Diminuer les pensions pour assainir les finances publiques?
Dans l’étude que vient de publier la BNB en marge de ses dernières projections économiques, quatre pistes sont envisagées pour réduire notre déficit : couper dans les dépenses de pension et de chômage, dans les subventions, et gonfler les droits de succession. Tout le monde n’applaudit pas. Entretiens croisés.
- Publié le 10-06-2014 à 18h20
- Mis à jour le 11-06-2014 à 17h14
Dans l’étude que vient de publier la BNB en marge de ses dernières projections économiques, quatre pistes sont envisagées pour réduire notre déficit : couper dans les dépenses de pension et de chômage, dans les subventions, et gonfler les droits de succession. Tout le monde n’applaudit pas. Entretiens croisés.
OUI - Marc De Vos, directeur d’Itinera et professeur de droit social à l’université de Gand.
La situation actuelle n’est pas tenable. Ce que demande la BNB, ce n’est pas de réduire les dépenses, mais bien d’en limiter la croissance. Il faut allonger les carrières. Surtout en réduisant les possibilités de retraite anticipée. C’est une mesure à double rendement : une somme (la pension) n’est pas dépensée et de l’argent est injecté dans l’économie (par le salarié qui continue à gagner sa vie).
Il faut absolument prendre des mesures car la situation actuelle n’est pas tenable. Etes-vous d’accord avec ce constat ?
Oui. Et ce constat n’est pas neuf. En période préélectorale, le FMI a sorti un rapport assez similaire à celui publié maintenant par la BNB. Il parlait à l’époque de 13 (et pas 14) milliards d’euros à trouver en 2017 pour correspondre aux objectifs fixés par la Commission européenne en matière de réduction des déficits et de trajectoire budgétaire. Pour le FMI, la Belgique devait donner priorité à réduire ses dépenses. La Banque nationale le confirme ici : l’austérité n’a pas été présente en Belgique ces dernières années. Les dépenses augmentent quasiment 9 % plus vite que la croissance économique du pays. Ce qui, évidemment, n’est pas durable. Si on continue dans la voie suivie depuis 2000, on va arriver à une situation destructive pour la compétitivité au niveau international.
En marge de ses dernières projections économiques, la Banque nationale suggère, sur la base d’une étude de l’OCDE, les endroits où pourraient intervenir ces diminutions de dépenses. En première ligne : les pensions. Vous êtes pour ?
Si vous regardez le profil des dépenses dans la Belgique fédérée, il n’y a pas trente-six solutions possibles. Evidemment, il y a tout ce qui concerne la sécurité sociale (y compris pensions et soins de santé), le poids du secteur public (surtout très lourd au niveau régional), l’éducation et le paiement de la dette. Si j’étais moi-même en mesure de faire des choix, j’opterais d’abord pour une réduction des subsides. Il faut repenser cette politique de façon radicale en Belgique, avant de passer aux autres mesures.
Toucher aux pensions ne risque-t-il pas d’avoir un impact social négatif (ne fût-ce qu’une diminution du pouvoir d’achat qui serait assez contre-productive) ?
Tout dépend de comment on s’y prend. Si on réduit les dépenses pension en allongeant les carrières comme le préconise notamment la Banque nationale, il n’y a pas d’impact sur le pouvoir d’achat des personnes concernées, au contraire. Vous avez même un effet budgétaire intéressant puisque les personnes qui restent dans la vie active plus longtemps contribuent plus longtemps avec un effet positif sur le budget. Je comprends l’insistance de la Banque nationale pour activer ce levier qui est double : d’une part, une dépense qui n’est pas effectuée et, d’autre part, des rentrées supplémentaires. Cet allongement des carrières, il en est question depuis le Pacte des générations qui a bientôt dix ans…
Le défi budgétaire est là et la solution est sur le papier depuis dix ans : va-t-on dès lors l’appliquer du jour au lendemain ?
J’en doute, sauf dans le secteur public où l’on doit encore changer les mentalités et réduire les possibilités de retraite anticipée. On avance graduellement dans la bonne voie, mais il reste beaucoup de chemin à faire. Pour le reste, il n’est évidemment pas question d’imposer un allongement des carrières autrement que graduellement. Il faudra donc intervenir dans les carrières bien avant que l’âge de la retraite soit en vue. Pour les "baby-boomers" (dont les plus jeunes ont la cinquantaine), c’est trop tard. C’est de la génération suivante qu’on parle. Cela étant, est-ce vraiment "la" solution budgétaire ? Je ne crois pas, car il y a de toute façon un important vieillissement de la population et, quoi que l’on fasse, toutes ces personnes seront retraitées à un moment ou l’autre et provoqueront forcément une augmentation des dépenses. Sauf, bien sûr, si l’on fait une intervention à la grecque avec des coupes drastiques, ce qui n’est préconisé par personne. En fait, ce que demande la Banque nationale, ce n’est finalement pas de réduire les dépenses, mais bien d’en limiter la croissance.
