Les préparations des pharmaciens sont-elles vraiment magistrales?
L'association de consommateurs Test-Achats affirme que les pharmaciens se trompent souvent. Lors d'un test dont les résultats sont publiés ce mercredi, seul un pharmacien sur cinq a réalisé une "préparation magistrale" conforme. Les professionnels, eux, relativisent. d'autant que les solutions sont là. Opinions croisées.
Publié le 26-01-2016 à 18h57 - Mis à jour le 27-01-2016 à 18h46
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L'association de consommateurs Test-Achats affirme que les pharmaciens se trompent souvent. Lors d'un test dont les résultats sont publiés ce mercredi, seul un pharmacien sur cinq a réalisé une "préparation magistrale" conforme. Les professionnels, eux, relativisent. d'autant que les solutions sont là.
NON - Julie Frère, porte-parole de l'association de consommateurs Test-Achats qui publie cette enquête dans le magazine "Test Santé".
44 pharmacies ont été sélectionnées au hasard. Des malades fictifs leur ont demandé une préparation magistrale de 40 gélules de dexaméthasone de 0,5 mg. Résultat : la préparation de 80 % des pharmaciens n’était pas conforme : sous-dosée, surdosée ou mal mélangée. La situation a même empiré depuis une enquête similaire voici 5 ans.
Test-Achats a enquêté sur la qualité de préparations magistrales délivrées par les pharmaciens. Mais de quoi s’agit-il ?
Les préparations magistrales sont des médicaments que le pharmacien concocte lui-même sur la base d’une prescription médicale. Elles représentent 5 % des prescriptions. Un arrêté royal de 2009 stipule que tous les pharmaciens doivent être capables d’effectuer de telles préparations. Ils sont encadrés à ce niveau par un ouvrage de référence - le FTM (formulaire thérapeutique magistral) - qui décrit la composition, le mode de préparation, la durée de conservation, etc., de chaque préparation.
Que révèle votre enquête ?
44 pharmacies ont été sélectionnées au hasard en Belgique (20 en Wallonie, 20 en Flandre et 4 à Bruxelles). Briefés et munis d’une prescription, 11 patients fictifs y ont demandé une préparation magistrale, soit 40 gélules de dexaméthasone de 0,5 mg. Ce n’est pas une substance des plus difficiles à préparer mais bien une préparation souvent prescrite par les médecins généralistes. Un laboratoire spécialisé a analysé ensuite les préparations. Selon la pharmacopée européenne, une préparation doit répondre à trois critères pour être conforme : une capsule doit contenir la même quantité de poudre, il ne doit pas y avoir de surdosage ou de sous-dosage et la substance active doit être répartie uniformément sur l’ensemble des capsules. Résultat de l’enquête : 7 préparations sur 44 ne contenaient pas la même quantité de poudre. Dans 5 préparations, la substance active n’était pas répartie uniformément. Enfin 28 préparations contenaient trop peu de substance active et 2 de trop. Au final 80 % des pharmaciens ont été pris en défaut sur la teneur moyenne du principe actif et de sa répartition. Ce même test avait été effectué en 2010 et avait révélé que 1 pharmacien sur 4 avait réalisé une préparation conforme. La situation a empiré puisqu’en 2015, 1 pharmacien sur 5 offre une réalisation conforme. Le sous-dosage est le principal problème.
Est-ce dangereux pour une personne malade ?
Le sous-dosage n’est pas dangereux mais l’ingestion moindre de substance active conduit à de moins bons résultats dans le traitement de la maladie. Il ne faut toutefois pas négliger les risques liés au mauvais dosage, pour les enfants, un milligramme de substance active en plus ou moins peut faire une fameuse différence. A côté, si le dexaméthasone s’avère une substance moins risquée, le danger peut venir de médicaments à marge thérapeutique étroite, c’est-à-dire dont la différence entre la dose thérapeutique et la dose toxique est très faible.
Comment expliquer des résultats aussi négatifs ?
Ces préparations restent très artisanales. Le nombre aussi élevé de problèmes est lié à un manque de connaissances et de compétences, à un équipement insuffisant (mortier, pilon, balance…) et à un manque d’expérience dans la réalisation des préparations.
Que demandez-vous en tant que défenseur des intérêts des consommateurs ?
Nous plaidons pour que les préparations magistrales puissent être sous-traitées. Aujourd’hui un arrêté royal interdit la sous-traitance (sauf cas de préparations stériles). Aux Pays-Bas, cette voie connaît un certain succès avec l’ouverture des "pharmacies de préparations", spécialisées dans les préparations magistrales, ce qui en plus soulage les pharmaciens.
"Les pharmaciens se trompent souvent", titre votre article. Faut-il considérer que la rigueur de ces professionnels n’est plus à la hauteur de leurs 5 années d’études universitaires ?
