Joyeuses entrées : est-ce la place des élèves ?
Depuis quelques semaines, les nouveaux Souverains se plient à la tradition, en se rendant dans les chefs-lieux des différentes provinces du pays. A cette occasion, les enfants des écoles sont souvent présents en masse. Ne sont-ils pas instrumentalisés ? Interviews croisées.
Publié le 03-10-2013 à 05h39 - Mis à jour le 04-10-2013 à 15h34
Depuis quelques semaines, les nouveaux Souverains se plient à la tradition, en se rendant dans les chefs-lieux des différentes provinces du pays. A cette occasion, les enfants des écoles sont souvent présents en masse. Ne sont-ils pas instrumentalisés ? Interviews croisées.
RECTO
Eliane Monfils, echevine de l’Instruction (MR) à Wavre
Les directions d’écoles ont laissé le choix aux enseignants d’y aller ou pas. D’ailleurs, je n’ai entendu personne protester, ni dans les écoles, ni chez les parents. Qu’est-ce qu’on va chercher avec cette neutralité ? Cela fait partie de l’histoire du pays. En république, ils vont aussi voir le président. Cette question ne m’a même pas effleuré l’esprit.
1 500 élèves des différents réseaux d’enseignement ont participé il y a quelques jours à la "joyeuse entrée" du couple royal à Wavre. Certains vous reprochent de les avoir réquisitionnés pour faire nombre. Est-ce vrai ?
Ce que j’ai fait, en tant qu’échevine de l’Instruction publique, et uniquement parce que la police me le demandait, c’est d’envoyer un mail à toutes les écoles fondamentales de Wavre pour savoir si elles comptaient participer à la Joyeuse Entrée et, dans l’affirmative, avec combien d’élèves. Je me suis limitée strictement à cette question de logistique. Il se fait que toutes les écoles ont répondu positivement. Pour le reste, 1 500 élèves de toute l’entité, et des communes voisines aussi, étaient présents, alors qu’il y avait 8 000 personnes dans la rue. Dire que j’ai fait pression sur eux, ou leurs enseignants, pour remplir l’assistance est faux et malhonnête.
Cela dépend donc de la direction des écoles et des enseignants d’y aller avec leurs élèves. Etait-ce bien leur place ?
Vous pouvez téléphoner dans les écoles concernées, toutes vous diront que ma tâche a seulement consisté à leur demander quelles étaient leurs intentions. D’autre part, en général, les directions d’écoles ont laissé le choix aux enseignants d’y aller ou pas. C’était entièrement laissé à leur liberté. D’ailleurs, je n’ai entendu personne se plaindre ou protester, ni dans les écoles, ni chez les parents.
N’est-ce-pas en contradiction avec le devoir de neutralité de l’école ?
C’est quoi cela ? Qu’est-ce que vous allez chercher là ? Ces reproches, que j’ai entendus de plusieurs parts, me choquent à un point que vous ne pouvez pas savoir. Je ne comprends pas cette polémique qu’il y a là autour. Quand j’étais gosse, j’ai assisté à l’arrivée du roi Baudouin et de la reine Fabiola. J’ai été marquée par cet événement. Je me vois encore comme si c’était hier. Qu’est-ce qu’on va chercher avec cette neutralité ? Cela fait partie de l’histoire du pays. En république, ils vont aussi voir le président. Cette question ne m’a même pas effleuré l’esprit. C’était évident pour moi.
Est-ce que les parents ont eu leur mot à dire ?
Je n’en sais rien et je ne comprends même pas la question. Cela fait partie de l’histoire du pays, quand même. Nous vivons dans une monarchie et une dynastie. J’ai été moi-même enseignante en 6e primaire, je donnais cours d’histoire, et je parlais évidemment de la manière dont la Belgique était née. Pour les enseignants, c’est une possibilité de rattacher l’actualité à l’histoire de manière très concrète. Tous les réseaux étaient spontanément là. Les plus nombreux venaient de l’Athénée royal Maurice Carême, donc vous voyez… D’ailleurs, pour des enfants, le Roi et la Reine, c’est un peu un conte de fées, et c’est idiot d’aller voir là de l’endoctrinement. Mais avec quoi vient-on ?
Certains ne voient aucune valeur pédagogique dans une telle sortie scolaire. Vous oui ?
Mais évidemment ! Les petits Français étudient bien l’histoire de leur pays, avec, intimement liée, celle de la République. Qu’est-ce qu’il y a de mal à cela ? Cela fait partie de la vie de tous les jours, et de la culture générale. Pour moi, c’est clair, cela a une valeur pédagogique.
Y a-t-il dans les écoles communales de votre ville des cours spécifiques d’éveil à la citoyenneté ? Et sont-ils donnés dans le cadre des cours dits philosophiques ?
Oui, bien sûr. Pas dans les cours philosophiques, car, dans les écoles communales, on est obligé de donner tous les cours philosophiques, et leur contenu ne dépend pas de nous. Mais je suppose que dans ces différents cours, il y a un enseignement sur la façon de se comporter dans la société, sur le respect à l’égard des autres, etc.
