Est-il absurde de bénir des smartphones?
Une bénédiction peu habituelle aura lieu dimanche aux Sanctuaires de Beauraing. Après la célébration eucharistique de l'après-midi, des tablettes et des smartphones seront bénis. Preuve de modernité ou grand n'importe quoi ?
- Publié le 24-09-2015 à 18h12
- Mis à jour le 25-09-2015 à 15h28
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Une bénédiction peu habituelle aura lieu dimanche aux Sanctuaires de Beauraing. Après la célébration eucharistique de l'après-midi, des tablettes et des smartphones seront bénis. Preuve de modernité ou grand n'importe quoi ?
NON pour l'Abbé Christophe Rouard
Vice-recteur et attaché de presse des sanctuaires de Beauraing.
La bénédiction d’objets est une pratique séculaire de l’Eglise. Les rituels qui doivent l’accompagner sont publiés par le Vatican. L’idée est de prendre en compte les objets qui tiennent une place importante dans le quotidien des gens, les placer sous le regard du Seigneur et encourager leur bon usage. On bénit bien des voitures, des motos, des vélos, des cartables. Pourquoi pas des smartphones ? Quel est l’objectif de la bénédiction des smartphones que vous organisez ce dimanche ?
Le but est de rejoindre les gens dans ce qui fait leur quotidien aujourd’hui. Bénir, c’est dire du bien à propos de quelqu’un ou de quelque chose. Smartphones, GSM et tablettes sont des objets positifs pour peu qu’on les utilise bien. Ce sont des vecteurs de communication. L’idée est donc d’exprimer une bénédiction à propos d’objets qui tiennent une place importante dans le quotidien des gens, placer ces objets sous le regard du Seigneur.
Cherchez-vous à faire l’événement pour attirer du monde ?
Pas du tout. Il ne faut pas voir cela comme une pratique commerciale. Je cherchais des idées pour notre Festival de Musiques chrétiennes qui, depuis deux ou trois ans, a tendance à battre de l’aile. En lisant un dossier du Crisp sur les festivals et les événements culturels, j’ai appris qu’il existait certains événements liés aux médias. Chaque année, le 27 septembre, journée des médias, est l’occasion de soutenir les publications au service de l’Evangile. L’idée m’est donc venue de compléter cet événement par une bénédiction de smartphones. Pas pour nous ramener davantage de monde, non, mais pour dire que dans les sanctuaires de Beauraing on accueille des gens en les rejoignant dans ce qui fait leur vie.
Comment votre idée a-t-elle été accueillie ?
Très bien, dans un premier temps. Tant par les médias catholiques que par les confrères. Ensuite, la machine s’est un peu emballée. Je suis très étonné qu’on parle autant de mon petit projet. Parmi les réactions exprimées, je dois bien dire qu’il y en a quelques-unes de plutôt négatives. Voire des moqueries. Ou alors des gens qui m’appellent pour me dire qu’ils trouvent cela stupide ou que la religion s’abaisse à quelque chose de très bas.
Que leur répondez-vous ?
Je rappelle que la bénédiction d’objets est une pratique séculaire de l’Eglise. Les rituels qui doivent l’accompagner sont publiés par le Vatican. Et donc, cette initiative est tout à fait compatible avec la Foi catholique. La religion catholique est une religion incarnée. Dieu s’intéresse à ce qui fait la vie quotidienne des gens, objets y compris. On bénit des voitures, des motos, des vélos, des cartables. Alors pourquoi pas des smartphones ?
Tout objet peut-il donc être béni ?
Il faut que l’usage de l’objet soit positif. Pas une arme, par exemple. C’est une question de bon sens.
L’Evêché a-t-il donné son avis sur votre initiative ?
Il ne s’est pas prononcé, non. Mais comme cela se fait déjà en France depuis quelques années et, plus anciennement encore, en Angleterre et que, de plus, le pape François fait un usage quotidien des réseaux sociaux, il tombait sous le sens que bénir des smartphones ne poserait pas de problème.
Qu’apporte aux propriétaires de smartphones, ou aux objets eux-mêmes, le fait d’être bénis ?
Le propriétaire de smartphone qui vient demander une bénédiction est en principe croyant. Donc, cela l’intéresse d’avoir une parole de confirmation, par le prêtre, que son objet est une bonne chose et, également, une invitation à l’utiliser correctement.
Pas de notion de protection ?
Rien de cela, non. Ce n’est pas de la magie. C’est mettre sous le regard de Dieu un objet de notre vie.
Un smartphone béni n’acquiert aucune valeur spirituelle ?
Pas du tout. Une fois hors d’usage, il sera jeté et recyclé comme tout autre objet.
Avez-vous une idée du nombre de personnes que vous accueillerez dimanche ?
Il y a quelques jours, je n’attendais pas énormément de monde. Maintenant, depuis que les médias s’en sont mêlés, il y aura probablement du monde. Je vous avoue que cela m’embête un peu car cela donne lieu à certaines interprétations non justifiées. Mais cela me réjouit à la fois car c’est une belle occasion de mettre l’accent sur ce qu’est une bénédiction.
