Changer le calendrier scolaire ? Les bons et mauvais points
Qui veut alterner sept semaines de cours et deux semaines de congé tout en réduisant les vacances d’été ? Qui veut changer le rythme des cours au quotidien Pratiquement tout le monde mais pas à n’importe quel prix! Opinions croisées.
Publié le 01-09-2015 à 12h20 - Mis à jour le 01-09-2015 à 12h21
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Qui veut alterner sept semaines de cours et deux semaines de congé tout en réduisant les vacances d’été ? Qui veut changer le rythme des cours au quotidien Pratiquement tout le monde mais pas à n’importe quel prix! Opinions croisées.
LA CHERCHEUSE
Delphine Chabbert, secrétaire politique de la Ligue des familles
La temporalité de l’école correspond au rythme du siècle dernier et ne répond dès lors pas aux enjeux actuels. Il est essentiel de modifier l’organisation du temps scolaire - en allongeant la prise en charge des enfants - en fonction des contingences professionnelles des parents et des facultés des enfants. Cette réforme participe par ailleurs à la lutte contre un système profondément inégalitaire.
La Ligue des familles appuie une refonte des rythmes scolaires. En quoi consistent ces changements annuels et quotidiens ?
La journée de classe, et donc la prise en charge des enfants par l’institution scolaire, serait rallongée : de 8h30 à 17 heures. Le nombre d’heures de classe ne serait pas augmenté mais elles seraient distribuées autrement : une longue pause de midi jusque 14h30 qui comprendrait le temps du repas et des activités ludiques (culturelles, sportives, de détente). On intégrerait les devoirs dans le temps de l’école. Il s’agit de décloisonner l’organisation de l’école et d’ainsi mettre en place des projets cohérents pour l’enfant tout au long de sa journée. Au niveau annuel, on ne modifie pas le nombre de jours. Deux semaines sur les neuf que compte le congé d’été seraient réparties à d’autres moments. Ces changements essentiels bénéficieraient à tous : direction d’école, enseignants, enfants et parents.
Pour quelles raisons la refonte est-elle "essentielle" ?
L’organisation actuelle correspond à un temps révolu, celui du siècle dernier, lorsque les femmes ne travaillaient pas ou peu, quand les enfants aidaient dans les champs. Ce manque d’adéquation avec la réalité actuelle et avec les rythmes professionnels a des répercussions sur l’organisation familiale, sur la collectivité. La réforme vise plusieurs objectifs : adapter ce rythme à celui, biologique, de l’enfant; à celui des parents afin de répondre aux besoins de la vie des familles; lutter contre les inégalités et l’échec scolaire; ouvrir l’accès à la culture à tous et particulièrement aux classes populaires. Voila une série de grands enjeux auxquels nous pensons que cette réforme d’ampleur peut répondre. Les enquêtes des chrono-biologistes nous montrent que les enfants ont des pics d’attention le matin et dans le milieu de l’après-midi. Pour être dans des conditions optimales d’apprentissage, ils ont ainsi besoin d’avoir un temps long de récupération le midi. Les devoirs constituent un point fondamental, une priorité absolue puisqu’actuellement, ils renforcent les inégalités entre les enfants. Les intégrer dans la journée scolaire permettrait de lutter contre ces inégalités sociales et scolaires dans un système profondément inégalitaire et dès lors en contradiction avec la mission de l’école qui vise à l’égalité des chances de réussite. Les devoirs sont en outre des sources de stress entre les parents et les enfants. Les premiers n’ont pas toujours les compétences pédagogiques. Les libérer de cette tâche, c’est dégager du temps de qualité pour la relation parents-enfant autour de l’école et non pas leur retirer le suivi de la scolarité de leur progéniture.
N’est-il pas compliqué d’impliquer les acteurs de l’extrascolaire dans l’école ?
Cela demandera de la coordination entre tous les acteurs mais c’est tout à fait faisable pour autant que le projet est construit ensemble. Le travail avec des acteurs de l’extrascolaire (sportif, culturel) existe d’ailleurs déjà dans certains établissements.
Cela fait 30 ans que l’on parle de ces changements. Pourquoi n’y a-t-il pas d’avancée en ce sens ?
Nous demandons un changement de fonds auquel résiste le poids des habitudes. On touche aussi à un tabou : le temps de travail des enseignants. Voyons cela comme une opportunité d’aller vers une amélioration de leurs conditions de travail. Le temps politique, trop rapide, ne correspond par ailleurs pas à une réforme qui nécessite du temps. Il faudra effectivement plus d’une législature pour qu’elle existe dans toutes les écoles. Mais c’est une question de volonté politique : un ministre peut décider, demain, de lancer la réforme, quand bien même elle ne porterait ses fruits que plus tard. Il faut bien commencer un jour… Des projets pilotes peuvent d’ailleurs être rapidement appliqués. Le pacte pour un enseignement d’excellence est en ce sens primordial. C’est dans ce cadre-là que nous tentons de faire évoluer le projet. Osons changer la structure de l’école, dont la temporalité est restée statique, contrairement à tout ce qui l’entoure. Faisons rentrer l’école dans le XXIe siècle !
