Des flexi-jobs, une bonne idée pour l'Horeca?
Une nouvelle sorte de jobs, imaginée pour l'Horeca par le secrétaire d'Etat à la Fraude sociale, a débarqué sur le marché mardi. Sous contrats écrits ou oraux, avec un brut égal au net, et renouvelables. De quoi favoriser l'emploi ou, au contraire, le menacer? Opinions croisées.
Publié le 01-12-2015 à 19h52 - Mis à jour le 02-12-2015 à 16h27
Une nouvelle sorte de jobs, imaginée pour l'Horeca par le secrétaire d'Etat à la Fraude sociale, a débarqué sur le marché mardi. Sous contrats écrits ou oraux, avec un brut égal au net, et renouvelables. De quoi favoriser l'emploi ou, au contraire, le menacer?
OUI - Thierry Neyens, dirigeant de l'Hostellerie Du Peiffeschof, président de la Fédération Horeca Wallonie.
Ces emplois permettront à des employeurs de gérer des périodes chargées (événements, fêtes, communions...) moyennant une main-d’œuvre à moindre coût. Et à des travailleurs - déjà salariés ailleurs à 4/5 - de gagner un revenu supplémentaire net, sans impôt et sans cotisation. Les flexi-jobs offrent surtout transparence et légalité en officialisant certaines heures de travail en noir. Depuis le 1er décembre, le secteur Horeca (hôtels, restaurants, cafés) peut utiliser un nouveau contrat singulier : le "flexi-job". En quoi consiste-t-il ?
Le flexi-job, hybride entre un contrat de travail et un contrat civil, peut être établi pour une période déterminée ou pour un travail défini. Chaque occupation est couverte par 2 contrats : un contrat-cadre qui précise la fonction exercée, le montant de la rémunération, la façon et le délai dans lequel l’employeur fera appel au travailleur… et, à chaque occupation, un contrat flexi-job qui peut être conclu oralement ou par écrit. Vu ce contrat atypique travail/civil, des questions se posent déjà comme : y aura-t-il des primes de fin d’années ?, quid en cas d’absence ?, quid si la prestation prévue est annulée ?
A qui est-il destiné ?
Aux employeurs qui veulent gérer les périodes chargées - absence momentanées ou pointe en période de communions, de fêtes ou lors d’un événement - moyennant une main-d’œuvre - parlons de renfort - à moindre coût. Et côté travailleur, à des personnes qui déjà travaillent au moins à 4/5 temps comme salarié chez un ou plusieurs autre(s) employeur(s) et qui paient donc des charges sociales complètes. Ces derniers pourront alors bénéficier d’un revenu supplémentaire dans l’Horeca. Mais trouvera-t-on facilement ce type de travailleur disponible ? Une personne qui travaille à 4/5 temps et pas à temps plein, c’est pour s’octroyer du temps loisir ou de famille comme la maman à 4/5 qui ne travaille pas le mercredi. Pourquoi aura-t-elle envie de travailler 1/5 temps en plus sans cotiser et donc sans pension complémentaire ? Il faudra bien expliquer, communiquer et promouvoir ce flexi-job auprès du grand public pour attirer des gens intéressés et surtout les profils recherchés. Parce que notre secteur demande des gestes techniques et ne travaille pas avec des manutentionnaires.
Selon Bart Tommelein, le secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude, le travailleur va bénéficier d’un revenu net plus élevé et l’employeur d’un coût total plus bas. Tout le monde semble gagnant ?
De fait, le flexi-job permettra aux employeurs du secteur d’engager un travailleur à un taux horaire minimal de 9,50 €. Il s’agit pour lui d’une rémunération nette, donc exonérée d’impôt et de l’autre côté seule une cotisation patronale de 25 % sera due. Mais je préfère me réjouir après une simulation chiffrée exacte.
Vous semblez dubitatif ?
Non, c’est positif. Ces flexi-jobs offrent aussi de la transparence et de la légalité au lieu de payer des heures en noir. Ils officialisent des situations floues et permettent à des travailleurs et employeurs de ne plus jouer avec le feu, d’être couverts en cas d’accident ou de contrôle. Fini les amendes à la clé. Le cadre est là mais on jugera aussi du poids de l’administratif.
Ces flexi-jobs font partie du plan Horeca décidé par le gouvernement fédéral en février 2015. Que pensez-vous de ce geste fort appuyé par les deux autres mesures ?
Le travail occasionnel relevé de 100 à 200 jours/an par établissement et les heures supplémentaires nets dans les établissements avec caisse intelligente qui passent de 180 à 360 h/an sont une très bonne chose. Mais les heures supplémentaires concernent les emplois temps pleins. Et je m’interroge : n’a-t-on pas intérêt à travailler avec 5 vrais temps pleins qui prestent des heures supplémentaires au lieu de 6 temps pleins qui prestent uniquement leur 38h ? Il y aura de l’ingénierie dans l’air et une évaluation prochaine.
On sent à tout le moins des interrogations.
