Que se passera-t-il dans moins d'un an, après les élections?

Il sera nécessaire de se montrer vigilant pour éviter les dérives ou les débordements. De mesurer les enjeux, sans céder aux pièges que tendent les conspirateurs de tout acabit. De privilégier les solutions qui, de la Constitution, préservent les cadres de l'État Belgique.

Que se passera-t-il dans moins d'un an, après les élections?

Une carte blanche de Francis Delpérée, Constitutionnaliste (1)

L'on prête à Pascal cette "pensée". "Il y a deux sortes d'esprit : l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse". L'analyse politique sera pertinente si elle concilie les deux points de vue.

L'esprit de géométrie se nourrit de chiffres. Deux, notamment : 150 et 100.

150, c'est le nombre de députés à la Chambre. Dans un régime parlementaire digne de ce nom, le gouvernement nommé par le roi se présente illico devant l'assemblée. Il explique son programme. Il sollicite les suffrages des députés. Si une majorité se dessine, l'équipe ministérielle entre en piste. Sinon, elle se retire.

Dans la nuit du 9 au 10 juin 2024, il faudra scruter la configuration de la représentation nationale. Éclatée, selon toute vraisemblance. Aujourd'hui, douze formations, inscrites dans dix groupes parlementaires. 16% des sièges pour le plus important.

Sera-t-il possible de mettre 6, 7 ou 8 partis autour d'une table ? Seront-ils en mesure de négocier un accord de gouvernement ? Recueilleront-ils une majorité suffisante à la Chambre ?

J'ai avancé le chiffre de 150. Je n'ai pas retenu le seuil de 76. "La moitié, plus un", comme l'on dit. L'explication est simple. Au jour du vote, des députés ne sont pas en séance. Leur absence peut revêtir une signification politique ou n'en avoir aucune. La barre de la majorité se trouve abaissée. Autre hypothèse. Des parlementaires votent "oui". D'autres, "non". D'autres encore s'abstiennent. Peu importe. Il faut et il suffit que le nombre de votes positifs l'emporte sur celui des négatifs. Si les deux camps sont à égalité — ce qui s'est produit en 1946 — la confiance n'est pas acquise.

Deuxième chiffre, 100. Les deux tiers de 150. Soit, sous réserve d'absents et d'abstentionnistes, la majorité requise pour faire œuvre constitutionnelle. Les partis de la Vivaldi disposent aujourd'hui de 87 sièges. A moins d'un tsunami, ils n'obtiendront pas, le 9 juin, la majorité qualifiée. D'autres coalitions atteindront-elles le chiffre fatidique ? Ou se contenteront-elles d'une majorité absolue ?

Dans cette dernière hypothèse, une conclusion simple s'imposera. Pas de révision de la Constitution, pas de loi spéciale, pas de réforme de l'État dans les cinq ans à venir. "Caramba, encore raté", claironnera le perroquet de L'oreille cassée.

Les chiffres sont lumineux. Est-ce à dire que l'après-élections sera simple ? Rien n'est moins sûr. Des courants politiques n'hésitent pas, en effet, à tenir ce raisonnement. "Rien ne sert d'envisager une question — la forme du gouvernement — sans avoir réglé une autre — la forme de l'État —".

Une attaque en règle contre la Constitution

Il est fait appel à l'esprit de finesse ou prétendu tel. La Constitution, un épouvantail ? Pourquoi ne pas l'ignorer ou la contourner ? Pourquoi ne pas la critiquer à grands cris tout en s'y soumettant dans l'attente de jours meilleurs ? Pourquoi ne pas amorcer une réforme échelonnée dans le temps ?

Ignorer... Pourquoi pas un gouvernement minoritaire ? Il concevrait une septième réforme de l'État. Il se mettrait ensuite à la recherche de majorités tout court, voire de majorités qualifiées. Un projet bien ficelé pourrait emporter la conviction. Il y a un "mais". La majorité n'est pas qu'une règle de fonctionnement. C'est aussi un principe d'organisation. Le gouvernement doit être majoritaire. Au premier jour et tout au long de son existence.

Contourner.... Pourquoi pas un brin d'histoire ? 1918. La guerre s'achève. Il y a lieu de reconnaître un droit de vote égal aux hommes qui, les armes à la main, ont préservé l'indépendance de la Belgique. C'est plus vite dit que fait. Une révision qui se donnerait cet objet devrait être décidée par une assemblée élue au suffrage plural et censitaire. Est-ce pensable ? La loi du 9 mai 1919 passe outre. La révision du 7 février 1921 corrige cette anomalie. Pourquoi ne pas faire de même demain ? Le projet est cousu de fil blanc. La finasserie saute aux yeux. C'est une attaque en règle contre la Constitution. Ignorée dans un premier temps, révisée ensuite sous forme simplifiée et, en fin de compte, anesthésiée. Pour enclencher des mécanismes de séparation douce ou dure.

Hurler, en prenant des chemins de traverse... Bart De Wever ne s'en est pas caché. Il y a lieu, a-t-il dit, d'emprunter des voies "extra-légales." Passons sur le côté provocateur de la formule qui vise à plaire aux troupes. Voyons plutôt ce qu'elle suggère. Si l'on met la constitution et la loi de côté, que reste-t-il ? La voie règlementaire.

La formule a été expérimentée dès les années '60. Pas possible de communautariser l'enseignement ? Eh bien, des arrêtés royaux procéderont au dédoublement du département. Des ministères francophones et néerlandophones de l'Éducation nationale — un sérieux oxymore — seront mis en place. La communautarisation, elle, sera inscrite dans la constitution, en 1970 puis en 1980. La suggestion est plus fine que d'autres propositions iconoclastes.

Échelonner la réforme... L'accord de gouvernement du 30 septembre 2020 se veut précis. "Une liste provisoire d'articles à réviser (...) fera l'objet d'une annonce au Sénat et à la Chambre des représentants au début de la législature. A tout le moins, (elle) comprendra l'article 195 (relatif à la procédure de révision). Au terme d'un débat démocratique, (elle) sera complétée...".

La méthode est ingénieuse. Il y a néanmoins des défauts à l'allumage. Une liste minuscule (5 articles) a été rédigée. L'échec d'une plateforme informatique de dialogue n'a pas permis de la compléter. Mais peut-être une discussion, moins démocratique qu'annoncée, se déroule-t-elle en coulisses. A vérifier dans les prochains mois.

2024, l'année de tous les scrutins. Ou l'année de tous les dangers ? Les deux.

Quelques conseils. Se montrer vigilant pour éviter les dérives ou les débordements. Mesurer les enjeux, sans céder aux pièges que tendent les conspirateurs de tout acabit. Privilégier les solutions qui, dans le respect du texte fondateur, préservent les cadres de l'État Belgique. Dans l'unité et la diversité.

En 2024, le citoyen-électeur aura droit à la parole. Plutôt que de maugréer dans son coin ou de vouer les candidats et les partis aux gémonies, qu'il exprime un choix. Qu'il souscrive à des valeurs simples : l'égalité, la solidarité et le progrès. Pour tous, cela va sans dire.

Bons votes dans moins d'un an ! Et bon vent au pays qui en a vu souffler d'autres !

(1) Extrait de l’éditorial « A moins d'un an » du numéro d'automne de La Revue générale (Presses universitaires de Louvain).

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