Fallait-il déclarer Ioane Tietiota 1er réfugié climatique?
La semaine passée, la Nouvelle-Zélande a renvoyé un habitant des Kiribati et sa famille sur leur île. La famille Tietiota avait fui les dangers causés par le réchauffement climatique. Et briguait le statut de réfugié pour n’avoir pas à rentrer dans un pays mort. Entretiens croisés.
- Publié le 29-09-2015 à 14h20
- Mis à jour le 29-09-2015 à 14h26
La semaine passée, la Nouvelle-Zélande a renvoyé un habitant des Kiribati et sa famille sur leur île. La famille Tietiota avait fui les dangers causés par le réchauffement climatique. Et briguait le statut de réfugié pour n’avoir pas à rentrer dans un pays mort. Entretiens croisés.
NON - Luc Leboeuf, juriste, assistant en droit international UCL, chercheur CeDIE (Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen)
En droit, le statut de réfugié climatique n’existe pas. C’est un terme médiatique. La Convention de Genève, qui octroie la protection à un réfugié, n’a pas été conçue pour les déplacements liés au réchauffement climatique. Et selon la Cour suprême de Nouvelle-Zélande, Ioane Tietiota n’est pas un réfugié climatique parce que son pays natal prend des mesures pour protéger ses citoyens malmenés par le climat.
Aujourd’hui, une personne peut-elle recevoir le statut de réfugié pour cause de réchauffement climatique ?
Non, en tant que tel, le statut de réfugié climatique n’existe pas. "Réfugié climatique" est un terme médiatique qui n’a pas d’existence juridique. Reconnaître le statut de réfugié à un individu qui fuit les conséquences du changement climatique est particulièrement compliqué aujourd’hui parce que la Convention de Genève n’a pas été conçue pour ce genre de déplacement. Pour rappel, selon son article 1er A, un réfugié est une personne qui, "craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays". Maintenant, un réfugié peut avoir des éléments climatiques dans son récit si, par exemple, suite à une catastrophe naturelle, il n’a pas droit à une aide dans son pays à cause de sa race ou de ses opinions politiques.
Un événement climatique soudain comme un ouragan ou une dégradation progressive d’un écosystème comme une sécheresse, deux situations bien différentes, peuvent provoquer des migrations climatiques. Est-ce imaginable que tous ces déplacés bénéficient d’un statut et d’une protection ?
Non, en droit, il y a deux catégories. Le migrant qui n’évoque que l’aspect climatique n’aura pas de protection. Au contraire du réfugié qui aura aussi subi des persécutions à cause de sa religion ou appartenance à un certain groupe social (voir plus haut). Reste que tout dépend d’examens au cas par cas.
Pourrait-on amender la Convention de Genève pour octroyer une protection à des personnes déplacées uniquement à cause du réchauffement climatique ?
J’imagine mal qu’on réforme un jour la Convention de Genève parce que ce serait ouvrir la boîte de Pandore et permettre de rediscuter sur tout. Non, il faudrait prévoir un texte de droit international spécifique. Dans le cadre actuel cependant, on voit mal les Etats s’entendre politiquement sur un tel texte qui élargirait le statut de réfugiés aux individus qui fuient les conséquences de catastrophes naturelles. En 2005, l’université de Limoges avait appelé les acteurs internationaux à s’accorder autour d’une telle convention mais il n’y a jamais eu de suite.
La Nouvelle-Zélande a renvoyé vendredi dernier Ioane Tietiota dans son archipel, Kiribati. Il ne sera donc pas le "premier réfugié climatique" au monde. Pourquoi ?
La Cour suprême de Nouvelle-Zélande a avancé principalement que Ioane Tietiota n’est pas un réfugié climatique parce que son pays natal, les îles Kiribati, prend des mesures pour protéger ses citoyens qui subissent les conséquences du changement climatique.
Dans ce sens, les habitants d’un pays qui construit des digues anticrues ou impose de nouvelles normes de construction ne pourraient pas être considérés comme réfugiés climatiques ?
Effectivement. C’est la logique de la protection internationale défendue notamment dans la Convention de Genève : on ne protège que lorsqu’il n’y a pas de protection dans le pays d’origine. C’est pour cela que soutenir les Etats qui ont moins de moyens et qui sont confrontés aux changements climatiques est la meilleure solution pour éviter ce genre de déplacements.
Quel avenir pour les habitants de certaines îles du Pacifique Sud qui pourraient physiquement disparaître ?
La question est ouverte et va poser beaucoup de difficultés. Quel serait leur statut ? Seront-ils apatrides ou non ? Aujourd’hui, le droit international n’apporte pas de réponse à la disparition d’un Etat pour une cause climatique.
