Puisqu’on ne peut pas supprimer la bombe atomique, comment peut-on préserver le futur ?

Albert Camus fut plus ferme au lendemain d’Hiroshima : “Désormais la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, celui de choisir entre l’enfer et la raison”.

Oppenheimer
Image du film "Oppenheimer". ©Melinda Sue Gordon

Chemins de traverse : une chronique de Xavier Zeegers

Étrange été que celui qui s’achève, marqué par des chaleurs excessives où l’on évoqua, via Robert Oppenheimer [et le film du même nom], l’hiver nucléaire, celui qui nous menace depuis le 16 juillet 1945 date de l’essai de la première bombe atomique, suivi de son utilisation les 6 et 9 août sur Hiroshima et Nagasaki.

Si capital qu’il soit, laissons de côté le débat sur la justification de son utilisation. On peut juste tenir pour certain qu’Hitler n’aurait eu aucun scrupule à utiliser l’arme suprême, mais d’autres criminels de son acabit aussi, et cela jusqu’ici. Staline, notre allié de pure circonstance (car trahi par son complice nazi) était aussi cruel que lui. D’autres despotes indéboulonnables sont à ce jour capables du pire. Le péril ne vient pas que d’eux, mais aussi du ciel où depuis la guerre froide des bombardiers tournent en permanence, au risque d’un accident. Qui s’est déjà produit à trois reprises : en février 50, mars 58 et janvier 61 quand des avions se crashèrent avec des bombes atomiques qui auraient pu exploser. Sans oublier la menace réelle d’un conflit imminent lors de la crise de Cuba en octobre 1962, quand un cinglé, le général des forces aériennes américaines Curtis LeMay, qui mena un raid incendiaire de plusieurs jours sur Tokyo en 45, pressa John Kennedy de déclencher hic et nunc le feu nucléaire sur Cuba, ajoutant avec morgue : “Vous êtes dans de sales draps Mr le Président” (cela fut enregistré). Lequel lui rétorqua : “Vous aussi, car si on vous suit, nous serons tous sous le même linceul”. Il y avait donc alors un Président capable de réfléchir en gardant son sang-froid. Pour l’avenir il y a des craintes légitimes…

Et puisqu’on ne peut pas désinventer ce que l’on a conçu, la question de fond est limpide : comment préserver le futur ? Le 5 juin 1958, lors d’une émission sur la RTF (la télé française) Pierre Desgraupes, le Bernard Pivot de l’époque, interrogea Robert Oppenheimer lui-même, et le savant expliqua que non, rien n’arrête jamais la science, et de plus on ne peut anticiper le futur, positif ou négatif. Ainsi, même la fission de l’uranium a des retombées positives, le tout étant d’anticiper “mais par avance il est impossible d’imaginer comment et à quelle fin on utilisera cette énergie. ” (sic !) Réponse qui nous laisse sur notre faim, et surtout pantois, car autant dire que la main qui caresse peut aussi bien étrangler, que l’électricité éclaire les villes, mais offre aussi une variante sadique à l’arsenal des peines de mort et que la dynamite inventée par Alfred Nobel livre aussi des armes efficaces pour tous les terroristes. Soit cet œuf de Colomb qu’est l’ambivalence de tout progrès technologique délesté de toute éthique, Robert Oppenheimer insiste sur la nécessité des gouvernements d’informer leur public. Mais en ignorant que les canailles totalitaires n’en ont cure !

Croire quand même, espérer quand même, aimer quand même

Albert Camus fut plus ferme dans son éditorial de “Combat”, au lendemain d’Hiroshima : “Désormais la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, celui de choisir entre l’enfer et la raison”.

Dans son émission télévisée Noms de Dieux, dont l’intérêt était inversement proportionnel à un audimat proche de la mort clinique, Edmond Blattchen reçut le 10 mars 1992 le pasteur protestant Théodore Monod, naturaliste et explorateur, arpenteur du désert, sorte de Charles de Foucauld bourlingueur qui avec des amis faisait chaque année un jeûne complet du 6 au 9 août, en guise de protestation morale. Leur devise étant : croire quand même, espérer quand même, aimer quand même. On peut se gausser de ces gestes symboliques idéalistes. Mais si nous restons placides, ne soyons pas alors surpris d’être foudroyés par un Armageddon en embuscade.

C’est Benoît XVI, ce pape sous-estimé, qui a trouvé les mots les plus justes le 1er janvier 2006 : “Dans une guerre nucléaire, il n’y aurait pas de vainqueurs, mais seulement des victimes. La vérité de la paix exige qu’on s’oriente vers un désarmement nucléaire progressif et convergent.” Qu’ajouter de plus ?

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