Où sont passées les personnes vulnérables de la gare du Midi ?
La “solution” policière a été un succès. Mais la misère a été balayée sous le tapis. À côté de la réponse sécuritaire, il faut surtout renforcer les services sociaux de Bruxelles et offrir des solutions durables et humaines.
- Publié le 29-08-2023 à 16h08
- Mis à jour le 29-08-2023 à 17h22
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Par Binta Liebmann Diallo, infirmière sociale
À la gare du Midi le nettoyage social a été un succès et une question cruciale se pose : où sont passées les personnes vulnérables qui s’y trouvaient jusqu’au matin du 26/08/2023 ? La misère a-t-elle disparu ?
Alors que les services sociaux de la ville tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme face à la précarité grandissante à Bruxelles, la réponse semble davantage sécuritaire que solidaire. Tout en reconnaissant dans de beaux discours le besoin d’action sociale, on n’a déployé que la “solution” policière.
La violence, les vols, les incivilités sont des réalités que l’on ne peut nier. Mais la méthode choisie répond-elle au problème ? Les chiffres récents montrent une augmentation alarmante du nombre de personnes sans-abri à Bruxelles. Une hausse de près de 20 % par rapport à 2020. Des êtres humains souvent réduits à des statistiques cherchaient refuge dans les environs de la gare du Midi. Une médiatisation aux airs de campagne électorale nous vend le parfum citronné des produits de nettoyage mais la misère a été balayée sous le tapis.
À quel prix ? Une rafle a eu lieu, 65 personnes ont été évacuées.
Cette “propreté” ne doit pas nous leurrer. Elle fait les choux gras de la droite.
La gare était leur refuge
J’ai arpenté les alentours de la Gare. J’ai retrouvé Charles (*) qui, après avoir été détenu pendant trois heures par la police, m’a confié qu’il ne peut plus regagner son coin habituel. Sa tranquillité, sa dignité discrète, résumée dans un gobelet où l’on pouvait choisir de déposer ou non une pièce, ont été bousculées. Bernard (*), lui, n’a pas été embarqué – il avait des papiers en ordre – mais son quotidien a été perturbé. Et Pierre (*), du côté de l’avenue Fonsny, a échappé à la rafle, illuminant notre discussion de ses sourires reconnaissants. Mais qu’en est-il d’Aïcha, cette femme vulnérable, d’habitude quasi invisible au milieu de ses bagages ? Où est-elle ? Et Georges (*) ? Augustin (*) ? Pauline (*) ? Mourad (*) ? Ahmet (*) ? J’espère qu’ils-elles n’auront pas froid la nuit car leurs couvertures de fortune ont été confisquées. La police a-t-elle le droit de jeter les effets personnels des gens ? Avec ou sans papier ?
Certaines communes avoisinantes ont adopté des règlements repoussant ces personnes démunies. La gare du Midi était devenue leur refuge.
Où sont-elles maintenant ?
Il est essentiel de se poser des questions. Les personnes en situation de précarité sont-elles les seules à consommer des drogues ? Pourquoi ceux qui consomment ailleurs, à l’abri des regards, ne sont-ils pas inquiétés ? Les incivilités autour de la gare et dans nos quartiers sont-elles l’apanage des plus démunis ? La réponse est clairement non.
Alors que drogue et alcool sont répandus dans toute la société, on les prend comme prétextes pour opprimer et dominer les plus visibles et vulnérables.
Est-ce vraiment à eux et elles de porter la responsabilité des maux de notre société ? Doit-on les pousser encore plus loin de nos regards et les enfoncer dans leurs difficultés par des opérations “coup de poing” ?
Non la misère n’est pas belle à voir. Devons nous la cacher ?
Ces personnes que j’ai rencontrées, avec lesquelles j’ai partagé des moments, des sourires, des larmes, sont des êtres humains. Elles méritent mieux que d’être chassées et traitées comme des nuisances. Après tout, derrière chaque chiffre, il y a des personnes, des histoires, une dignité.
Le travail social est délicat, il nécessite patience et confiance. En chassant ces personnes, ce lien si précieusement tissé par les travailleuses et travailleurs de terrain est brisé et il faudra beaucoup de temps pour le reconstruire.
Le réel besoin est de renforcer les services sociaux, d’offrir des solutions durables. Pas seulement des toilettes publiques gratuites, mais un toit, une écoute, une chance. Il est temps que Bruxelles choisisse l’humanité plutôt que la facilité avec ces réponses éphémères et brutales comme cette opération coup de poing.
(*) Prénom d’emprunt