Libre, la vente de cigarettes électroniques?
Les e-cigarettes avec nicotine ou allégation d’aide à l’arrêt de fumer sont des médicaments. Interdit donc de les vendre dans de simples magasins. Mais la réalité sur le terrain est autre et les ventes explosent. Entretiens croisés.
Publié le 01-10-2013 à 05h41 - Mis à jour le 12-11-2013 à 20h10
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Entretiens croisés. NON
Mathieu Capouet, responsable politique tabac au Service Public Fédéral Santé publique.
Les cigarettes électroniques qui contiennent de la nicotine et celles qui affichent des allégations d’aide à l’arrêt de fumer sont des médicaments et doivent être enregistrées et vendues comme tels. Elles ne peuvent donc pas être commercialisées dans ces magasins spécialisés. Ces vendeurs sont passables d’amendes élevées pouvant aller de 1200 à 90000 euros.
Les cigarettes électroniques sont-elles en vente libre?
Pas du tout. En Belgique, la loi classe les cigarettes électroniques de trois manières. Un : celles qui contiennent des extraits de tabac sont considérées comme tabac. Donc si il y a des extraits de tabac dans le liquide -pour donner un arôme- le produit doit répondre aux mêmes lois qu’une cigarette en matière d’étiquetage, d’interdiction de publicité et de vente aux moins de 16 ans, etc. Fort présentes au début en 2007 - 2008, ces cigarettes électroniques sont minoritaires et ne posent guère de problème. Deux : les cigarettes électroniques qui contiennent de la nicotine et celles qui, avec ou sans nicotine, affichent des allégations d’aide à l’arrêt de fumer. Pour nous, il s’agit d’un médicament qui doit être enregistré comme tel. Pour être mis légalement sur le marché, il faut faire une demande auprès de l’Agence du médicament. Le dossier est complexe et oblige à prouver la qualité, la sécurité et l’efficacité du médicament. Mais à ce jour, aucun producteur n’a entamé les démarches auprès de l’agence pour une autorisation de mise sur le marché de cigarettes électroniques avec nicotine ou avec allégations d’aide à l’arrêt. Donc, dans la réalité, elles sont toutes interdites sur le marché belge. Trois : les cigarettes électroniques sans extrait de tabac, sans nicotine et sans allégation d’aide à l’arrêt. Elles peuvent être légalement mises en commerce si elles répondent à la loi sur la sécurité des produits. Normalement, seuls ces produits peuvent être vendus dans les magasins.
Mais comment se fait-il que plusieurs magasins spécialisés vendent des cigarettes électroniques avec nicotine?
Les services de contrôle de l’agence du médicament sont au courant et vont effectuer des contrôles. Ces vendeurs sont passables d’amendes élevées pouvant aller de 1200 à 90000 euros.
Aucun flou ne pourrait laisser croire le contraire?
Non, c’est interdit en Belgique et nous le répétons depuis 2008. Maintenant, au niveau européen, nos voisins n’ont pas les mêmes positions. En France, il existe de nombreux magasins de cigarettes électroniques. Et ces infos percolent chez nous, de là sans doute une petite confusion. Sur Internet, c’est tout aussi illégal, au même titre qu’acheter des médicaments.
Pourquoi ce problème avec les e-cigarettes avec nicotine?
La nicotine est un produit pharmacologique. Ce médicament au même titre qu’un patch ou un chewing-gum Nicorette doit être vendu comme tel. La nicotine est en soi un produit très nocif. Surdosé, il peut produire des palpitations et des malaises notamment auprès des personnes cardiaques. Certaines cigarettes électroniques sont annoncées à zéro milligrammes de nicotine alors qu’elles en contiennent. La qualité des produits sur le marché est très diverse. Parfois certains liquides contenant la nicotine peuvent couler. Les services de contrôle des médicaments ont déjà trouvé des liquides de recharge qui, sur 50 millilitres contiennent 1 gramme de nicotine. Ingérée, la dose létale pour un enfant n’est que de 10 milligrammes et de 40 à 50 milligrammes pour un adulte. Imaginez le danger!
Pourtant les vendeurs présentent ces cigarettes électroniques comme étant moins dangereuses.
Beaucoup de fausses informations circulent. On peut discuter sur la nocivité moindre par rapport à la fumée de vraies cigarettes vu que nous n’avons pas encore d’études à long terme sur la toxicité de la cigarette électronique. Mais les premières analyses montrent qu’elles contiennent des produits cancérigènes comme du formaldehyde ou certains métaux lourds sous forme de nanoparticules qui sont inhalés très profondément dans les poumons. Contrairement à ce que certains vendeurs veulent faire croire, non, ce produit n’est pas neutre mais toxique.
Puis-je vapoter ces e-cigarettes partout?
