Hugo Chavez a-t-il été un grand président?
La disparition d’Hugo Chavez a provoqué une onde de choc en Amérique latine et de nombreuses réactions dans le monde. C’est désormais l’heure des bilans. Ils sont contrastés. Interviews croisées.
- Publié le 07-03-2013 à 08h40
- Mis à jour le 07-03-2013 à 08h55
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NON
Corentin De Salle, juriste et philisophe
Le bilan est désastreux. La présidence de Chavez a été une tragédie tant au niveau politique qu'économique pour les Vénézuéliens et son règne est une excellente expression de la vitesse fulgurante avec laquelle une société peut s'autodétruire quand un socialiste est seul aux manettes et peut agir sans contrepoids.
Vous parlez d’un bilan désastreux. Voyez-vous cependant des points positifs ?
Il faut reconnaître que c’est quelqu’un qui a vraiment redonné espoir à toute une génération de personnes qui vivent dans un pays aux structures très féodales. C’est quelqu’un qui, indéniablement, est extrêmement charismatique et qui, de manière très romantique, a tenu tête aux Etats-Unis sur fond de guerre du pétrole. Il restera cette image et il va rejoindre la mythologie des grands leaders d’extrême gauche latino-américains comme les Che Guevara, Castro, etc. Face à un bilan globalement désastreux, comme je le disais d’emblée, je vois deux circonstances atténuantes : on ne peut pas faire de lui le comptable de tous les maux qui existent au Venezuela car un certain nombre existaient avant lui et d’autre part, c’est une région très instable au niveau naturel qui connaît des tremblements de terre, des raz-de-marée, des glissements de terrain. Il faut avoir tout cela en tête quand on juge le personnage. Au niveau des points positifs, on peut aussi dire que c’est quelqu’un qui a vraiment lutté efficacement contre la pauvreté, qui a fait alphabétiser une partie de son peuple, mais d’un autre côté, les résultats en termes de développement humain sont plus ou moins similaires à ceux d’autres pays avoisinants.
Cette dernière appréciation est très positive...
J’introduirais cependant deux nuances par rapport à la lutte contre la pauvreté. D’une part, cette lutte s’est faite par une distribution de la rente pétrolière. Mais je me pose la question de savoir si on lutte vraiment contre la pauvreté simplement en distribuant de l’argent. N’est-ce pas une manière de rendre la population dépendante ? Ma deuxième réserve, c’est le financement des programmes sociaux qu’il a mis en œuvre. Cela a été fait en s’appuyant sur la rente pétrolière, et c’est problématique quand une économie dépend à ce point des cours des matières premières. Il n’a donc pas fait grand-chose pour diversifier son économie.
Y a-t-il eu des échecs retentissants ?
Au niveau économique, beaucoup d’indicateurs montrent qu’il y a eu une forme d’effondrement. On est dans une situation où l’inflation dépasse les 20 %. Il y a deux fois moins d’entreprises qui opèrent sur le territoire qu’il y a 15 ans car les expropriations ont touché, outre les multinationales, des entrepreneurs locaux. D’autre part, il y a 70 % des produits de consommation qui sont importés de l’étranger. Enfin, il y a eu un énorme programme de nationalisations qui ont touché notamment toutes les raffineries de pétrole, auparavant gérées par des étrangers, et qui ont toutes progressivement fermé, notamment parce qu’il avait mis à leur tête des généraux. De ce fait, et c’est paradoxal pour un pays aussi riche en pétrole, le pays importe désormais tous ses carburants pour la consommation intérieure. Mais ses nationalisations ne se sont pas arrêtées là et ont touché quasiment tous les secteurs économiques, jusqu’au commerce de détail, ce qui provoque aujourd’hui de fortes pénuries de biens alimentaires.
D’un point de vue politique, est-ce un démocrate ou un dictateur ?
Il a maintenu la structure de la démocratie ; cela dit, il y a toute une série de rapports qui montrent qu’au niveau des droits de l’homme, il y a eu énormément d’abus. Et quand la Cour interaméricaine des droits de l’homme le lui a fait observer, il a décidé de s’en retirer. Il y a eu beaucoup de traits qui l’ont rapproché d’un dictateur : le culte de la personnalité, la manipulation des populations, la pression sur la presse. Il y a eu aussi toute une série de manœuvres antidémocratiques pour compliquer le déroulement des élections. C’est une société qui est devenue fortement clientéliste avec un important fond de corruption. Enfin, il a soutenu beaucoup de dictateurs dans le monde, non seulement politiquement, mais aussi dans certains cas en les faisant profiter de ses richesses pétrolières.
"Il y a eu un énorme programme de nationalisations qui ont touché notamment toutes les raffineries de pétrole, auparavant gérées par des étrangers, et qui ont toutes progressivement fermé, notamment parce qu’il avait mis à leur tête des généraux."
OUI
Hugues Le Paige, Directeur de la revue "Politique".
