Faut-il commercer avec des entreprises israéliennes ?

Une délégation d’entreprises wallonnes et bruxelloises se rendra dès lundi en Israël pour des contacts économiques et commerciaux. Certaines organisations, pro-palestiniennes particulièrement, dénoncent cette initiative. Interviews croisées.

Entretien : Jean-Paul Duchâteau et Charles Van Dievort

Une délégation d’entreprises wallonnes et bruxelloises se rendra dès lundi en Israël pour des contacts économiques et commerciaux. Certaines organisations, pro-palestiniennes particulièrement, dénoncent cette initiative. Interviews croisées entre Pierre Galand président de l’Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles et Maurice Sosnowski président du CCOJB (Comité de coordination des organisations juives de Belgique).

NON, selon Pierre Galand

Président de l’Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles

Pourquoi se pose-t-on la question de savoir s’il faut ou non faire du commerce avec Israël ?

L’Europe et la Belgique sont des partenaires de longue date d’Israël en matière de commerce. Je ne dis pas qu’on ne peut pas commercer avec Israël, mais la question se pose aujourd’hui parce qu’il y a un problème de cohérence. On a les Nations unies qui ont appelé au démantèlement du mur, qui refusent de le considérer comme la nouvelle frontière d’Israël et qui reconnaissent un Etat palestinien. On a l’Union européenne qui a défini ses lignes de conduite indiquant qu’on ne peut commercer avec Israël que dans les limites des frontières de l’Etat d’Israël et donc pas avec les colonies de peuplement. Et puis, il y a les Etats membres - donc la Belgique et donc la Wallonie - qui ont un comportement qui n’est pas conforme à ce qui a été décidé plus haut. Nous plaidons pour qu’il y ait une cohérence. Pas de commerce en lien direct ou indirect avec les armes. Pas de commerce avec des entreprises liées directement ou indirectement avec les colonies de peuplement. Ce sont des violations caractérisées du droit international et c’est contraire à ce que notre pays accepte lorsqu’il est à l’Europe et aux Nations unies.

Ça peut concerner de nombreuses entreprises ?

Pas nécessairement, mais c’est la règle que l’Europe s’est fixée. Des entreprises sont manifestement installées en tout ou en partie dans des colonies, mais elles ont leur siège social en Israël. On nous répond donc que ce sont bien des entreprises localisées en Israël. Mais leurs activités sont dans les colonies ! Dans la mesure où les colonies sont considérées par les Nations unies et par l’Europe comme illicites aux yeux du droit international, il y a un devoir de cohérence.

Vous n’allez pas jusqu’à demander un boycott d’Israël ?

Dans la mesure où les Israéliens créent la confusion permanente, évitent de devoir labelliser leurs produits pour qu’on sache s’ils proviennent d’Israël où des colonies de peuplement et que le gouvernement israélien maintient cette attitude, nous appelons bien sûr au boycott. Il faut empêcher ces produits d’entrer. C’est une question de cohérence.

Israël est pourtant le 17e fournisseur de la Belgique et son deuxième client selon l’AWEX… Puisque ce sont de bons clients, il faudrait bien les traiter ? 

Nous plaidons pour une justice dans ces échanges commerciaux, pour que le commerce soit aussi un moyen de faire progresser le droit international afin que les Palestiniens aient le droit de vivre sur leur propre territoire. Les colonies ont été condamnées par les Européens et les Américains. Il doit y avoir une façon de mettre la pression sur Israël.

Ce genre de pression donne des résultats concrets ?

En 1982, Israël avait fermé l’université de Bir Zeit. Le conseil des ministres européen de l’époque a décidé la suspension de ses financements pour Israël. Trois jours plus tard, l’université était rouverte. Ça pèse donc réellement. On a employé ces rétorsions économiques vis-à-vis de l’Iran. On le fait à l’encontre du Zimbabwe et des pays où on estime qu’il y a violation des droits des gens. Or, Israël viole les droits des gens. Il y aurait donc des pays vis-à-vis desquels on peut prendre ces mesures et d’autres vis-à-vis desquels on ne peut pas ?

Les entreprises belges sont-elles sensibilisées à ce problème ?

Ça dépend lesquelles. Avec le tribunal Russell sur la Palestine (NdlR: tribunal d’opinion créé en 2009) on a démontré qu’une série d’entreprises avaient des liens avec Israël. Il y a des fonds de pension qui nous ont répondu qu’ils retiraient leurs investissements dans les colonies. Il y a donc une sensibilité. Je ne dis pas qu’Israël doit être mis au ban de la société, mais il faut pousser le pays à respecter le droit international. Il faut que ceux qui ont des relations avec Israël - y compris dans le commerce - aient conscience que certains actes de commerce sont des actes illicites parce qu’ils contribuent à l’occupation territoriale d’un autre pays, la Palestine, et qu’ils participent aussi parfois à la répression de la population concernée.

