La maladie peut-elle être un argument de campagne électorale?
Plusieurs candidats aux élections du 25 mai ont récemment fait part de leur maladie tout en maintenant leur présence sur les listes. Geste de transparence ou instrumentalisation calculée dans le cadre d’une communication politique de plus en plus personnalisée, la question divise. Ripostes.
Publié le 03-04-2014 à 20h10 - Mis à jour le 04-04-2014 à 10h54
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Le 25 mars dernier, cinq jours après l'annonce de son positionnement tout en haut de la liste du MR carolo, Véronique Cornet annonçait par l'intermédiaire d'une lettre ouverte qu'elle était atteinte d'une leucémie. Une bonne semaine plus tard, c'était au tour de Luc Trullemans, candidat PP aux élections européennes, d'annoncer son opération d'un cancer de la prostate. Geste de transparence ou instrumentalisation calculée dans le cadre d’une communication politique de plus en plus personnalisée, la question divise. Ripostes.
OUI, pour Philippe J. Maarek
Professeur en communication politique à l’université Paris-Est Créteil (UPEC) Auteur du livre "Communication et marketing de l’homme politique" (Ed. Lexis Nexis, 2014).
Est-il concevable qu’un candidat à une élection instrumentalise sa maladie pour en un faire un argument électoral ?
A l’instigation des conseillers en communication, la communication politique et les campagnes électorales sont de plus en plus personnalisées. Les personnalités politiques parlent de leurs valeurs personnelles, de leurs capacités ou encore de leurs valeurs morales lorsqu’ils évoquent leur famille. Au point où on en est, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on finisse par montrer sa maladie ou plutôt la façon dont on gère une maladie comme un exemple à suivre.
S’agit-il de chercher à ce que l’électeur éprouve de la compassion face à la maladie dont est atteint le candidat ?
Ça peut être de la compassion, mais aussi de l’admiration devant la manière avec laquelle l’homme politique combat cette maladie. On a connu ce phénomène aux Etats-Unis lorsque certaines personnalités politiques étaient potentiellement handicapées par le fait qu’un de leurs enfants était drogué. Au lieu de le cacher, elles l’ont dévoilé en montrant qu’elles parvenaient à gérer ce problème.
N’imagine-t-on pas également que l’adversaire n’osera pas attaquer une personne malade ?
Ça fait certainement partie des arguments que les conseillers en communication donnent aux hommes politiques qu’ils conseillent. Aux Etats-Unis, les conseillers en marketing d’un candidat font une enquête très poussée avant l’entrée en campagne électorale. Ils passent en revue le passé et les activités des candidats potentiels pour voir quel lièvre leurs adversaires pourraient lever pendant la campagne pour en faire un handicap. La maladie fait partie de ces lièvres. Dès lors qu’une maladie pourrait être découverte facilement par les adversaires d’un homme politique et devenir un argument contre lui, le conseiller en marketing va dire : puisque cette maladie ne peut pas être cachée, faisons-en un argument.
N’est-ce pas une stratégie à double tranchant ?
Tout dépend de la maladie, du moment, des électeurs, de la personne, etc. Il n’y a pas de réponse systématique. La communication politique, en particulier celle qui concerne les élections, c’est quelque chose de très empirique. Il y a une réponse différente pour chaque situation.
Inclure la maladie dans une stratégie électorale n’est pas ce qu’on a le plus fréquemment connu, notamment en France. On se souvient de Pompidou, de Mitterrand ou encore de Chirac. On peut même dire qu’une omerta régnait et règne peut-être encore sur la santé des dirigeants politiques qui cherchent à éviter que l’argument de la maladie se retourne contre eux.
Il y a une différence entre l’homme politique au pouvoir et celui qui cherche à y accéder. Le premier cherche à montrer qu’il a les capacités de conserver le pouvoir et rendre publique une maladie, c’est se défaire d’une partie de ce pouvoir. Le second peut chercher à jouer d’un élément personnel pour attirer la sympathie et montrer qu’il sait dominer la maladie. Il s’agit alors de jouer sur un élément de proximité parce qu’il arrive à tout le monde d’être malade un jour. On peut essayer de se faire élire par ce biais.
Assiste-t-on à une véritable professionnalisation de la communication politique lors des campagnes électorales ?