Chavez a gagné toutes les élections. Il s'est présenté à tous les niveaux de pouvoir et cela sous la surveillance extrêmement vigilante d'observateurs internationaux qui, même opposés au régime, n'ont rien trouvé à redire. Il y a dans nos régimes occidentaux une volonté de noircir le régime de Chavez, sur un plan qui me parait peu critiquable.
Beaucoup de réactions à la mort de Chavez ont salué son action. Est-ce aussi votre appréciation ?
Après le voyage que j’ai effectué en 2007 au Venezuela, il y avait une conclusion qui pour moi n’a pas varié depuis cette époque-là: le bilan de Chavez est d’avoir laissé un pays plus démocratique et plus égalitaire qu’il ne l’était quand il est arrivé au pouvoir. C’est vrai que Chavez est un dirigeant populiste, qui s’est inscrit dans une tradition de personnalisation du pouvoir, un peu paternaliste, qui a tenté d’avoir une relation personnelle avec tous les citoyens de son pays. Mais il a amené plus de justice dans son pays et plus de démocratie.
Mais, pourtant, certains le qualifient de dictateur.
Ah, non, là, c’est faux. On doit s’entendre sur la définition du populisme. Et du populisme de gauche, évidemment bien différente des populismes de droite auxquels on a droit tous les jours ici en Europe. Là, c’est un cas particulier propre à l’Amérique latine. Il ne faut pas oublier que quand Chavez arrive au pouvoir, on sort d’un pays où les oligarchies sont toutes au pouvoir. Les partis traditionnels sont complètement corrompus. Il n’y a pas de véritable pluralisme. C’est vrai qu’alors Chavez a eu tendance à occuper l’ensemble du spectre politique mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu depuis lui une véritable participation populaire à la chose publique. Les gens se sont pris en charge, ont organisé leur vie collective. On a beau dire que Chavez occupait les médias mais il ne faut pas oublier que 70 à 80 % des médias sont des propriétés privées aux mains de l’opposition. Il n’y a rien de dictatorial dans ce régime. Moi-même, j’ai assisté à une campagne électorale, pour un référendum sur la réforme de la Constitution, et j’ai vu à Caracas tant des partisans de Chavez que des représentants de l’opposition qui tenaient meeting. Il n’y avait pas d’obstacle à la liberté d’expression. Il ne faut pas oublier non plus qu’en 14 ans de pouvoir, Chavez a gagné toutes les élections. Il s’est présenté à tous les niveaux de pouvoir et cela sous la surveillance extrêmement vigilante d’observateurs internationaux qui, même opposés au régime, n’ont rien trouvé à redire. Il y a dans nos régimes occidentaux une volonté de noircir le régime de Chavez sur un plan qui me paraît peu critiquable.
Personne ne s’est réjoui de sa disparition…
Si ! Hier matin, j’ai constaté que l’annonce de sa mort avait fait monter toutes les Bourses. C’est, évidemment, que dans le rapport de forces Nord-Sud, Chavez était du mauvais côté par rapport au pouvoir économique que nous connaissons dans les pays occidentaux.
Certains affirment que malgré l’importante manne pétrolière, le programme des nationalisations a été un échec complet. Votre avis ?
Il y a une bureaucratie existante. Il y a des pesanteurs sur l’économie qui ont certainement joué. Et il y a eu des problèmes de gestion. Mais si on prend trois secteurs qui sont déterminants dans la vie des hommes et des femmes d’un pays - la santé, l’éducation, le logement - la situation entre l’arrivée de Chavez et sa mort est absolument incomparable.
Sa principale réussite est donc sociale ?
Elle est d’avoir, à la fin du XXe siècle, insufflé l’idée qu’il était possible de modifier les rapports sociaux et politiques. Chavez a incarné cette idée qu’un autre monde était possible. Ce fut d’ailleurs le leitmotiv des altermondialistes. Maintenant, malgré la réelle participation populaire dont je parlais, il faut bien constater que ce régime reposait essentiellement sur la personnalité de Chavez. Est-ce que demain, lui n’étant plus là, ceux qui vont lui succéder parviendront à maintenir tous ses acquis, c’est une vraie question. La force de Chavez, sa personnalité, son charisme, sa capacité de mettre en marche les choses sont aussi sa faiblesse, dans la mesure où le régime reposait sur un seul homme.
Que pensez-vous de ses fréquentations internationales ?
Il n’a pas fait dans le détail. Autant son action pour créer en Amérique latine un camp d’anti-impérialisme me paraît légitime et tout à fait positive, autant pour le reste, il n’hésitait pas à s’aligner sur certains régimes (l’Iran, la Libye, etc.) et cela reposait sur une forme de cynisme : "Les ennemis de mes ennemis sont des amis".
"Est-ce que demain, lui n’étant plus là, ceux qui vont lui succéder parviendront à maintenir tous ses acquis, c’est une vraie question. La force de Chavez, sa personnalité, son charisme, sa capacité de mettre en marche les choses sont aussi sa faiblesse, dans la mesure où le régime reposait sur un seul homme."