OUI, selon Maurice Sosnowski

Médecin ; Président du CCOJB (Comité de coordination des organisations juives de Belgique).

Certaines associations, généralement pro-palestiniennes, affirment qu’en raison de plusieurs résolutions de l’Onu, les pays occidentaux ne devraient entretenir aucune relation avec Israël, parce que ce dernier occupe des territoires palestiniens et y développe des colonies de peuplement. Que répondez-vous ? Je ne conteste pas l’existence de ces résolutions, mais bien la manière dont elles ont été obtenues. Mais, pour moi, tout cela n’a pas d’importance. Ce qui me choque profondément, c’est le principe même de boycott. Il est intolérable. Dire que l’on exclut qui que ce soit d’une discussion parce qu’un gouvernement a pris des options, c’est extrêmement dangereux. Je prends l’exemple du domaine scientifique, auquel j’appartiens. Boycotter des institutions académiques israéliennes est une très grave erreur. Israël est une démocratie, où il existe nombre de gens qui se chargent d’exprimer des critiques parfois sévères à l’encontre des gouvernements, et ils viennent généralement des universités. Alors que des efforts d’ouverture ont lieu, certains manifestent toujours cette volonté de couper les relations qui existent aujourd’hui. Ainsi, je reviens d’une mission belge en Israël et en Palestine où on a vu qu’il y a des coopérations sur le terrain, tout simplement parce qu’il y a d’un côté et de l’autre des gens qui ont les mêmes préoccupations de vie et de santé. D’autre part, notre prix Nobel, le professeur Englert, a été 30 ans en contact avec l’université de Tel Aviv, où il a d’ailleurs une chaire. Si on devait écouter l’association "Boycott, désinvestissement, sanctions" (BDS), cet éminent scientifique belge ne pourrait pas enseigner en Israël.

Et aux niveaux économique et commercial, cet appel au boycott est-il pour vous aussi illégitime ?

Le boycott économique dans les territoires et colonies a un sens que l’on pourrait accepter, s’il y avait une volonté, également, de faire pression sur toutes les parties. Je conçois très bien qu’on conteste le fait qu’Israël gère des territoires disputés, et moi-même, je ne suis pas un partisan de l’occupation des territoires, loin de là. Mais je pense qu’on ne résoudra pas les problèmes par des boycotts et des appels à la condamnation politique, alors qu’il existe de nouveau, et je m’en réjouis, des espoirs de solution avec les négociations entre les deux parties. Je ne suis pas convaincu que ces arguments de boycott soient défendables par rapport, par exemple, à la situation qui prévalait en Afrique du Sud, ce que tentent toujours de démontrer certains activistes. Quand on parle d’apartheid, ce n’est absolument pas acceptable. Il s’agit de situations complètement différentes. Israël est en effet un pays démocratique où les gens essaient de cohabiter harmonieusement et de travailler ensemble.

Une mission d’entreprises wallonnes et bruxelloises va partir en Israël ce lundi. Certains disent qu’au-delà du plan légal, il est absolument immoral pour des entreprises belges de faire du commerce avec des entreprises israéliennes installées dans les territoires occupés. Et ils vont jusqu’à comparer cette situation avec celle qui prévalait chez nous pendant l’occupation allemande. Qu’en pensez-vous ?

Je ne peux évidemment pas accepter ce genre de comparaison. Comparer Israël avec un régime nazi, qui a propagé la haine et commis des millions d’assassinats, n’est même pas commentable. Il y a sans doute des gens qui disent cela, ici et ailleurs, mais je demande simplement qu’on prenne en compte ce qui se passe réellement sur le terrain. Comme je le disais, je suis en contact avec des médecins palestiniens, avec lesquels je collabore, dans l’espoir justement de pouvoir étendre notre expérience. Il y a des médecins qui sont heureux d’être formés par des institutions israéliennes et qui veulent que cela se sache. Pour en revenir au niveau entrepreneurial, je suis persuadé que nous pouvons, nous Belges, agir très concrètement. Lors de sa récente visite, le ministre Reynders a proposé d’établir un forum économique où la Belgique serait initiatrice d’un mouvement où des entreprises israéliennes et palestiniennes pourraient créer des start-up ensemble, avec notre pays comme plateforme de support. Plutôt que de toujours parler de politique et de boycott, voir comment on peut réunir les gens me semble beaucoup plus intéressant pour leur avenir.


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