Faut-il généraliser un test d’entrée dans le supérieur?

La rentrée dans l’enseignement supérieur francophone est l’occasion de rappeler que seul un étudiant sur cinq y réussit ses études sans retard. Des échecs qui coûteraient cinq milliards d’euros en Wallonie et à Bruxelles. Comment y remédier ? En effectuant un tri préalable ? Interviews croisées.

Thierry Boutte/Monique Baus
Faut-il généraliser un test d’entrée dans le supérieur?
©Christophe Bortels

Pour Jean Hindriks, Professeur d’économie à l’Université catholique de Louvain (UCL) et Senior Fellow chez l’Itinera Institute, la réponse est OUI .

"Il faut généraliser les tests d’entrée à l’ensemble de l’enseignement supérieur pour réduire l’échec. La Communauté française connaît un des plus hauts taux d’échec dans l’enseignement supérieur. Parce que les autorités veulent maximiser le nombre d’étudiants inscrits. Parce que les étudiants manquent d’informations sur leur niveau pour suivre telle formation"

Que représentent les échecs dans l’enseignement supérieur universitaire et non universitaire?

Ils sont très importants en particulier en première année où le taux d’échec peut monter à 65-70 % en économie, voire 80 % en médecine. Par contre, en ingénieur civil, doté d’un examen d’entrée, le taux d’échec est deux fois moins élevé. Selon l’étude réalisée voici un an, on dénombrait environ 155 000 étudiants dans l’enseignement supérieur francophone. Parmi ceux-ci seul 1 étudiant sur cinq réussit ses études sans retard, alors que les autres auront échoué au moins une fois dans leurs études supérieures, soit 125 000 étudiants. Le coût de l’échec est de 10 000 euros pour l’étudiant, 10 000 euros pour l’Etat et 20 000 euros de manque à gagner lié au retard dans l’activité professionnelle. Soit un total de 40 000 euros (sans compter le coût psychologique de l’échec). Si on multiplie ce coût par les étudiants en échec, on atteint la somme de 5 milliards d’euros.

A quoi attribuez-vous ce taux d’échec?

Ce taux d’échec si haut est spécifique à la Belgique au sein des pays développés, et surtout à la Communauté française. Deux raisons. D’abord, un problème de nombre fondé sur la croyance que plus il y a d’étudiants dans le supérieur, mieux c’est, quels que soient les résultats. L’objectif des autorités est d’y maximiser le nombre d’étudiants inscrits. L’alternative, telle en Allemagne, est que plus de jeunes rentrent sur le marché du travail (où le taux de chômage est moindre). Chez nous, les autorités se flattent d’avoir le pourcentage le plus élevé de jeunes inscrits dans le supérieur. Mais en 40 ans, le nombre d’étudiants a doublé avec un budget constant. Résultat : l’enseignement supérieur francophone est devenu une jungle où les plus forts survivent. Deuxième raison : les étudiants n’ont aucune information sur leur capacité à suivre telle ou telle formation. Possèdent-ils un niveau suffisant pour s’engager dans telle orientation ? Non ? Alors quels cours de mise à niveau doivent-ils prendre ?

Quelle solution proposez-vous?

Pour réduire l’échec, il faut généraliser des tests d’entrée dans le supérieur. L’étudiant serait ainsi obligé de se tester et en quelque sorte de se protéger contre lui-même. Compte tenu de ce qui est attendu dans la 1re année de son orientation, il – et ses parents souvent bailleurs de fonds – serait informé sur son niveau ou ses déficits. Il pourra alors s’orienter intelligemment et non – faute d’information – intuitivement ou de façon grégaire suivant la mode de faire psycho ou le droit. Libre aussi à lui de dire : “Je pars quand même avec mon handicap mais motivé à le rattraper.” Ce n’est pas à l’autorité publique d’interdire l’accès à une formation mais bien d’informer l’étudiant sur ses capacités. C’est l’idée d’une sélection volontaire et non autoritaire.

Est-ce efficace ?

Oui, dans la mesure où des critères objectifs sont utilisés. L’échantillon des étudiants retenus sera celui des mieux préparés ou des plus motivés (avec un handicap mais une sérieuse volonté). Je me réfère aussi à la Flandre. Quand existent des examens d’entrée obligatoires autoritaires (test raté = non-inscription), le taux de réussite des étudiants en première année (médecine et dentisterie) passe du simple au double. A l’inverse, en 2004-2005, l’examen d’entrée a été supprimé pour lutter contre la pénurie d’ingénieurs. Conséquence, le nombre d’inscriptions a augmenté de 11 % mais le taux de réussite est passé de 70 % (avec l’examen) à 50 % (sans l’examen). Au final, cette politique n’a pas réussi à augmenter le nombre d’ingénieurs, mais elle a augmenté sérieusement le taux d’échec. A méditer.

Généraliser de tels tests, n’est-ce pas trop élitiste ?