A propos de l’allongement préconisé des carrières, ne risque-t-on pas des problèmes liés au coût élevé du travail des plus de cinquante ans en entreprises ?
Evidemment. Pour pouvoir arriver à organiser d’autres types de carrières plus longues, il faudra aussi repenser la relation entre l’âge, l’ancienneté du salarié et le coût pour l’employeur. Mais ici, nous n’en sommes qu’à une phase de réflexion.
NON - Éric Toussaint, économiste Maître de conférences à l’université de Liège (ULg), Président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde de Belgique (CADTM)
Le sauvetage des banques belges a nécessité 35 milliards d’euros de dépenses. Voilà la principale cause de l’augmentation des dépenses publiques. La Banque nationale de Belgique et les gouvernements belges ont fait ces cadeaux aux responsables de la débâcle financière puis économique. Et aujourd’hui, pour réduire les dépenses publiques, on veut toucher directement des retraités et des chômeurs ? Non !
Selon la Banque nationale de Belgique (BNB), les dépenses publiques ont fortement augmenté en Belgique, de 42,5 % du PIB en 2000 pour atteindre 51,3 % en 2013. C’est trop selon l’OCDE. Que faire ?
Si vous parlez d’augmentation des dépenses publiques, je mets en cause la Banque nationale de Belgique et la politique suivie par les gouvernements belges. Je vise par là le sauvetage bancaire qui, après 2008, a nécessité des dépenses de l’ordre de 35 milliards d’euros, soit une augmentation de 15 à 20 % du budget. Ce montant est celui avancé par la Cour de comptes, donc validé. Ainsi, les dépenses publiques ont notamment augmenté suite à des "cadeaux" faits aux grandes banques belges, responsables de la débâcle financière puis économique. Et aujourd’hui, pour réduire ces dépenses publiques, on veut toucher directement des retraités et des chômeurs ! ? Mais ce sont les responsables de la crise, les banquiers, qui devraient faire l’objet de mesures de récupération du futur gouvernement.
Vous êtes donc opposé à un assainissement des finances publiques, même avec un impact minime sur la croissance ?
Premièrement, nous sommes dans une situation de crise économique où la demande des ménages et la demande publique sont insuffisantes et où l’investissement des entreprises privées est trop faible. Cette situation peut parfaitement justifier une augmentation des dépenses publiques, et donc du déficit, pour financer la relance. C’est le b.a.-ba de la politique recommandée par le grand économiste John Maynard Keynes. Comprenez donc qu’une situation comme on la connaît aujourd’hui n’impose pas de réduire les dépenses publiques. Deuxièmement, si assainir implique réduire des dépenses inutiles voire injustes et augmenter des recettes en respectant les principes de la justice sociale et de la redistribution, je dis oui. Mais ce que propose actuellement la Banque nationale de Belgique est tout le contraire. Son raisonnement, inscrit dans les politiques imposées depuis 2009-2010 par la Commission européenne, aboutit à une contraction de la demande et donc une stagnation économique.
La BNB préconise, comme première mesure, une réduction des dépenses de pensions. Que pensez-vous de l’idée de repousser l’entrée prématurée dans la pension et de supprimer certains régimes de pension anticipée ?
C’est inefficace et injuste. Inefficace en termes de stimulation de la croissance économique parce que dans un contexte de pénurie d’emplois, forcer des gens âgés à rester plus longtemps au travail, c’est empêcher des jeunes capables d’entrer sur le marché du travail. Inefficace parce que ces jeunes, en percevant un revenu supérieur à celui du chômage, vont augmenter la consommation via l’acquisition ici d’un logement, là d’autres biens durables, et donc relancer l’économie. Inefficace parce qu’il faut au contraire distribuer du pouvoir d’achat à des retraités qui l’utiliseront essentiellement à des dépenses de consommation, eux qui n’épargnent plus. Même réflexion, quand on réduit les revenus du chômage, on réduit la consommation privée. Enfin, c’est injuste parce que des promesses de pouvoir passer à la retraite ont été faites à des travailleurs et des conventions ont été prises par l’employeur public. Injuste surtout parce que, comme évoqué, la crise des finances publiques a été provoquée, non par ces personnes visées mais par la crise des banques.
Selon le Syndicat neutre pour indépendants (SNI), il ne faut pas diminuer la pension des indépendants (en moyenne élevée, selon lui, à 840€/mois) ni celle des salariés (en moyenne élevée à 1 180€/mois) mais bien celle des fonctionnaires qui s’élèverait en moyenne à 2 480€/mois. Qu’en pensez-vous ?
C’est faux. La moyenne des pensions des fonctionnaires n’est pas à ce niveau. Certains régimes donnent accès à des pensions importantes, mais cela ne concerne qu’une minorité. C’est une utilisation démagogique de données réservées à certaines niches. Dans la démarche de la BNB, il s’agit plutôt de toucher une quantité importante de retraités.