Non, toutes les cigarettes électroniques - même sans extrait de tabac, sans nicotine et sans allégation d’aide à l’arrêt- sont interdites dans les lieux publics avec interdiction de fumer. Parce que la loi interdit tous les éléments susceptibles de faire croire que fumer y est autorisé. Ainsi, un cendrier sur une table y est interdit.
Simon Lévy, propriétaire du Smoky Club, magasin spécialisé en cigarettes électroniques à Bruxelles.
La cigarette électronique a permis à de nombreux clients d’arrêter de fumer des cigarettes aux effets nocifs. Nous vendons des produits contenant de la nicotine mais n’avons encore eu ni inspection, ni avis. Nous attendons une décision concrète des autorités belges. Une interdiction totale n’aurait de sens que si elle était associée à celle des cigarettes traditionnelles.
Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est la cigarette électronique, ainsi que ses avantages par rapport à une cigarette traditionnelle?
C’est très simple. Une cigarette électronique se compose d’une batterie, et d’une petite fiole où on met un produit. C’est de la vapeur d’eau que nous fumons, au lieu de la fumée de cigarette. Vous continuez d’avoir le geste d’une cigarette normale, sans tous les mauvais éléments que l’on retrouve dans une cigarette normale, comme le goudron et tous ces produits nocifs.
Qu’est-ce qui vous a motivé à commencer ce type de magasin, le premier à Bruxelles?
C’est le premier que nous avons ouvert en Belgique, il y a huit mois. Nous avons vu ce produit il y a trois, quatre ans et l’avons ramené en échantillonnage. Nous avons essayé de le proposer au public, mais celui-ci ne réagissait pas encore. La consommation de cigarettes électroniques a commencé doucement en France, pour exploser ensuite. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de l’importer en France. Comme ça fonctionnait bien là-bas, on a décidé de faire la même chose en Belgique. Il y a un gros marché, avec beaucoup de curieux, beaucoup de personnes qui commencent à utiliser la cigarette électronique. Il n’y a pas encore de chiffres pour la consommation belge. En France, il y a 1,5 million de fumeurs électroniques, donc je suppose que le mouvement va suivre rapidement en Belgique.
Quel type de produits vendez-vous dans votre magasin?
La cigarette électronique se décline en plusieurs versions, mais le principe est toujours le même : le produit, la fiole, le remplissage. Ensuite, vous avez plusieurs chargeurs : chargeurs voiture, chargeurs secteurs. Pour ce qui est de la fiole, nous proposons des arômes qui se déclinent en quelques dizaines de goûts différents : tabac, fruits, menthe, bonbons… Nous avons bien quelques produits avec de la nicotine, qu’on rajoute à une base d’arômes. Les taux de nicotine varient en fonction du produit. Pour ceux qui veulent s’arrêter de fumer, nous conseillons évidemment de commencer tout de suite par un remplissage à zéro nicotine, afin d’avoir le geste du fumeur mais sans la fumée et les effets nocifs. Les arômes sans nicotine constituent d’ailleurs une grosse partie de nos ventes. Par contre, nous ne proposons pas de produits qui permettent d’arrêter de fumer. Ça, ce sont des médicaments. Notre argument de vente avec les cigarettes électroniques n’est pas d’arrêter de fumer, mais de fumer différemment, en empêchant les effets nocifs d’une vraie cigarette.
La législation autour des cigarettes électroniques est complexe, un peu floue. Comment appréhender cette situation en tant que vendeur?
Pour l’instant, nous nous trouvons effectivement dans une zone grise. Nous attendons avec impatience la réunion du 8 octobre au Parlement, pour savoir ce qui va se décider quant au futur de la cigarette électronique.
Pourtant, il est clair que dans l’état actuel des choses la commercialisation de produits contenant de la nicotine est interdite.
Pour l’instant, nous achetons tous ces produits de nicotine auprès d’une grande société agréée en France. Nous attendons des réponses claires des autorités belges avant d’avancer. Pour ce qui est du contrôle par les autorités, nous n’avons encore eu ni inspection, ni avis.
Comment réagir si, le 8 octobre, les autorités interdisaient toute cigarette électronique?
On anticipera, on verra. J’ai du mal à croire qu’ils puissent arrêter la vente d’un produit qui n’est en fait qu’une batterie et une fiole. Dans ce cas, on devrait interdire la vente de piles dans les grandes surfaces. Le produit lui-même se compose de propylène et de glycérine végétale, des substances agréés en France. Il n’y a aucune raison de l’interdire. Si les autorités décident d’arrêter la cigarette électronique, elles devraient impérativement bannir la cigarette normale. Le succès est établi : plus de 80 % de nos clients ont arrêté de fumer, ou fument différemment, grâce aux cigarettes électroniques. Il vaut toujours mieux vapoter que d’utiliser un patch…