoutenables”, “les États vivent au-dessus de leurs moyens”, “il n’y a pas d’alternative : il faut couper dans les dépenses publiques”… Autant d’affirmations qu’on entendait déjà après la crise financière de 2008. Négocier une restructuration de la dette ? Annuler la dette détenue par la BCE en échange d’investissements ? Diminuer notre dépendance aux marchés financiers en réfléchissant à une autre politique de financement des États ? Neutraliser les agences de notation ? Circulez, il n’y a rien à voir.

Pourtant, il serait salutaire d’arrêter de traiter la question de la dette uniquement comme une question comptable ou technique, et d’organiser un vrai débat public sur la dette. Sans rentrer dans les détails, quelques éléments permettent déjà d’alimenter le débat : de nombreuses annulations de dette se sont produites dans le passé, sans que cela entraîne des conséquences néfastes, au contraire ; en 1953, l’Allemagne a bénéficié d’une annulation de 70 % de sa dette et d’une réduction des intérêts de 5 % à 0 %, ; en 2015, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy (de droite) a imposé aux banques privées une réduction des taux d’intérêt de 5,65 % à 1,31 % ; l’idée selon laquelle un pays qui remettrait en cause sa dette serait plongé dans le chaos et serait boycotté par les prêteurs est infirmée par la réalité ; pendant des décennies, la France (comme d’autres pays) s’est en grande partie financée, avec succès, sans recourir aux marchés financiers ; toutes les dettes n’ont pas à être remboursées : une dette est un contrat entre deux parties et, comme tout contrat, il faut que certaines conditions soient respectées pour qu’il soit valide (1) ; de nombreux pactes et traités internationaux affirment très clairement que les droits humains sont supérieurs aux droits des créanciers…

1 Lire notamment : “Quels sont les 4 types de dettes publiques qui ne se remboursent pas ? ”, par BONFOND Olivier et TOUSSAINT Eric, 16 décembre 2020

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