OUI - Ophélie Gourdet, avocate inscrite au barreau de Caen depuis 2004, elle a disputé le dernier concours de plaidoiries du Mémorial de Caen sur le thème: “Ioane Tietiota, ou vers la reconnaissance d’un statut de réfugié climatique” (2015)
Les droits de ce monsieur sont clairement bafoués. Parmi les droits de l’homme non respectés dans son cas, on peut citer le droit à la vie, à la terre, à l’accès à l’eau potable. Il y a une circonstance aggravante : ce sont précisément ceux qui lui refusent une solution, les pays pollueurs, qui sont à l’origine du problème de son île, pays ultra propre qui va se faire engloutir à cause de la négligence des autres.
Pourquoi, selon vous, fallait-il reconnaître Ioane Tietiota comme réfugié climatique ?
Parce que lui et les autres habitants de Kiribati sont des victimes. Ils ne vivent que de la pêche côtière et de l’agriculture locale. Pas la moindre industrie polluante. Leur mode de vie est tout à fait propre. Seulement, ils subissent les conséquences des pollutions des autres. Rares sont les personnes qui, aujourd’hui, contestent encore que ce sont des régions comme la nôtre qui sont à l’origine du réchauffement climatique, lequel plonge les habitants de Kiribati dans une grande incertitude pour l’avenir. C’est un comble que ce soit précisément ceux qui sont à l’origine du problème qui, non seulement refusent la solution mais, en plus, ne semblent pas très concernés par le problème. Peut-être bougerions-nous davantage si nous étions plus impactés, comme eux ?
Très concrètement, pouvez-vous rappeler la situation des îles Kiribati ?
En raison des changements climatiques, les archipels des Kiribati sont menacés par la montée des eaux. Et les problèmes sont déjà bien réels. L’eau potable est de moins en moins disponible. Il y a de moins en moins de terres émergées. De plus en plus de gens doivent se partager de moins en moins de place, ce qui donne lieu à des situations de violence et à une insécurité grandissante. Certains habitants doivent donc se résigner à partir.
Tel était le cas d’Ioane Tietiota, parti en Nouvelle-Zélande. Il en a été renvoyé la semaine passée, en même temps qu’était épuisé le dernier recours juridique à sa disposition pour tenter de se faire accepter comme réfugié climatique. Pourquoi considérez-vous qu’il aurait fallu accepter sa demande ?
Pour cause de non-respect des droits de l’homme. Précisément, plusieurs droits sont violés tels que le droit à la vie, à la terre, à l’accès à l’eau potable, à la culture, à l’éducation. Tous ces droits fondamentaux sont bafoués. Il était tout à fait possible de créer du droit sur la base de ces arguments. Il est vrai qu’il faudrait créer un statut particulier de réfugié climatique, comme on a créé celui de réfugié tel qu’on l’entend aujourd’hui après la guerre. Ce sont les circonstances factuelles qui ont amené à cela. De la même façon, on pouvait avancer dans ce sens aujourd’hui. C’est une question de volonté.
Pourquoi avez-vous choisi ce sujet-là ?
J’avais réellement envie de porter une problématique autour de l’écologie. Je considère que c’est une problématique très importante. En 2012, plus de 32 millions de personnes ont été déplacées pour cause de sécheresses, inondations, ouragans, etc. Et ce pourrait être le cas de 150 à 500 millions d’ici 2050 à cause des catastrophes naturelles !
Les plaidoiries défendues dans ce genre de concours font-elles parfois bouger les lignes réelles ?
Il paraît. Il y a quelques années, le gagnant était vraiment bien suivi. J’ignore ce qu’il en est aujourd’hui mais elles ont au moins le mérite d’empêcher que l’on ferme les yeux. Comme je l’ai dit dans ma plaidoirie, "l’ennemi, c’est le changement climatique et le déni de cette réalité" .
Vos arguments n’ont connu aucune suite ?
Non. M. Tietiota et sa famille n’ont rien fait, n’ont commis aucun crime. Et pourtant on les a condamnés. La destruction des écosystèmes constitue réellement un problème gravissime. J’ai également travaillé sur la problématique du déplacement de certaines populations indigènes au Brésil, qui sont chassées de leurs terres par des propriétaires terriens qui déforestent pour produire de l’éthanol et du bioéthanol. Un représentant de ce peuple a été entendu à Paris, dans le cadre de la conférence Climat. Et là aussi, les débats ont tourné autour de notions juridiques. On utilise le terme d’écocide, pour signifier la destruction de l’écosystème en référence au génocide. Le point commun c’est que, c’est vrai, cette notion n’existe pas aujourd’hui, mais qu’elle correspond pourtant à un besoin à combler de façon urgente pour ces gens. Vraiment, on parvient toujours à créer quelque chose au niveau des textes lorsqu’on veut justifier une décision.