Est-il éthique de garder des animaux sauvages en captivité?
L’abattage d’un léopard des neiges évadé d’un un parc animalier a relancé la polémique sur ces derniers. Un animal sauvage doit vivre en liberté, affirment certains. Nous contribuons à la préservation des espèces menacées, répliquent les autres. Entretiens croisés.
- Publié le 19-12-2013 à 10h49
- Mis à jour le 19-12-2013 à 15h59
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Découvrez le "OUI" d'Éric Domb, Administrateur délégué de Pairi Daiza, et le "NON" par Michèle Striffler, députée européenne, vice-présidente de l’Intergroupe sur le bien-être animal du Parlement européen.
OUI
Éric Domb, Administrateur délégué de Pairi Daiza.
Les gens ne s’intéresseront aux vrais problèmes des animaux sauvages, qui sont essentiellement liés à la destruction de leur habitat et au braconnage, que parce qu’ils peuvent voir des représentants de cette faune sauvage dans les jardins zoologiques. D’autre part, nous accueillons et nous reproduisons des espèces qui ne sont même pas visibles par le public.
Avec la triste aventure de ce léopard des neiges, échappé de son enclos à Aywaille et abattu quelques heures plus tard, les contempteurs des parcs animaliers se sont déchaînés sur les réseaux sociaux. Ils vous accusent, avec vos collègues, de ne viser qu’une démarche commerciale. Votre réponse ?
Dans ce domaine, comme dans plein d’autres, l’ignorance est la mère de tous les péchés. Il y a effectivement beaucoup d’émotion suite à cet incident tragique, et certains en profitent pour mettre en cause une nouvelle fois les jardins zoologiques dans leur ensemble. Or, c’est en Europe qu’on trouve les meilleurs parcs parce que les animaux n’y sont pas traités comme des objets, mais comme de véritables ambassadeurs de leurs congénères en voie de disparition. En fait, mes collègues et moi en avons un peu marre d’être ainsi dénigrés alors que le vrai problème de la faune sauvage ne réside pas du tout dans les jardins zoologiques. Heureusement que nous visons l’indépendance économique, car sinon, nous devrions être subsidiés par l’argent public. Il est extrêmement souhaitable que la population qui paie son entrée participe ainsi à toute une série d’activités qui sont très utiles pour la conservation de la faune sauvage. En effet, les particuliers ne s’intéresseront aux vrais problèmes des animaux sauvages, qui sont essentiellement liés à la destruction de leur habitat et au braconnage, que parce qu’ils peuvent voir des représentants de cette faune sauvage dans les jardins zoologiques.
Justement, les critiques disent que la protection des espèces n’est qu’un alibi. Un animal sauvage doit vivre en liberté, sans exceptions, ajoutent-ils.
C’est complètement idiot de dire cela. Je suis révolté par ces critiques. Plus personne dans la communauté scientifique ne conteste le rôle indispensable des jardins zoologiques. Il y a en fait un certain nombre d’espèces qui ont été sauvées par les jardins zoologiques, parce qu’elles auraient, sinon, complètement disparu. Sans faire aucune publicité, nous accueillons et nous reproduisons des espèces qui n’offrent aucun intérêt pour le public. Parce que ce ne sont pas des pandas, des lions ou encore des éléphants. Souvent même, elles ne sont pas dans des zones qui sont ouvertes au public. Si c’était un alibi pour faire du business, on pourrait se séparer de toutes ces espèces et n’accueillir que des animaux attractifs pour le public. D’autre part, nous participons à des programmes scientifiques, avec des implications financières, pour traiter certains animaux dans leur biotope originel. C’est le cas, par exemple, pour l’éléphant d’Asie qui risque d’être décimé à cause de l’herpès de l’éléphant. Et d’autres zoos font des choses analogues.
On dit aussi qu’il y a trop de concurrence entre les différents parcs et que cela entraîne une surenchère dans l’acquisition des animaux.
Moi, je me réjouis de la concurrence entre les jardins zoologiques. Forcément, ce sont les meilleurs qui imposent les normes de bien-être les plus sévères aux autres. Les grands jardins, qui ont été baxtérisés par les pouvoirs publics pendant des années, ne se sont pas remis en question, et se trouvent devant un dilemme : soit ils donnent les meilleures conditions de confort à leurs hôtes, ou ils disparaîtront. C’est à cela que sert la concurrence. Et, en Belgique, on peut s’enorgueillir de mettre en application des normes parmi les plus sévères au monde.
On vous fait aussi un autre reproche : les animaux qui vivent dans les parcs sont imprégnés par les humains et ne pourront jamais réintégrer leur habitat naturel.
C’est tout à fait faux. Certains animaux sauvages ont été domestiqués depuis des millénaires, comme le chien, descendant du loup, ou le cochon qui vient du sanglier. Or, vous relâchez ces animaux dans la nature, ils redeviendront sauvages et ils s’en sortiront.
