Faut-il supprimer les tunnels à Bruxelles ?
Une analyse de risques détaillée est en cours dans les tunnels bruxellois. Dernièrement, d’importantes fissures dans le béton du plafond du tunnel "Stéphanie" ont été découvertes. Le temps serait-il venu de remettre en cause toutes les infrastructures souterraines et de repenser la mobilité de la capitale? Opinions croisées.
Publié le 18-01-2016 à 18h59 - Mis à jour le 19-01-2016 à 14h31
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZBB4CSZJIBHNRM35IYM6SONEEY.jpg)
Une analyse de risques détaillée est en cours dans les tunnels bruxellois. Suite à la découverte d’importantes fissures dans le béton de son plafond, le "Stéphanie" restera fermé au moins jusqu’au week-end. Concernant le "Léopold II", des travaux de rénovation ont été annoncés. Et les autres ? Le temps serait-il venu de remettre en cause toutes les infrastructures souterraines et de repenser la mobilité de la capitale? Opinions croisées.

OUI - Isabelle Pauthier (directrice de l'Arau, Atelier de recherche et d'action urbaines)
Les tunnels (et viaducs) sont vétustes, dangereux, polluants et coûteux. On n’est plus dans les années 60 du "tout à la voiture individuelle" qui s’engouffre dans la ville depuis la périphérie. Place aux Bruxellois et à leur qualité de vie avec moins d’autos et plus de transports en commun, de covoiturage et de vélos.
Les tunnels routiers à Bruxelles font-ils partie du passé ou est-ce l’avenir ?
Résolument du passé. Le premier à devoir être fermé définitivement doit être le tunnel Léopold II. Pour plusieurs raisons. Ce tunnel s’avère très dangereux vu sa vétusté, celui de Stéphanie tombe en morceaux, d’autres sont souvent fermés pour être colmatés. Les problèmes de sécurité et de responsabilité sont flagrants. Ensuite, ces tunnels (et viaducs) ont été imposés par l’Etat belge sans considération pour le cadre de vie des Bruxellois qui y étaient opposés depuis le début. Un Didier Gosiun se bat depuis 25 ans pour la destruction de ce viaduc des Trois Fontaines qui sort de la forêt de Soignes. Vient après le problème du coût. La Région a annoncé que le coût total de rénovation du Léopold II sera de 660 millions d’euros (rénovation, étanchéité, maintenance et financement d’un partenariat public-privé) auxquels s’ajoutent les 100 millions de sa construction en 1986. Quatrième argument : tunnels et viaducs sont des modes de mobilité des années 60, axés sur l’habitat en périphérie urbaine et sur le "tout à la voiture individuelle" bénéficiant de ces infrastructures autoroutières pénétrant dans la ville. Il est temps d’opérer un transfert modal, c’est-à-dire d’orienter la mobilité de Bruxelles vers d’autres modes de déplacement moins polluants et moins encombrants. La part de la voiture y a déjà baissé de 16 % entre 2005 et 2014. Il faut continuer, au bénéfice des transports en commun, du covoiturage et du vélo. La Région s’est fixé 20 % des déplacements à vélo en 2020. Nous sommes à 4 % ! Où sont les infrastructures et aménagements à cette fin ? Enfin, cette quantité d’autos génère une masse de polluants. Le Benelux est la zone d’Europe la plus polluée d’Europe, avec l’Italie du Nord.
Mais fermer définitivement les tunnels serait amener le chaos et l’asphyxie en surface ?
On peut difficilement imaginer mettre en surface les 65 000 véhicules - avec une moyenne d’1,15 usager par voiture ! - qui passent par jour dans le Léopold II. Mais actuellement, les gens viennent dans Bruxelles en voiture parce que c’est facile, surtout s’ils ont une place de parking à destination. Il faut commencer par fermer les robinets en amont, à l’entrée de Bruxelles. Comme à Londres, il faut faire payer les vrais coûts des externalités du transport aux usagers. Toutes les études convergent : il faut instaurer pour tout le monde une taxe sur l’usage de la voiture en ville (entre 3 et 12 euros par véhicule par jour), de manière à inciter ceux qui ont à disposition une alternative, de la prendre. La recette de ce péage - estimée à 180 millions d’euros par an - devra être affectée uniquement pour développer le transport en commun. On le voit lors de grèves ou de travaux annoncés, l’usager a une réelle capacité d’adaptation. Certains avaient prédit l’enfer après le démontage du viaduc Reyers, aujourd’hui tout va bien et le cadre de vie s’est amélioré. L’économie de la ville ne risque-t-elle pas d’en pâtir ?
