"Mon prof d’histoire fumait durant les examens, buvait plus que la moyenne, ne suivait pas les programmes. Il me manque toujours…"

Le professeur inspirant a besoin de liberté pour vivre pleinement sa vocation. On pourrait même dire qu’une multitude de normes ayant pour but de garantir la qualité, conduit finalement à l’inverse, à la médiocrité. Si on suit les normes, on fera son devoir, mais on n’inspirera personne.

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Une chronique “J’assume” de Rik Torfs, recteur honoraire de la KU Leuven.

L’année scolaire a commencé en Belgique francophone. Les conséquences et les résultats du pacte d’excellence se manifesteront dans les années qui suivent. Entre-temps, les ambitions sont grandes. De toute façon, ce qui compte en premier lieu, c’est la qualité de l’enseignement. Sur ce point, la Belgique, et non seulement la Belgique francophone, pourrait faire mieux. Notre position dans les classements internationaux, dans toute leur relativité, n’est guère enviable.

Cependant, ce qui est crucial, et ce qui dépasse de loin l’importance des structures, des objectifs, des programmes et des instruments de contrôle, c’est la qualité des professeurs.

La qualité. Et la quantité. Moins de jeunes qu’avant choisissent une carrière dans l’enseignement et s’ils le font quand même, ils quittent en masse le métier de leurs rêves après quelques années, démotivés et déçus. Des causes multiples peuvent expliquer ce phénomène. On évoque parfois la perte de statut social. La rémunération insuffisante. Le manque de respect. Ces problèmes sont néanmoins relatifs et nullement propres à l’enseignement. Je vois deux autres raisons davantage déterminantes.

"Mon prof d’histoire fumait durant les examens, buvait plus que la moyenne, ne suivait pas les programmes. Il me manque toujours…"

Les profs ne sont pas des assistants sociaux

Ainsi, l’école remplit de plus en plus de tâches d’accompagnement, d’éducation élémentaire, de lutte contre la pauvreté. Ce sont des tâches nobles, et c’est justement cela qui fait problème. Il est impossible de dire qu’il s’agit de choses superflues. Mais peut-être l’école n’est pas le bon endroit pour les aborder. Les profs ne sont pas des assistants sociaux, ce qui ne signifie pas qu’ils se désintéressent de l’aspect social de leur travail. L’enseignant doit pouvoir se concentrer sur sa tâche d’enseignement.

L’élément le plus important me semble être l’autonomie du professeur qui engendre sa fierté professionnelle. Remplir des papiers, attester et noter ce que l’on a fait ou ce que l’on n’a pas pu faire par manque de temps, suivre des programmes d’études strictes menaçant la créativité et la joie de vivre. : voilà ce qui n’arrange rien. Les règles sont importantes, mais seulement pour deux raisons. D’abord pour garantir un minimum de qualité. Ensuite pour les enfreindre.

Il buvait bien plus que la moyenne, mais il me manque toujours

Je ne suis certainement pas le seul à avoir eu des professeurs qui ne faisaient pas ce qu’il fallait faire. Certains faisaient moins. D’autres faisaient beaucoup plus. Je me souviens de mon professeur d’histoire au collège Saint-Gommaire de Lierre au début des années 70. Il était ouvertement homosexuel, chose difficile à l’époque. Pendant les examens oraux il fumait, ce qui serait impossible aujourd’hui, mais était déjà interdit il y a cinquante ans. Mon professeur buvait bien plus que la moyenne et ne suivait pas fidèlement le programme obligatoire, loin de là. Mais il ne devait jamais demander le silence, pour la simple raison qu’il avait quelque chose à dire et le disait bien. Comme toute personne intelligente, il était critique voire sceptique du pouvoir. Et il répéta : ne marchez jamais derrière un drapeau. Aucun drapeau, ni le ‘bon’, ni le ‘mauvais’. Souvent, je n’étais pas d’accord avec lui et on discutait. Hélas, j’ai eu le dernier mot, ayant parlé pendant ses funérailles en 2020. Il me manque toujours, bien que je le voyais peu. Il ne faut pas toujours voir les gens pour les avoir dans son cœur.

Le dilemme des normes

Un dilemme délicat se dessine. D’une part, notre société exige des garanties de qualité, prescrit des tests, des évaluations, des programmes fixes et des contrôles permanents.

D’autre part, le professeur inspirant a besoin de liberté pour vivre pleinement sa vocation. On pourrait même dire qu’une multitude de normes ayant pour but de garantir la qualité, conduit finalement à l’inverse, à la médiocrité. Si on suit les normes, on fera son devoir, mais on n’inspirera personne.

Souvent on dit : la confiance est bonne, le contrôle est meilleur. Quelle erreur ! Certes, le contrôle parvient à sanctionner ceux qui abusent de leur liberté, mais en même temps il décourage ceux qui en font usage. En outre, le contrôleur donne l’impression d’être plus grand, plus brillant, plus sage, plus compétent que celui qui est contrôlé. Pourquoi en serait-il ainsi ? Souvent, c’est le contraire qui se produit. La personne ‘contrôlée’ a du courage, ose se mouiller. Le contrôleur, quant à lui, n’est qu’un spectateur pas toujours engagé.

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