Réaliste. Tous les élèves n’arrivent pas avec le même bagage. En reconnaissant cette différence, les tests vont permettre de travailler en amont, de modifier les stratégies d’enseignement secondaire et, connaissant le contenu des tests, de mieux préparer à certaines disciplines. Ne faut-il pas harmoniser un enseignement secondaire fort disparate ? 80 % d’échec dans une 1re année du supérieur pointent surtout un échec de l’enseignement secondaire de transition. Réfléchissons sans tabou pour arrêter ce carnage. On ne peut pas baisser le niveau d’exigence dans le supérieur pour permettre à tout le monde d’y accéder. Et on ne peut pas maintenir notre enseignement supérieur comme lieu privilégié d’apprentissage de l’échec.

Pour Corinne Martin, Présidente de la Fef (Fédération des étudiants francophones), la réponse est NON .

"Un test ou un examen d’entrée n’est qu’un moyen pour enlever le symptôme de trop d’étudiants, mais sans guérir la maladie qui est le sous-financement de l’enseignement supérieur. De plus, cela va décourager les plus faibles et ceux qui, par leur milieu socio-économique, hésitaient à entamer des études."

Les constats de départ sont inquiétants : en 20 ans, les dépenses par étudiant de l’enseignement supérieur francophone ont diminué d’un cinquième, par contre le nombre d’étudiants a doublé. Dans le même temps, on chiffre la facture des échecs à ce niveau à cinq milliards d’euros par an en Fédération Wallonie-Bruxelles. Alors, ne faut-il pas, comme le préconisent certains, généraliser un test avant l’inscription pour décourager les étudiants qui n’auraient pas le niveau?

Certainement pas. Nous sommes contre toute forme d’examen d’entrée dans l’enseignement supérieur, même s’il s’agit d’un test non contraignant. D’abord parce que notre enseignement secondaire est reconnu comme l’un des plus inégalitaires d’Europe. Tous les étudiants qui réussissent leurs secondaires n’ont pas les mêmes capacités pour réussir dans l’enseignement supérieur. Ensuite, un examen d’entrée va cristalliser les disparités socio-économiques qui existent. On sait qu’un étudiant qui a un parent universitaire a plus de facilités à l’université qu’un autre qui n’en a pas. Donc, un test ou un examen va décourager les plus faibles mais aussi ceux qui, par leur milieu socio-économique hésitaient à entamer des études. Enfin, un test ou un examen d’entrée ne tient pas compte de paramètres non maîtrisables et qui sont pourtant très utiles dans la réussite d’un étudiant, tels que la motivation ou la personnalité de l’étudiant. Toutes ces réserves sont valables qu’il s’agisse d’un examen d’entrée éliminatoire ou d’un test non contraignant qui comporte lui aussi ces mêmes aspects de sélection et de découragement, cachés derrière le prétexte de l’aide à la réussite. Mais si rien n’est mis sur pied pour encadrer l’étudiant qui échoue, cela ne sert à rien.

Etes-vous d’accord avec le fait qu’il y a trop de monde dans les auditoires, ou alors n’est-ce pas là le problème ?

Ce n’est pas ça le problème. L’enseignement supérieur est largement sous-financé. Tous les acteurs de l’enseignement supérieur sont d’accord là-dessus : les établissements, le cabinet du ministre et les étudiants. L’Union européenne recommande un financement de 10 % du PIB pour l’enseignement supérieur. Chez nous, on est largement en dessous, à 1,3 % ! Ce n’est donc pas un problème de trop d’étudiants, mais de trop peu de moyens pour les accueillir. En 40 ans, le taux d’encadrement des étudiants a diminué de 50 %. Les infrastructures ne suivent pas non plus. En fait, un test ou un examen d’entrée, c’est un moyen pour enlever le symptôme de trop d’étudiants, mais sans guérir la maladie qui est le sous-financement de l’enseignement supérieur.

Croyez-vous que tout le monde peut réussir ?

En soi, personne n’est apte ou inapte à faire des études supérieures. L’enseignement a un rôle d’ascenseur social à jouer. Le succès passe par une meilleure aide à la réussite, adaptée, financée et qui corresponde aux besoins des étudiants.

Qu’est-ce qui est fait actuellement pour lutter contre l’échec ?

Certains établissements mettent en place des systèmes d’aide à la réussite et de remédiation, mais ce n’est pas une pratique généralisée ni encouragée voire rendue obligatoire par le ministre de l’Enseignement supérieur. Pourtant, cela permettrait de diminuer la facture des échecs chaque année.

Question de budget, là aussi ?

Oui, et c’est pourquoi les élections régionales et fédérales seront capitales. Ce sera l’occasion de remettre en question le système de financement en enveloppe fermée. Les chiffres de l’OCDE montrent qu’un euro investi dans l’enseignement en rapporte quatre à l’Etat, à long terme. C’est donc un investissement, pas un coût.

Parmi les autres “petites idées” qui circulent, il y a aussi l’adaptation du minerval aux revenus des parents. Etes-vous pour ?

La Fef est contre tout minerval. L’étudiant ne devrait pas payer plus ou moins cher pour pouvoir étudier dans la mesure où ses parents contribuent déjà à l’enseignement supérieur par leurs impôts. Nous revendiquons un enseignement public gratuit.


Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...