Capitales de la culture: une part du budget bloquée pour l'après?
L'Europe doit-elle réserver obligatoirement une partie du budget qu'elle alloue à ses capitales de la culture pour assurer l'avenir de leurs réalisations? Il est trop tôt pour tirer le bilan de Mons 2015. Alors deux expériences passées s'affrontent. Opinions croisées.
Publié le 13-01-2016 à 18h58 - Mis à jour le 14-01-2016 à 17h39
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L'Europe doit-elle réserver obligatoirement une partie du budget qu'elle alloue à ses capitales de la culture pour assurer l'avenir de leurs réalisations? Il est trop tôt pour tirer le bilan de Mons 2015. Alors deux expériences passées s'affrontent.
OUI - Robert Garcia, coordinateur général de Luxembourg, capitale européenne de la culture 2007.
Il faut trouver un mécanisme pour bloquer une partie de l’argent attribué à une capitale européenne de la culture pour poursuivre certaines initiatives. Après "Luxembourg 2007", tout est tombé en désuétude. Il ne reste rien des projets de réhabilitation d’anciens lieux sidérurgiques et de collaborations transfrontalières. Et de superbes projets émergents ont dû s’interrompre, faute de moyens.
A plusieurs reprises, vous avez défendu l’idée que, dans le cadre de l’organisation des capitales européennes de la culture, il faudrait obligatoirement prévoir qu’une partie du budget alloué par l’Europe soit réservée à permettre aux diverses initiatives liées à l’événement de continuer à vivre. Pourquoi ?
Je l’ai effectivement formulée à plusieurs reprises, dans la foulée de Luxembourg 2007 dont j’étais le coordinateur général. A l’époque, j’avais voulu utiliser dans ce sens ce qu’il restait du budget attribué à l’événement. L’idée était de continuer des projets "post-capitale européenne". Seulement au final, nous n’avons même pas pu récupérer l’argent que nous avions imaginé de pouvoir réserver à pérenniser certaines initiatives. Pour les pouvoirs publics, une fois que l’échéance est passée, c’est trop tard. Et donc tout est tombé en désuétude.
Comprenez-vous néanmoins que l’Europe ne peut pas tout financer et, qu’à un moment, ce sont les autorités locales qui devraient prendre la suite ?
Bien sûr. D’autant que le premier challenge des organisateurs d’une capitale européenne, c’est déjà de décrocher un bon budget de départ. Dans toute la série des "capitales", on a vu moult directeurs obligés de démissionner faute d’avoir obtenu l’assurance qu’ils pourraient compter sur un budget. Les accords concernant les budgets sont toujours assez frileux, vu les montants faramineux en jeu, de l’ordre de 50 à 80 millions d’euros. Et, d’autre part, ils sont souvent fixés six à huit ans à l’avance. Le temps d’arriver à l’année des festivités, les gouvernements et les bourgmestres ont changé et il arrive qu’on voie les budgets rétrécir à chaque passage à une équipe différente. Or, sur base de promesses, on a déjà commencé à engager des gens, à prendre des engagements… Bref, l’un dans l’autre, lorsqu’une année de capitale européenne de la culture se termine, il ne reste souvent plus rien dans les caisses.
Et où est précisément le problème ? Pouvez-vous l’évoquer avec l’exemple de Luxembourg ?
Je dois le dire franchement. J’ai eu vraiment mal au cœur pour un tas de jeunes artistes. Nous avions mis l’accent sur des projets émergents. Ceux-ci étaient superbes et vraiment très prometteurs. Seulement, en 2008, il n’y a plus eu d’argent pour les continuer. Ce que je trouve lamentable. Autre exemple : après dix années de pourparlers, nous avons enfin réussi, en 2007, à mettre sur pied un premier grand festival du film. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien il a fallu faire du lobbying pour que ce rendez-vous puisse survivre. Pourtant, c’était un des projets phares en 2007 !
Pour éviter ces désagréments, votre idée serait donc d’agir en amont et de cadenasser une partie du budget pour assurer "l’après". Selon vous, les responsabilités européennes d’une année européenne de la culture dépassent donc 365 jours ?
Mais oui. Il faudrait même aller plus loin, à savoir tenir compte, dans les critères d’attribution du titre de capitale européenne de la culture, de ce qui sera fait après pour éviter que tout s’arrête brutalement. J’ai fait de la consultance pour beaucoup de capitales européennes de la culture, dont celle qui va commencer maintenant à Valence. Et j’ai toujours défendu l’idée qu’il faut absolument trouver un mécanisme pour pouvoir pérenniser certaines activités. Cela n’a pas de sens que tout retombe brutalement comme ça…
Au vu des sommes globales investies, diriez-vous qu’un bilan complet d’une édition devrait également tenir compte de ce que deviennent les différents projets ?
