Nécessaire et acceptable, la fessée?

A Nivelles, une institutrice est écartée pour avoir donné une fessée à un enfant. En France, un père a été condamné à une amende pour avoir fessé son fils. 23 des 47 pays membres du Conseil de l’Europe ont légiféré pour l’interdire. La Belgique et la France n’en font pas partie. Entretiens croisés.

Entretiens>Monique Baus et Thierry Boutte
Nécessaire et acceptable, la fessée?
©Eadweard Muybridge

A Nivelles, une institutrice est écartée pour avoir donné une fessée à un enfant. En France, un père a été condamné à une amende pour avoir fessé son fils. 23 des 47 pays membres du Conseil de l’Europe ont légiféré pour l’interdire. La Belgique et la France n’en font pas partie. Découvrez le OUI d'Edwige Antier et le NON de Dany De Baeremaeker. Découvrez le "NON" par Edwige Antier, pédiatre et psychanalyste, et le "OUI" par Dany De Baeremaeker, psychologue social.
NON

Edwige Antier, Pédiatre, psychanalyste et députée, auteure de "L’Autorité sans fessées" (Robert Laffont, 2010).

La fessée n’est jamais souhaitable. Elle trahit une perte d’autorité et a des conséquences sur le développement de l’enfant qui perd l’estime de lui-même, a de moins bons résultats scolaires que les autres, devient sournois et dissimulateur. Il sera même peut-être amené, plus tard, à frapper à son tour puisqu’on lui a appris que la violence était la solution.

En 2010, vous avez été à l’origine d’une proposition de loi prônant l’interdiction de la fessée en France. Pourquoi ? Parce qu’en France, il existe encore dans la loi ce qu’on appelle le droit de correction à visée éducative. L’actualité nous a récemment montré des cas de sanctions, mais celles-ci dépendent pour l’instant de l’interprétation du juge. Suite à une plainte des parents, une baby-sitter qui avait frappé un enfant de 23 mois au prétexte de l’éduquer a été innocentée. Or le Conseil de l’Europe demande que cette pratique napoléonienne soit abolie car la France (comme la Belgique) a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci souhaite que soit inscrite dans les textes de chaque pays l’abolition de toutes sortes de violences faites à l’enfant. Vis-à-vis de notre engagement, nous sommes donc obligés d’avoir une législation spécifique à ce propos. A ce jour, ce n’est pas encore le cas, mais il y aura une nouvelle occasion de légiférer dans le cadre de la Loi famille qui va passer au printemps 2014.

Vous considérez donc qu’une fessée ne se justifie en aucun cas ?

Absolument. Ce n’est jamais souhaitable. On entend parfois dire qu’une petite fessée, ce n’est pas très grave, qu’aujourd’hui les enfants sont rois, qu’il faut bien leur mettre des limites et qu’il ne faut pas entraver l’autorité des parents : en tant que pédiatre, je ne peux pas être d’accord ! J’ai en effet constaté les conséquences de la fessée sur le développement de l’enfant. Et plusieurs études confortent ce que mon expérience m’a montré. Tout châtiment corporel (j’entends par là la moindre petite claque) a des conséquences. D’abord, il entraîne la baisse de l’estime de soi. Quand on dit à l’enfant "tu l’as bien mérité" , celui-ci va grandir avec l’idée qu’il est une mauvaise personne. Dans sa vie privée comme dans sa vie sociale et professionnelle, il gardera la crainte de "s’en prendre une" et sera dès lors amené à accepter des choses qu’il ne devrait peut-être pas. Ensuite, cela entame ses facultés cognitives. Les enfants soumis à des fessées ont de moins bons résultats scolaires que ceux qui sont respectés. On a aussi pu constater qu’ils deviennent sournois, dissimulateurs. Quand ils font une bêtise, ils la cachent par peur. Ils peuvent également s’endurcir voire devenir provocateurs ( "Même pas mal !" ) Certains enfants frappent leurs professeurs ? Mais ce sont justement ceux qu’on a frappés ! Enfin, le dernier effet négatif est que ces enfants apprennent que la violence sert à résoudre les conflits.

Certains voient pourtant la fessée comme un signe d’autorité qu’ils opposent au règne de l’enfant-roi.

C’est le contraire : un aveu de faiblesse et de perte d’autorité. La fessée peut donner de la crainte et rendre soumis mais elle ne donne pas à l’enfant qui est traité ainsi le respect de la grande personne qui est devant lui. S’il n’y a qu’une fessée qui calme l’enfant, il faut bien se dire que c’est pour un moment et qu’il faudra forcément recommencer. Quant à l’enfant-roi, je ne trouve pas du tout que les enfants d’aujourd’hui soient des rois ou qu’ils puissent le devenir si on interdit la fessée. Leur rythme de vie est très compliqué, leurs parents ne sont pas très disponibles et l’école leur demande énormément. Leur monde est plutôt dur que tendre…

Pensez-vous qu’une législation spécifique suffise pour modifier les comportements ou faudrait-il envisager de soutenir les parents ?