Ces mesures - dites compensatoires - sont conditionnées à l’implantation et l’utilisation des caisses intelligentes. Ce sont les carottes d’un côté pour encourager l’emploi et le bâton de l’autre contre le travail au noir. Mais nous redoutons de gros problèmes du côté des caisses vu l’absence d’arrêté d’application (et de son champ) ou suite à la faillite de certains fabricants de ces caisses et conséquemment leur impossibilité d’intervenir techniquement en support. Mais ça, on en reparle la semaine prochaine.
NON - Frans Dirix, secrétaire national CSC Alimentation et services.
Non seulement ces flexi-jobs vont déstabiliser le secteur mais ils ne règlent rien en matière de travail au noir. Pire : ils le légalisent. Tout est convenu entre travailleur et employeur individuellement, sans nécessité de contrat écrit, et pour un tarif horaire inférieur au minimum actuel. C’est une vraie menace pour les emplois fixes, d’autant que l’expérience pourrait être étendue à d’autres secteurs.
Les syndicats de l’Horeca ont publié un communiqué commun pour contester la formule de flexi-jobs créée pour l’Horeca et qui va, disent-ils, déstabiliser le secteur. Pourquoi ?
Parce que nous avons derrière nous environ quarante ans de négociations sociales dans ce secteur, entre employeurs et syndicats, pour y réguler le travail. Nous avons abouti à des conventions concernant horaires, temps de travail, profils de fonction, etc. Savez-vous qu’il y a 150 fonctions différentes dans l’Horeca ? Chacune est décrite de façon scientifique avec un niveau de salaire correspondant. Et voilà que tout cela est balayé avec ces flexi-jobs qui ne respectent même pas le minimum. Le salaire minimum du secteur est, je pense, de 11,42 euros/heure. Et on met des flexi-jobs en route pour 11.42 euros, quelle que soit la fonction. En plus, il n’y a plus aucune obligation ni concernant le maximum d’heures, ni pour la flexibilité concernant les moments où ces heures sont prestées. Le contrat peut même être convenu oralement. Je vous appelle, vous venez immédiatement travailler puis, quand il n’y a plus de travail, je vous renvoie chez vous. C’est une légalisation du travail au noir !
La mesure est pourtant présentée pour lutter contre l’emploi non déclaré. Ce n’est donc pas du tout le cas ?
Au début de cette année, les trois syndicats sont allés chez Bart Tommelein pour discuter de la meilleure façon de résoudre le problème du travail au noir. Nous voulions impliquer la concertation sociale (employeurs, syndicats et gouvernement). Le secrétaire d’Etat a répondu qu’il était partant pour faire cela, qu’une table ronde aurait lieu. Cela n’a jamais été le cas. Pour répondre à votre question, sa nouvelle loi ne résout rien. J’ajouterais même qu’on connaît la créativité en la matière dans le secteur. Et que cette mesure ouvre la porte à plus encore de créativité qu’aujourd’hui. Nous sommes vraiment inquiets pour l’emploi durable dans notre secteur. On parle toujours du travail au noir, mais il ne faut pas oublier qu’il y a tout de même 120 000 personnes qui travaillent "en blanc" dans l’Horeca.
Et au noir ?
C’est par définition compliqué à mesurer. Certainement plusieurs milliers. Pour avoir une idée, on avance généralement le chiffre de 40 % pour évaluer la proportion des revenus de l’Horeca qui sont du noir.
Les flexi-jobs sont accessibles à des personnes ayant un contrat d’un minimum de 4/5e temps ailleurs. Cela concerne-t-il vraiment beaucoup de monde ?
Mais oui, c’est courant dans l’Horeca. Il y a beaucoup de gens employés dans ce secteur qui ont un temps partiel de salarié. Imaginez-vous un instant que vous soyez traiteur. Demain, vous devez engager. Vous avez, d’un côté, un système sans aucune obligation et, de l’autre, un système de travailleurs fixes, avec un tas de règles à suivre : qu’allez-vous choisir ? En plus, les flexi-jobs vous coûtent moins cher et tout est convenu entre travailleur et employeur, individuellement, même pas nécessairement par écrit… C’est la raison pour laquelle je vous dis que nous sommes inquiets pour les emplois durables.
Les flexi-jobs pourraient-ils remplacer ces emplois fixes ?
Non, il y aura toujours des emplois fixes évidemment. Mais je suis certain que la proportion va diminuer avec ce système qui va encourager la concurrence déloyale.
De quelle façon ?
Reprenons le même exemple du traiteur qui engage. Deux travailleurs fixes travaillent pour lui, ainsi que dix "flexi-jobs". Son concurrent d’en face n’emploie que des travailleurs fixes. Les marges de prix ne sont pas d’une grandeur telle que cette concurrence puisse être facilement supportée. Et puis il ne faut pas oublier de se poser la question de qui va payer la facture. Puisque le travailleur ne paie ni taxes ni ONSS, qui paiera la note de la sécurité sociale ?
Seul l’Horeca est-il concerné ?
Interrogé à la VRT, Bart Tommelein a clairement répété ce que Gwendoline Rutten du VLD avait déjà dit, à savoir qu’il s’agit d’une expérience dans l’Horeca et que, si celle-ci s’avère positive, on pourrait l’élargir à d’autres secteurs.