C’est incontestable. C’est plus professionnel à cause d’un phénomène d’émulation collective qui dépasse les frontières. Sur YouTube et Dailymotion, vous pouvez en effet voir les clips de campagne des candidats américains, belges ou allemands. Cette professionnalisation est également inévitable en raison des outils à la disposition des hommes politiques. Ils sont tellement nombreux et complexes que s’en servir sans avoir appris à le faire serait très dangereux. Dans le genre "petite cause, grands effets", voyez le tweet de Valérie Trierweiler. Ségolène Royal est aujourd’hui devenue ministre alors qu’elle ne l’a pas été pendant deux ans. On sait pourquoi, même si je dis ça avec les réserves qui s’imposent. L’effet d’un tweet un peu rapide et malheureux est considérable.
NON, pour Pierre Vercauteren
Politologue, UCL Mons
Plusieurs personnalités politiques ont récemment fait part publiquement de leurs problèmes de santé. Ont-elles eu raison de le faire ou auraient-elles dû s’abstenir pour ne pas faire naître de soupçon d’instrumentalisation ?
Observons d’abord que les responsables politiques qui ont évoqué leur état de santé l’ont fait sous la contrainte d’un très grave problème, notamment des maladies telles que le cancer. Ensuite, avec l’extension des moyens de communication, il devient de plus en plus difficile de garder secrète une information, même de ce type. Enfin, si la personne en question tenait à garder pour elle cette situation, et si ces informations étaient malgré tout diffusées en dépit de son souhait, elle risquerait davantage d’éveiller la suspicion que de servir sa propre cause.
On a connu d’autres époques, en Belgique mais aussi en France, où, justement, les responsables politiques tentaient de cacher le plus longtemps possible leur état de santé pour ne pas être affaiblis dans leur action. N’était-ce pas compréhensible ?
C’était certainement un élément que les personnes concernées prenaient en considération puisqu’à cette époque, les moyens de communication n’étaient pas si développés et qu’il était donc plus facile de taire une maladie, d’autant plus que les journalistes, pourtant au courant de l’information, ne la révélaient pas nécessairement. Pour prendre un célèbre exemple français, celui de Georges Pompidou, alors président de la République; ce dernier avait certes évoqué vaguement des problèmes de santé, mais les médias n’avaient pas vraiment cherché à en savoir plus, ni de divulguer le résultat de leur investigation. Et, quand il est mort, l’annonce de son décès a été une surprise pour beaucoup et cela a même pris de court certains candidats à sa succession. François Mitterrand, en revanche, avait tiré les leçons de ce qui s’était passé avec Pompidou, raison pour laquelle il a petit à petit laissé paraître ses difficultés de santé, même s’il avait gardé le secret tout au long de son premier septennat, alors que sa maladie s’est déclenchée tout juste après son entrée à l’Elysée.
Pour en revenir à la Belgique, certains responsables politiques affirment, "off" bien entendu, qu’il s’agit de la part de ces personnes faisant un "coming out" sur leur état de santé, d’un calcul électoral destiné à susciter la compassion de la population. Vous y croyez ?
Une personnalité politique qui annonce une telle information le fait sous le coup d’un problème grave qui menace parfois sa survie. Cela étant, plutôt que de considérer qu’il s’agit d’une instrumentalisation, on peut penser à un geste de transparence à l’égard des électeurs qui, sans pour autant en rechercher l’effet, humanise la femme ou l’homme politique dans une société où le citoyen veut avoir affaire à des personnes, plutôt qu’à une image désincarnée. En revanche, cela risque de desservir la personne malade et candidate dans la mesure où des électeurs pourraient se demander s’ils vont voter pour une personne qui ne pourra peut-être pas remplir son mandat.
Des analystes politiques suggèrent que, pour éviter toute suspicion, les politiciens ainsi touchés par la maladie devraient spontanément renoncer à leur candidature avant le scrutin.
Il est très difficile de sortir une règle valable pour tous et toutes. Il me semble ainsi essentiel de permettre à la personne d’évaluer elle-même sa situation en termes de guérison possible dans un certain délai, ainsi que sa capacité d’exercer un mandat après son élection éventuelle. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une situation éminemment personnelle.
A ce propos, un responsable politique doit-il renoncer à toute vie privée dans ce qu’elle a de plus intime, jusqu’à sa propre survie ?
La manière avec laquelle les personnalités politiques les plus récemment concernées par ce genre de situation l’affrontent, répond à cette question de la manière la plus adéquate. Dans un pays comme la Belgique, où il existe deux cultures politiques, on peut considérer qu’il y a davantage d’attention au respect de la vie privée dans la partie francophone. Cela étant, à partir du moment où la santé d’un responsable politique est suffisamment en danger pour poser problème, il y a un devoir moral de faire acte de transparence et d’en informer les citoyens.