Certainement. Je reviens à Luxembourg 2007. Un autre point fort était la réhabilitation pour la culture d’anciens lieux sidérurgiques. Dont un lieu du côté d’Esch. Or, ce projet n’a pas pu être continué. L’année européenne de la culture devait aussi être l’occasion de collaborations transfrontalières. Si tel a un peu été le cas pendant cette année, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Rien du tout. Je suis particulièrement déçu.
NON - Olivier Célarié, responsable de la communication de Lille 3000
Si l’année européenne de la culture en 2004 à Lille a révélé l’énergie créatrice de son territoire, notre association Lille 3000 poursuit et approfondit ce dynamisme. Mais notre mission n’est pas toujours facile, notamment pour trouver des financements. C’est un défi que nous relevons quotidiennement avec l’appui de la municipalité, qui a bien compris que la culture est un moteur de l’économie.
Lille a-t-elle connu un creux après avoir été désignée capitale européenne de la culture en 2004 ?
Non, parce que la municipalité avait d’ores et déjà décidé d’appuyer la création d’une association et d’événements qui assureraient la pérennité du dynamisme cuturel mis en place. En tant que maire de la ville, Martine Aubry a demandé à l’homme-orchestre Didier Fusillier de conserver une équipe et de prévoir des manifestations futures, sous le label Lille 3000, qui connaîtraient une première édition dès 2006.
Et ceci, sans compter sur l’appui de l’Europe ?
C’était clair dès le départ. C’est la règle : vous disposez d’un budget pour créer un moment exceptionnel, et puis, une fois l’année européenne de la culture écoulée, il faut capitaliser sur les synergies des acteurs culturels en place - les associations, les bénévoles, le public…
La municipalité a dès lors puisé dans son budget pour continuer d’alimenter la machine culturelle ?
Elle a pris son destin en main. Il faut rappeler qu’après l’année européenne de la culture en 2004, l’exercice budgétaire était positif. Pour la première édition de Lille 3000, intitulée Bombaysers de Lille, on a installé à nouveau l’art dans la rue, on a refait fonctionner les Maisons Folies (des équipements culturels ouverts à tous et à toutes les activités, NdlR) et on a investi le Tripostal, le lieu emblématique de la ville. Tout en faisant participer la population locale, ce qui est très important pour nous, on a aussi donné une image nationale, voire internationale à l’événement. Sur trois mois, 230 000 visiteurs ont fréquenté les expositions. Une réussite, sans aucun doute, mais aussi un pari gagnant, puisqu’après la première édition de Lille 3000, les autres collectivités territoriales - la métropole européenne, la région, le département et même l’Etat - sont revenues dans le tour de table de financement. Cet automne, par exemple, quand on a organisé la quatrième édition thématique de Lille 3000 , on a entre autres bénéficié du soutien de la métropole européenne de Lille et de l’Etat.
Les succès suffisent-ils pour attirer les investisseurs ?
Certainement pas, c’est un combat permanent. Et il ne suffit pas de réussir pour que tout le monde vous suive. Dans les entreprises et dans les institutions, les directions changent et ne se ressemblent pas : si l’un vous soutient, son successeur peut vous tourner le dos. Pour nous, c’est une remise en question quotidienne. Rien n’est jamais acquis, sans compter que la crise économique est passée par là. Heureusement, on peut toujours continuer à compter sur l’enthousiasme de la population et du public.
La population ne vous a jamais lâché depuis Lille 2004 ?
Au contraire, les bénévoles qui ont participé à la communication des événements de l’année européenne de la culture mais aussi à son élaboration ont continué à être très actifs. Mieux : ils ont constitué une petite tribu qui contribue grandement au rayonnement et à la richesse culturels de Lille. Ils organisent des activités en parallèle, trouvent leurs propres financements privés ou publics… Ils ont d’ailleurs été témoigner de leur expérience dans différentes villes désignées comme capitales européennes de la culture, à l’instar de Mons. Mais, si les bénévoles ont la volonté de continuer à s’impliquer dans la vie culturelle de leur région, il faut leur en donner les moyens. Les bénévoles ne peuvent pas être les producteurs d’événements culturels, car il y a inévitablement une gestion des financements, des équipements et des lieux qu’il faut assumer. Et là, c’est aux autorités d’intervenir.
En conclusion, pour assurer l’avenir culturel d’une capitale européenne, il faut donc de la motivation à tous les niveaux ?
C’est bien le fin mot de l’histoire, c’est une question de motivation. On l’a vu, depuis Lille 2004, il y a eu beaucoup de capitales européennes de la culture, et c’est la motivation qui détermine leur futur.