OUI pour André Wénin
Professeur de théologie à l'Université catholique de Louvain (UCL).
La bénédiction comme acte divin visant à l’épanouissement de la vie n’est pas adaptée aux objets car ceux-ci sont dénués d’existence. Elles sont davantage de l’ordre de la sacralisation et répondent à la peur qu’éprouvent leurs promoteurs face à un monde qui leur échappe, qui semble en porte-à-faux avec les valeurs de l’Eglise et face à des jeunes qui s’éloignent de celle-ci.
Qu’est-ce que la bénédiction et quelle est son utilité ?
La bénédiction, dans le monde chrétien, vient de la Bible. C’est une parole qui émane de Dieu et qui vise à l’épanouissement de la vie des personnes à qui cette bénédiction est adressée. Il s’agit donc de faire en sorte que la vie puisse proliférer dans trois dimensions fondamentales : en qualité (la Bible utilise le terme "fructifier") ; en quantité (la multiplication de la vie); et enfin dans son extension ("Remplissez la terre"). La bénédiction biblique a à voir avec le fait que Dieu est celui qui donne la vie et qui fait en sorte que celle-ci puisse s’épanouir dans toutes ses dimensions. Lui seul peut donner cette bénédiction car Il est l’auteur de la vie. La bénédiction a évolué dans le christianisme et plus particulièrement dans le catholicisme. Ce développement correspond à une sorte de volonté de sacraliser au maximum l’existence. En cela, cette évolution est, à mon avis, assez en porte-à-faux avec les racines bibliques de la bénédiction.
Pourquoi ne serait-elle pas adaptée aux objets ?
Parce qu’ils ne sont pas vivants ! Si l’on reprend les racines du christianisme, bénir un objet n’a absolument aucun sens. Souhaiter que la vie de cet objet - qui en est dépourvu- puisse se développer est contradictoire.
Ne bénit-on pas plutôt la personne qui possède l’objet ?
Les gens qui proposent cela se rendent bien compte que bénir des objets n’a aucun sens et essaient de justifier la bénédiction de l’objet d’une autre manière. J’ai un peu peur que cet argument soit une entourloupe pour récupérer le sens fondamental de la bénédiction en procédant en fait davantage à un acte de sacralisation. S’ils ne veulent certainement pas tromper, je pense toutefois qu’ils s’illusionnent sur les bienfaits de ces bénédictions.
Pourquoi, alors, ne ferait-on pas pareil avec les charrues des agriculteurs, avec les mixe soupe ou n’importe quel autre objet ? Cela devient absurde, particulièrement parce qu’on ne le fait qu’avec certaines choses. Prenons l’exemple de la bénédiction des cartables. L’école, c’est le lieu où l’on apprend l’autonomie, l’intelligence, la rationalité. Bénir les cartables, c’est dire : "Dieu aura sa place là-dedans". Il est notamment question de bénir des smartphones, objets un peu assimilés au diable, qui illustrent une menace que la postmodernité fait peser sur le religieux. Il y a forme de réintégration de ces objets, motivée par la perception que l’on peut en faire un usage chrétien.
Ne serait-ce pas une volonté de répondre à des préoccupations de l’époque ?
Il y a une quarantaine d’années, les bénédictions sont tombées en désuétude, sauf pour des choses folkloriques : les armes pour la marche de Saint-Rolande, les chiens et chevaux pour la chasse à courre de Saint-Hubert. Bénir tablettes et smartphones, c’est peut-être assimilable à la bénédiction des semailles de l’époque. Mais j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit de montrer aux gens qu’on reste moderne. Plus fondamentalement, dans un monde sécularisé, un certain clergé, plutôt jeune, essaie de ramener une forme de sacralisation parce que ce monde a l’air d’être en porte-à-faux avec les valeurs de l’Evangile, que tout cela nous échappe. Cela répond à une peur de ce monde, peur que les jeunes, tentés par les mirages que fait planer la société de communication, ne s’éloignent de l’Eglise.
Le message de l’Eglise est-il perdu parmi ces futilités ?
Non, car je crois que ceux qui les promeuvent tentent, par ce biais, d’amener pédagogiquement les gens vers l’essentiel. Mais cela ne fait que renforcer cette idée qu’au fond de la religion, il y a quelque chose de sacral, de magique. Objectivement, il est clair qu’il s’agit d’une dérive par rapport à l’essentiel de la bénédiction. Cela dit, elle est portée vraisemblablement par un souci positif de maintenir les gens auprès de l’Eglise, de rencontrer leurs préoccupations. Si le but peut rester louable, les formes sont de l’ordre de la dérive.
En tant que prêtre, vous ne les pratiqueriez donc pas.
Certainement pas ! Si les fidèles me le demandaient, je profiterais de leur question pour leur faire comprendre qu’il ne s’agit pas de sacraliser des objets ou des actes que l’on pose avec ceux-ci, mais que l’Evangile propose autre chose comme démarche personnelle.