LE SYNDICALISTE
Eugène Ernst, secrétaire général secteur enseignement à la CSC
Si on redécoupe l’année et que les enseignants se retrouvent avec 10 jours de prestation en plus à l’école, ça n’ira pas. Concernant un changement du rythme journalier, si on demande aux enseignants d’être présents à l’école de 7h30 à 18h avec 4 heures de prestation le matin puis 2h de 15h30 à 17h30 avec un temps de midi où on leur dit "faites ce que vous voulez", c’est non. Mais le sujet n’est pas tabou.
Seriez-vous d’accord pour redécouper l’année scolaire ?
Si on change le calendrier annuel et que les enseignants se retrouvent avec 10 jours de prestation en plus à l’école, ça n’ira pas. Mais le sujet n’est pas tabou. Et nous ne sommes pas opposés à une discussion sur l’idée de réduire le temps des vacances annuelles et d’élargir les périodes de vacances d’automne et de printemps pour autant que le nombre de jours de présence du personnel à l’intérieur de l’école n’augmente pas. Sachez aussi que des problèmes statutaires seront à régler : un enseignant temporaire est engagé jusqu’au 30 juin. Et s’il n’a pas travaillé à temps complet, en juillet et en août, il émarge en partie au chômage.
Et comment voyez-vous un changement du rythme journalier ?
Pas bien si les enseignants doivent payer la note. Se pose en effet le problème de la charge des enseignants. Elle est calculée suivant le nombre de prestations qu’ils ont devant élèves. 26 périodes/semaine devant élèves pour une institutrice de la maternelle, 24 périodes pour un instituteur, 22 périodes pour un enseignant du secondaire inférieur et 20 périodes pour un enseignant du secondaire supérieur. A cela s’ajoute le travail de préparation, de corrections, de conseils de classe, de réunions de parents et autres. Si on demande aux enseignants d’être présents à l’école de 7h30 à 18h avec 4 heures de prestation le matin puis 2h de 15h30 à 17h30 avec un long temps de midi où on leur dit "faites ce que vous voulez", c’est non. On n’imagine pas revaloriser ainsi le métier d’enseignant. Par contre, si on diminue le nombre de prestations devant élèves (travail le plus stressant) et si les classes sont réduites à une taille raisonnable (un maximum de 22 élèves), les enseignants pourraient trouver intérêt et s’inscrire dans ce projet. Parce que quand les conditions de travail sont correctes, les conditions d’apprentissage sont correctes.
Comment verriez-vous cette mise en place ?
La charge de travail est un débat clé qui va prendre du temps. Il faut faire maturer les projets plutôt que de les imposer à la Kalachnikov. Les réformes ne se réalisent pas par décret mais par appropriation, petit à petit.
Mais une telle réforme nécessite de nouveaux financements, peu évidents à dénicher en cette période.
Bien sûr. Ou alors on réorganise les apprentissages. Un exemple : les élèves de 12 à 14 ans en Communauté française sont dans le top 3 de tous les pays de l’OCDE, à suivre le plus de cours par année. Pourquoi ne pas diminuer leurs 32 heures/semaine à 28 heures et organiser autre chose avec le même encadrement ?
Quels sont les autres obstacles à la mise en place d’un nouveau découpage annuel 7 semaines - 2 semaines ?
Par rapport à ce calendrier annuel, le secteur touristique n’applaudit pas. A les entendre, une semaine de vacances en plus à la Toussaint plutôt qu’en été n’aura pas le même impact commercial. Les parents posent aussi des difficultés avec la latitude de certains à anticiper les vacances en juin et à postposer la rentrée en septembre. Quand cette liberté prise par des parents dans l’organisation des vacances aboutit à l’absence de 3 ou 4 élèves dans une classe, il n’est pas évident pour un enseignant de résorber les retards et de garder la même dynamique des cours. Enfin, comment les gens vont-ils s’organiser professionnellement face à des changements ?
Et les autres écueils concernant de nouveaux rythmes scolaires journaliers ?
Comment intégrer les activités du para- et péri-scolaires (garderies, écoles des devoirs, académies de musique, activités sportives, etc.) dans le cadre scolaire ? Qu’a-t-on constaté quand la France a changé son système en ce sens ? Que ce fut un fiasco quand la commune n’a pas pu ou voulu mettre les moyens. Parce que, dans le cadre de l’école, ces nouvelles activités ne peuvent pas être payantes pour les parents ! Autre souci, une école en milieu rural se retrouve défavorisée par rapport à une école en ville où l’offre para- et péri-scolaire s’avère plus large et accessible. Enfin, en Communauté française, comment organiser cette intégration avec tant d’écoles différentes et de réseaux concurrents ? Seul un système plus coopératif en serait capable. Et on le demande depuis longtemps.