Non, on ne peut pas généraliser à l’ensemble du secteur pharmaceutique et dire que les compétences des pharmaciens diminuent. Cette enquête est l’instantané d’une situation à un moment donné dans les 44 pharmacies visitées. On peut toutefois faire un lien avec l’enquête d’il y a 5 ans. On ne constate aucune amélioration, au contraire. Après notre première enquête, nous avions demandé que des mesures soient prises. Depuis, quasi rien n’a changé. On constate juste que l’Agence fédérale des médicaments (AFMPS) a modifié le FTM (cf. supra) mais notre demande d’augmenter la transparence concernant les contrôles et sanctions en cas de non-respect des exigences n’a pas été retenue.
OUI - Alain Chaspierre, porte-parole de l'Association pharmaceutique belge (APB).
Ce qui me dérange, c’est qu’on a maintenant l’impression que tout est mauvais sur base d’un cas à propos duquel des recommandations sont sur le point d’être publiées. Un précédent test avait en effet déjà montré que, pour cette préparation spécifique, les pharmaciens ne pouvaient pas obtenir de résultats optimaux. Rien à voir avec leurs compétences ou leur sérieux. Et il n’y a bien sûr aucun danger.
Avant tout, qu’est-ce qu’une préparation magistrale ?
C’est un outil thérapeutique très important préparé en officine par une personne autorisée, à destination d’un patient particulier, sur base d’une ordonnance. C’est une médication sur mesure, personnalisée, adaptée par le médecin aux besoins de son patient.
Après le test qu’elle vient de mener, l’association Test-Achats communique qu’un pharmacien seulement sur cinq a pu délivrer la préparation demandée en totale conformité avec la prescription du médecin. Etes-vous d’accord que c’est peu ?
Non. Il faut savoir que la préparation magistrale est soumise à des normes de qualité qui sont très strictes. Ici, on a eu affaire à une préparation très faiblement dosée pour laquelle on savait déjà que, même si le pharmacien respectait de manière scrupuleuse le protocole, il serait difficile de répondre avec exactitude aux normes imposées. Que ce soit clair : cela ne signifie pas qu’il y a danger. Les variations de doses en dehors des normes strictes n’ont pas d’impact thérapeutique majeur. Pour revenir à la préparation demandée dans le test, ce problème était déjà connu depuis une précédente enquête de 2010. C’est pourquoi, avec l’Agence fédérale des médicaments et les associations professionnelles, il a fallu en déterminer les causes. Parmi celles-ci apparaît, par exemple, le fait que le mortier, dans lequel le principe actif est écrasé au pilon, possède un taux de porosité tel qu’il absorbe une partie du principe actif. Une série de recommandations ont donc été rédigées puis testées, dont découlent plusieurs conseils. Ainsi, on va suggérer aux pharmaciens de surdoser de 10 % les principes actifs qui entrent dans cette préparation magistrale afin que le résultat corresponde précisément aux prescrits.
Pourquoi n’est-ce pas encore le cas ?
Parce qu’il faut évidemment être tout à fait sûr de ce qu’on raconte. Il a fallu que ces recommandations suivent toute la procédure habituelle d’expertise (tests, identification des problèmes, recommandations, tests). Mais il était déjà prévu que tout ceci soit publié par l’Agence, en principe en février.
Si tout ceci était effectivement connu et prévu, quelle est l’utilité de l’enquête qui sort ce mercredi dans "Test Santé" ?
Je n’en sais rien… Test-Achats a bien raison de défendre les consommateurs, mais cette publication arrive en plein milieu de toutes les discussions… Et je regrette fortement que cet article jette l’opprobre sur toute une profession à partir d’un cas particulier qui, effectivement, pose problème, mais pour lequel les recommandations doivent incessamment être publiées. Vous pouvez croire qu’il y a un effort continu du secteur pour garantir les meilleures prestations. C’est une préoccupation permanente de maintenir la qualité de cet outil indispensable. Beaucoup de choses sont en préparation qui prennent du temps car il faut évidemment l’aval des autorités académiques, des autorités de régulation, etc. On est dans un domaine législatif complexe.
Qu’est-ce qui vous permet de dire que, si on avait testé une autre préparation, on n’aurait pas connu le même problème ?
Dans l’absolu, quand on cible un principe actif d’un dosage normal, l’effet d’absorption par le mortier a moins d’impact. Ce qui me dérange, c’est qu’on a maintenant l’impression que tout est mauvais sur base d’un cas à propos duquel de nouvelles pratiques sont sur le point d’être validées.
Vous avez évoqué le surdosage. Quoi d’autre ?
Plusieurs pistes mentionnées par Test-Achats en marge de son enquête ont déjà été évoquées dans le secteur par le passé. Je veux par exemple parler de la possibilité de déléguer certains types de préparations magistrales vers des pharmacies mieux équipées ou certains laboratoires agréés par exemple. C’est une des choses qui sont en discussion. Pour notre part, nous ne disons pas non, mais nous voulons absolument qu’une personne qui se présente dans n’importe quelle pharmacie puisse y obtenir une préparation magistrale de qualité. Concernant la préparation à faible dosage au centre du test de Test-Achats, la réflexion concerne bien évidemment aussi le matériel utilisé, puisque c’est cela qui est en cause.