Il faut trois outils : le texte de loi, mais aussi une grande campagne d’information à l’intention de tous y compris des enfants, et puis un soutien à la parentalité. Quand un parent frappe son enfant et que, grâce à la loi, on peut lui dire qu’il n’en a pas le droit, on lui demande de suivre un stage d’aide à la parentalité où on lui apprend comment faire, parce que c’est difficile d’élever un enfant ! Il ne s’agit évidemment pas d’envoyer les parents en prison, mais bien de leur dire de se calmer et de leur apprendre un autre type de comportement.

Vous ne prenez pas en compte la violence verbale ?

J’ai aussi rédigé un projet de loi pour l’abolition des violences psychologiques faites à l’enfant. Mais celles-ci étant bien plus difficiles à cerner, il faut bien prendre le problème par un bout.

Dany De Baeremaeker, Psychologue social. Responsable d’une équipe d’éducateurs spécialisés et d’un groupe d’enfants caractériels.

Quand la parole n’est plus possible, il est quelquefois nécessaire de passer à un autre langage plus physique et corporel. Après le dialogue, la remontrance puis l’engueulade, la fessée doit toujours être le dernier recours. Mais jamais une fessée ne peut être un défoulement parental et doit se trouver dans le registre d’une tape éducative et de la fermeté bienveillante.

Une fessée, non systématique, peut-elle être nécessaire et acceptable ?

Oui. Un enfant qui ne répond pas aux directives de ses parents ou qui risque de se mettre lui ou d’autres en danger sans vouloir rien entendre de la raison des adultes doit nécessairement être recadré. La parole peut ne pas être suffisante et donc pour "imposer" des directives, il est quelquefois nécessaire de passer à un autre langage plus physique et corporel. D’où la possibilité d’en arriver à devoir s’imposer par une remontrance corporelle telle la fessée.

Mais quel est le mode d’emploi de la fessée ?

La fessée doit toujours être le dernier recours. Il faut toujours essayer les autres modes de communication. Tout d’abord le dialogue, les explications du pourquoi et du comment. Si l’enfant ne veut ou ne peut entendre raison, l’étape suivante est la remontrance, une explication plus franche et plus appuyée de la part du monde adulte. Si cela ne suffit pas encore, l’étape suivante consiste à l’enguirlander plus sévèrement et après celle-là, il peut être nécessaire de s’imposer plus physiquement. Quel parent ou adulte responsable (exemple : un instituteur) peut prendre le risque de laisser un enfant ou même un adolescent, se mettre en péril ? Mais jamais une fessée ne peut être un défoulement parental et elle doit donc toujours se trouver dans le registre d’une tape éducative et la fermeté bienveillante. Et cela quel que soit le type d’enfant. Même les éducateurs spécialisés ne doivent recourir qu’aux remontrances physiques après avoir essayé tous les autres modes de communication possibles sans jamais tomber dans les pièges du "chantage".

La fessée a-t-elle des vertus éducatives ?

L’efficacité éducative de la fessée se situe dans le fait de ramener l’enfant à la "raison", à écouter, à obéir et se soumettre aux directives des adultes qui sont responsables de lui, donc de ses faits, gestes et actes et de leurs conséquences.

Faut-il légiférer - en plus de la loi existante contre les maltraitances - pour interdire spécifiquement la fessée ?

Une telle démarche est absurde. Ceci dit, il faut aussi protéger les enfants des abus d’autorité et des exagérations de ce mode de gestion des difficultés rencontrés dans leur éducation. Pour me répéter, il est plus utile et plus efficace de les éduquer par le dialogue. Mais peut-être que dans notre société consumériste et toujours pressée perd-on cette qualité humaine ?

Selon la professeure Ambroise-Rendu de l’université Paris X, le courant anti-fessée s’ancre dans le statut aujourd’hui accordé à l’enfant, objet de toute l’attention compassionnelle, devenu l’ultime valeur, un refuge voire un mythe. Votre avis ?

Le statut accordé aux enfants aujourd’hui me paraît aberrant. Pourquoi ? Ce statut le définit comme une personne à part entière. Certes, il est une personne, mais pas encore accomplie. L’enfant est une personne en devenir, quelqu’un qui doit tout apprendre tant au niveau des connaissances qu’au niveau de la vie sociale. Il a donc un besoin fondamental de repères pour se construire une identité personnelle et donc de développer ses facultés d’adaptation. Il est donc fondamentalement dépendant de ses parents et des autres adultes qui s’immisceront dans son existence tels par exemple ses instituteurs et autres "éducateurs". Lui accorder le statut tel que la société a tendance à le faire le déifie et un dieu ne s’éduque pas, mais se subit. Subir un enfant est à l’antipode de l’éducation. Compatir avec l’enfant ne signifie pas d’en faire un petit dictateur qui impose ses caprices. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’éducation mais d’enfer.

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