Comme expert des animaux, êtes-vous d’accord avec la nouvelle législation belge qui interdit aux cirques de montrer des animaux sauvages ?
Je ne vais pas répondre à cette question, car je suis juge et partie dans ce débat. Forcément, l’amour des animaux étant inextinguible dans beaucoup de sociétés, si demain le public ne peut plus en voir dans les cirques, ils devront satisfaire ce besoin en allant dans les parcs animaliers.
Michèle Striffler, députée européenne, vice-présidente de l’Intergroupe sur le bien-être animal du Parlement européen.
Il n’y a pas de raison qui justifie le maintien en captivité des animaux sauvages. On va dépenser des millions, voire des milliards, pour des zoos ou pour introduire des animaux qui n’ont rien à faire chez nous. Cet argent devrait d’abord servir à préserver les espèces et à apprendre à considérer l’animal comme il se doit.
En parcourant Internet, on constate qu’il existe pas mal de pétitions et d’autres actions pour demander qu’on mette fin à la captivité des animaux sauvages. Qu’en pensez-vous ?
Je suis contre la présence d’animaux sauvages en captivité. C’est uniquement pour faire plaisir aux gens et je ne vois pas l’intérêt. Des animaux dans les cirques, c’est franchement indécent. Ces animaux ne vivent pas comme ils devraient le faire dans leurs régions d’origine. Ils sont soi-disant bien traités, mais on ne va pas me faire croire que c’est le cas d’un éléphant trimballé dans des camions. Je suis totalement opposée à la présence d’animaux sauvages dans les cirques et dans les zoos.
Les zoos affirment pourtant agir pour la préservation des espèces, mener des programmes de recherche et de réintroduction dans la nature…
Si l’on veut préserver une espèce en voie d’extinction, les vraies réserves, comme celles qu’on trouve en Afrique par exemple, sont plus appropriées. Il est logique d’essayer de préserver les espèces menacées dans leurs régions d’origine. J’habite à côté d’un zoo et quand je vois un kangourou, seul sur un terrain, dans la même position pendant des heures, je considère que ce n’est pas sa place, même si on me dit qu’il est bien traité.
Cette année, le Costa Rica, pays d’Amérique centrale, a décidé de libérer tous les animaux de ses zoos. Faut-il en arriver là ?
Ce serait bien d’en arriver là et je ne vois pas pourquoi on n’y arriverait pas. Tout l’argent injecté dans les zoos pour montrer des animaux sauvages aux enfants pourrait servir à sauver les espèces, à les soigner et à éviter le braconnage.
En Europe, la législation sur les animaux sauvages est très disparate. En Autriche, ces animaux sont interdits dans les cirques, sauf les lions et les tigres. Interdiction aussi au Danemark, sauf pour les éléphants d’Asie, les chameaux et les lamas. Idem en Finlande sauf pour les otaries. Au Portugal, par contre, la mesure est plus radicale : l’acquisition et la reproduction d’animaux sauvages par les cirques sont interdites. Ne faut-il pas harmoniser ces législations ?
Bien entendu. Ce que fait le Portugal est très bien, mais interdire les animaux sauvages dans les cirques, sauf les lions et les tigres comme en Autriche, cela n’a pas de sens, c’est ridicule et déplorable. Cela démontre la puissance de certains lobbies. Il faudrait une loi européenne pour réglementer le tout et pour interdire les animaux sauvages, point final. Il faut savoir ce que l’on veut et il faut oser dire les choses. Préserver les animaux en danger d’extinction, oui. Dans les parcs animaliers, oui. Les soigner, oui. Mais les zoos etc., non. Aujourd’hui, nous avons du matériel informatique, Internet, des télévisions et des vidéos qui permettent aux enfants de très bien voir des animaux sauvages. Arrêtons de maltraiter ces animaux. Il y a une centaine d’années, on ne savait pas que l’animal est un être sensible. Aujourd’hui, on le sait et nous n’avons plus le droit de faire ce que nous faisions voici un siècle ou plus.
La perspective d’une harmonisation européenne sur la question est-elle réelle ?
Pour les cirques, cela va aller plus vite qu’on ne le pense. Pour les zoos, c’est un autre problème. Ils appartiennent souvent à l’Etat ou aux collectivités locales, ça sera donc beaucoup plus difficile. Mais tous ceux qui aiment les animaux, les associations et les fondations doivent se mobiliser. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et aux moyens de communication, on avance beaucoup plus rapidement qu’on ne l’a jamais fait sur cette question.
Vous agissez aussi au niveau du Parlement européen ?
Nous avons décidé de faire signer une sorte de charte aux futurs députés européens. Nous estimons en effet que nous n’avançons pas assez vite sur ces questions parce que les profits et les lobbies passent avant toute autre chose pour certains. Cette charte est un engagement écrit devant les citoyens européens car, vous le savez, avant les élections, on peut faire beaucoup de promesses qui souvent ne sont pas tenues. Nous ne voulons pas que le bien-être animal soit un sujet relégué à l’arrière-plan une fois les élections passées.