Au contraire. Avec ses habitants, la vie économique est la plus pénalisée par la congestion. Le transfert modal pourra libérer de la fluidité en faveur des professions captives de l’automobile et des livreurs. Oui, la ville peut fonctionner avec des transports en commun. Vous savez, une entreprise comme Axa quitte la périphérie du boulevard du Souverain pour se relocaliser porte de Namur, pour des raisons de mobilité. 4 000 employés migrent au centre… sans avoir leur 4 000 places de parking.
Supprimer les tunnels et taxer l’auto, n’est-ce pas utopique ?
Londres ou Milan l’ont réalisé. Lyon a supprimé des tunnels, a aménagé des boulevards urbains, a renforcé l’offre des transports en commun, a fait baisser de 15 % les déplacements en auto et n’est pas à l’agonie.
NON - Boris Dilliès (Député MR et échevin des Finances, de l'Economie et du Commerce, et de la Jeunesse)
Y renoncer aurait un énorme impact économique. Car il est illusoire de penser pouvoir reporter cette circulation en surface ou réduire suffisamment le flot pour éviter un véritable chaos. Le fédéral aide la Région pour cela : les moyens de réparer, on les a !
Il y a un mois, le gouvernement bruxellois confirmait sa volonté de restaurer le tunnel Léopold II dont l’état de vétusté avait précédemment été dénoncé. Alors que le tunnel Stéphanie a récemment été fermé pour des raisons de sécurité, certains remettent à nouveau en cause l’existence même de tunnels dans la capitale. Selon vous, faut-il les fermer ?
Certainement pas ! C’est une question de bon sens. Quelque 65 000 véhicules empruntent le seul tunnel Léopold II tous les jours pour entrer dans Bruxelles. Le supprimer aurait forcément un énorme impact économique. Pire encore, si on pense à les fermer tous ! Vous ne pensez tout de même pas que toute l’activité économique peut être réalisée à pied, à vélo ou en tram ! Une telle décision pousserait forcément une série d’entreprises à se délocaliser parce que tout déplacement deviendrait complètement infernal…
Et si l’on parvient à gérer le flot de circulation en surface ?
Cet argument, avancé par certains, est complètement irréaliste ! Impossible de pouvoir absorber toute la circulation en surface. Fermer les tunnels consisterait donc à opter pour un chaos encore plus important que l’enfer que nous connaissons déjà avec, comme corollaire, d’appauvrir drastiquement Bruxelles dans sa dimension économique. Pour nous en persuader, nous disposons actuellement d’un test grandeur nature. Regardez les conséquences de la fermeture du tunnel Stéphanie ! Le problème avec ce dossier, c’est qu’on aurait dû s’en occuper depuis bien longtemps. On est allé tellement loin qu’il faut maintenant agir dans l’urgence, ce qui n’est jamais une bonne chose. Alors oui, on est obligé de consacrer beaucoup d’argent à effectuer de lourdes réparations, faute d’avoir entretenu les infrastructures comme il fallait.
Cette situation ne serait-elle pas l’occasion de tout remettre à plat et de penser, globalement, la mobilité à Bruxelles ?
Bien sûr qu’il faut avoir ce débat. Mais quoi, en attendant ? Le tunnel Léopold II a environ 30 ans. D’autres sont beaucoup plus anciens puisqu’ils datent des années 50. Je répète qu’il n’y a qu’à regarder le flot de voitures qui les empruntent au quotidien pour comprendre leur utilité. Soyons sérieux : à moins de décider de mettre toute la Région en piétonnier (je caricature à peine), comment voulez-vous compenser ?
A moins de faire le choix de refouler les voitures ?
Qui se reporteront alors sur les voiries annexes, avec d’importantes conséquences sur la qualité de vie des riverains. Car, avant de pouvoir se passer de la voiture, il faut une alternative suffisante, notamment en termes de transports en commun. Ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Connaissez-vous un seul tunnel qui soit peu utilisé ? Alors qu’on a justement besoin d’améliorer la fluidité de la circulation, une ou plusieurs fermetures entraîneraient tout le contraire !
Et si le nombre de voitures diminuait ?Même si on parvenait à limiter le flux, cela signifie-t-il qu’il faut laisser tout le monde en surface ?
Les désagréments, notamment en terme d’impact sur l’environnement, sont bien moindres si les voitures roulent sous la surface.
Faut-il avoir peur aujourd’hui de rouler dans ces tunnels ?
Non mais il est urgent de connaître l’état précis dans lequel ils sont. Cette analyse est en cours. Mais des études, il y en a déjà eu plein. Maintenant, il faut agir et procéder aux travaux nécessaires pour éviter absolument de devoir toujours prendre des décisions dans l’urgence. Et ceux qui disent que les moyens n’existent pas pour cela mentent. Le fédéral vient déjà en aide à la Région bruxelloise pour qu’elle puisse assurer son rôle de centre de transit des navetteurs venus de l’extérieur de Bruxelles.