Comme responsable politique, qu’est-ce que cela vous fait d’entendre de nombreuses critiques à l’égard de la famille royale ?
Que ce soit comme citoyenne, comme enseignante, ou comme responsable politique, je ne les comprends pas du tout. Je suis belge et fière de l’être. Et la monarchie, c’est pour moi la base de l’union des Belges.
VERSO
Johanna de Villers, chargée de mission à la Fapeo (Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel)
La neutralité exigée de l’enseignement officiel consiste à demander aux enseignants de ne pas afficher publiquement leurs opinions politiques ou philosophiques, et à enseigner plutôt aux élèves la diversité des points de vue. Si on fait participer les élèves en y mettant un sens politique de soutien inconditionnel à la monarchie, cela pose un vrai problème.
Est-il normal, selon vous, de réquisitionner des élèves pour une visite royale ?
Réquisitionner, non, certainement pas. Si on parle d’amener une école et des élèves à participer à une Joyeuse Entrée, nous n’avons pas d’opposition de principe. Mais si le pouvoir organisateur, en l’occurrence un bourgmestre, demande à ses écoles d’assister à une telle manifestation, pour s’assurer qu’il y aura un minimum de monde, cela ne va pas. Toute la question tourne autour du contenu qu’on met dans cette participation. Que demande-t-on aux enfants ? D’applaudir ? De secouer des petits drapeaux ? De participer à une fête populaire ? A la limite, cela va. Ou s’agit-il d’adhérer, même inconsciemment, au principe de la monarchie ? Cela poserait un vrai problème.
Une participation n’est-elle pas en contradiction avec le devoir de neutralité de chaque école officielle ? L’échevine wavrienne de l’Education à qui nous avons posé la question (lire ci-contre) n’y voit absolument pas malice. Quel est votre point de vue, en tant qu’association de parents ?
Cela dépend du sens que l’on met dans cette participation aux Joyeuses Entrées. Que se passe-t-il en amont, et puis en aval ? La neutralité exigée de l’enseignement officiel consiste à demander aux enseignants de ne pas afficher publiquement leurs opinions politiques ou philosophiques, et à enseigner plutôt aux élèves la diversité des points de vue. Si en préparant justement cette sortie scolaire, on initie les élèves à la question de la monarchie, si on reste dans un contexte historique, si on explique le sens des Joyeuses Entrées, si on précise qu’il y a des gens qui sont par exemple républicains et qui défendent d’autres opinions, si on explique bien que la monarchie chez nous doit strictement respecter la constitution et ne pas faire n’importe quoi comme dans certains pays, si donc, pour résumer, on est dans une démarche citoyenne avec les élèves, on reste alors dans le principe de neutralité. En revanche, si on fait participer les élèves à ce genre de manifestation en y mettant un sens politique de soutien inconditionnel à la monarchie, cela pose un vrai problème. De toute façon, je considère qu’une Joyeuse Entrée n’est pas le meilleur endroit pour initier une démarche citoyenne.
Les parents sont-ils consultés à propos d’une telle initiative des enseignants et si non, devraient-ils l’être ?
On n’a pas d’opinion tranchée sur la question. Ce qui est clair, c’est qu’on doit informer les parents quand il y a une sortie prévue, quelle qu’elle soit. Et les parents devraient pouvoir refuser que leurs enfants y participent. Mais nous devons reconnaître que le problème ne s’est pas posé chez nous, puisque nous n’avons pas eu de réaction de parents qui auraient voulu s’opposer à pareille chose.
D’une manière plus large, comment faut-il aborder cette question de l’instruction civique et citoyenne dans les écoles officielles ? Où est le lieu pour le faire ? Est-ce dans le cadre des cours philosophiques ? Ailleurs ?
Le lieu de l’éducation citoyenne, il est d’abord dans l’ensemble de l’école, de manière transversale. Par exemple, en consultant les élèves par rapport à certains projets de l’établissement, ou en les amenant à être candidats pour les conseils de participation. Au-delà de cela, l’éducation civique ne peut pas se faire dans le cadre de l’organisation actuelle des cours philosophiques, en tout cas dans l’enseignement officiel, pour la bonne et simple raison que les enfants sont séparés pour l’enseignement de ces matières, alors qu’ils doivent apprendre des valeurs organisant le vivre-ensemble, la démocratie, etc. Ensuite, les enseignants de cours philosophiques ne sont pas soumis au décret "neutralité", et donc le contrôle des matières ne peut être effectué.
C’est pourtant ce qui se passe souvent. C’est dans ces cours philosophiques que ces sujets sont abordés…
Actuellement, oui, c’est parfois le cas. Mais c’est loin d’être idéal. Voilà bien un enseignement qui mérite, et nécessite même, un discours cohérent, et pas influencé par des valeurs différentes d’un cas à l’autre.