Directeur d’une des plus grandes écoles de Bruxelles, je m’insurge contre certains passages du guide Evras

Je m’inscris totalement dans la nécessité de prodiguer des animations à l’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle (Evras). Mais le projet actuel porté par la Fédération Wallonie-Bruxelles m’inquiète en plusieurs points.

L'Invité du JDE en classe

Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International Belgique francophone

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©Mathieu Golinvaux

Une carte blanche de Benoît Gallez, Directeur de l’école secondaire, Centre scolaire Saint-Michel

Des propos tenus ce jeudi matin, sur les antennes de la RTBF, à l’occasion de l’interview de la Ministre de l’Éducation Caroline Désir m’ont poussé à écrire à une série de parlementaires concernant le décret Evras (NdlR : qui assurera une “éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle” à l’occasion de deux animations obligatoires de deux heures – en 6e primaire et en 4e secondaire – au cours de la scolarité de chaque élève).

En effet, à entendre les journalistes, les inquiétudes soulevées par de nombreux signataires sur de nombreuses pétitions n’émanaient que des milieux catholiques et islamiques conservateurs. Ces propos n’ont nullement été contredits par la Ministre. Qui ne dit mot consent. Belle manière, ô combien facile, de balayer des arguments d’autrui d’un revers de la main en disant qu’ils sont exprimés et orchestrés par des extrémistes.

Directeur d’une des plus grandes écoles de la Région bruxelloise, je me suis donc permis de prendre à mon tour la plume pour exprimer ma désapprobation. On trouvera ici l’essentiel de ce courrier. Il convient cependant de dire que les propos ci-dessous sont plus argumentés que ne l’étaient ceux de mon courrier initial, écrit dans le feu de l’action entre toutes les urgences du quotidien scolaire.

La nécessité de telles animations

Tout d’abord, je m’inscris totalement dans la nécessité de prodiguer de telles animations. Mes propos ne sont donc pas ceux d’un “catho de droite”. Dans mon école, pourtant souvent taxée bien à tort d’élitiste et de conservatrice, de telles animations sont dispensées par des professionnels de l’Evras, depuis plus de… douze ans en 2e, 4e et 6e secondaires.). Précisons qu’une majorité d’autres écoles estampillées “catho” fait de même. Dont acte.

Rien à redire, non plus, sur la nécessité de les dispenser en 6e primaire : le monde est ce qu’il est et nos enfants doivent apprendre à le décoder.

En revanche, des intentions à peine voilées à destination d’enfants encore plus jeunes sont véritablement problématiques. Nul propos complotiste dans ce que je vous écris. Des spécialistes de l’Evras ambitionnent d’étendre les animations à toute la durée de l’enseignement obligatoire, donc de 5 à 18 ans. Voir notamment ce qui se dit sur le site. On y constate bien que le texte qui vient d’être voté n’est qu’une situation intermédiaire.

Des questions qui n’ont pas lieu

Par ailleurs, une série de contenus du guide sont de nature à faire en sorte que des jeunes, même de très jeunes enfants, se posent des questions qu’ils ne se seraient jamais posées et normalisent des comportements problématiques (non pas en termes de morales religieuses, mais bien en termes de construction affective).

La première version du guide comportait en sa page 192 le texte suivant :

Les sextings et les nudes sont des pratiques courantes chez les jeunes : il sera alors important de les responsabiliser et de leur donner les moyens de se protéger. En effet, beaucoup de jeunes pourront écrire ou se retrouver en possession de sextos ou diffuser des photos dénudées de soi, l’idée n’est pas de les dissuader d’en faire, mais de leur donner les éléments pour éviter que ces pratiques ne leur attirent des ennuis, ou qu’ils·elles·iels en fassent un mauvais usage”.

Depuis les premières réactions indignées, ces lignes ont été retirées. On trouve cependant encore des phrases comme : “Pouvoir appliquer les règles de base concernant l’envoi de photos intimes” (page 285, public cible : jeunes de 9 à 11 ans !)

In extenso ou ramenées à une simple expression moins visible que la première qui était une tête de chapitre, voilà que sont exposées les dérives fondamentales de ce guide.

Ses pratiques sont-elles à ce point courantes chez les jeunes de 9 à 11 ans qu’il faille en faire une “Habilité/Savoir-faire” à leur âge ? Qu’on nous démontre !

Par ailleurs, je m’insurge contre l’idée de ne pas dissuader les jeunes de s’envoyer des sexting ou des nudes. Comme père de famille, et je n’aurais pas l’impression d’agir en ultra-catho conservateur, il est évident que j’interdirais (oh, le vilain verbe peu à la mode, mais à prendre au sens premier “exprimer un interdit”) à mes enfants d’ “extimiser” ce qui relève de l’intime. Dès lors, je serais outré d’apprendre qu’un(e) professionnel (le) de l’Evras leur dise le contraire. Pire : leur enseigne les règles de base pour en envoyer en toute sécurité.

L’ère des droits estompe celle des devoirs

Cet extrait du guide, comme bien d’autres, consacre l’autodétermination des jeunes (on ne leur dit pas que c’est une pratique à éviter) et sacralise “leurs droits” au point de mettre leurs parents sur la touche. Il me paraît essentiel de rappeler que les parents, quelle que soit la forme de leur famille, restent les principaux acteurs de l’éducation de leurs enfants.

On parle, en effet, beaucoup des droits des jeunes. À cet effet, il y a même un service chapeauté par un délégué. Loin de moi, l’idée de dénier aux jeunes leurs droits à l’expression et à des conditions économiques et psychologiques décentes. Beaucoup de jeunes souffrent de cette absence de droits. Il est normal que la société se mobilise pour eux. Mais dans les mentalités, l’ère des droits estompe celle des devoirs et des normes référentes, lesquelles normes sont essentielles au développement des jeunes. Pour qu’un adolescent se frotte à un cadre, il faut qu’il y ait un cadre. Or, trop souvent, aidé en cela par les appels à l’autodétermination, “le droit de” l’emporte naturellement “sur le devoir de”.

Si le guide de l’Evras parle bien de droits et de devoirs, force est de constater que le mot “droit” comporte 290 occurrences, soit largement plus d’occurrences (quasi 90 % ) que le mot “devoir” qui n’est mentionné que 31 fois. En outre, le guide explicite nommément tous les droits et pas chacun des devoirs.

À l’heure où j’écrivais aux parlementaires dont je possédais les adresses électroniques, je leur exprimais ma peur que la discipline de groupe et l’état d’avancement parlementaire du texte fassent en sorte que nul sur les bancs du Parlement n’ait le courage de voter contre.

Cette crainte s’est matérialisée. Pour la petite histoire, le texte n’était pas encore voté que l’Administration nous envoyait déjà (à 9h45) la circulaire ad hoc nantie d’un texte introducteur de la Ministre Désir. Ô Démocratie !

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