La pétition, instrument efficace de changement?
Le droit de pétition arrive au parlement bruxellois, comme en Wallonie. A Bruxelles, une pétition en cours vise à sauver un immeuble XIXe. Et, en France, 200 000 signatures à libérer une condamnée. Faut-il adhérer à 100% à cet outil, si souvent à la Une?
Publié le 28-01-2016 à 17h03 - Mis à jour le 28-01-2016 à 17h04
Le droit de pétition arrive au parlement bruxellois, comme en Wallonie. A Bruxelles, une pétition en cours vise à sauver un immeuble XIXe. Et, en France, 200 000 signatures à libérer une condamnée. Faut-il adhérer à 100% à cet outil, si souvent à la Une?
OUI - Philippe Hensmans, directeur d'Amnesty International Belgique.
La pétition permet de porter une problématique à la connaissance de l’opinion publique, c’est un outil de plaidoyer politique, un moyen de mettre la pression sur les dirigeants et une aubaine pour ouvrir le débat avec ceux-ci. Cet instrument est efficace pour autant qu’il soit compris dans une stratégie globale de changement.
Deux fois par semaine, Amnesty International appelle les internautes à signer ses pétitions. Quelle est la face claire de cet outil de changement ?
La pétition, on l’utilise tout le temps. Elle a plusieurs qualités possibles qui se combinent ou sont prises séparément. D’abord, elles expriment l’opinion d’un nombre donné de personnes qui, de ce fait, disposent d’un certain moyen de pression sur la personne qu’ils ont élue et à qui la pétition est destinée. Cette influence des citoyens vaut à tous les niveaux : local, national ou international. Il en va de la pétition signée par les habitants d’une commune destinée à son bourgmestre comme de centaines de milliers de cartes postales envoyées du monde entier pour exiger la libération d’un prisonnier. C’est un outil qui permet de rameuter du monde autour d’une problématique et de faire du bruit. Votre envergure et votre poids augmentent avec le nombre de signatures que vous récoltez. La pétition montre la capacité de "nuisance" qu’auraient ses initiateurs.
Est-ce là une nouvelle forme de citoyenneté ?
Cela fait longtemps que la pétition existe, même si, aujourd’hui, c’est sous sa forme 2.0. Il est vrai que nous sommes toujours étonnés de voir que l’on peut récolter 8 000 à 12 000 signatures en cinq jours… Ce qui était beaucoup plus compliqué auparavant puisqu’il fallait aller dans la rue, parler avec des gens, les convaincre de signer. Ici, tout va beaucoup plus vite mais c’est un procédé qui est relativement proche du principe citoyen et démocratique suivant : je suis élu par des gens et s’ils m’interpellent et sont en désaccord durant mon mandat, je risque de perdre leur voie. Cela est vrai localement mais aussi sur la scène internationale. En étant le dirigeant de la Corée du Nord, peut-être qu’à un moment donné, j’aurai besoin de soutien et que j’aurai plus de mal à en trouver si ma réputation a été construite autour de pétitions ou d’actions menées à mon encontre. Cela étant dit, la pétition est un outil qui doit s’inscrire dans une stratégie générale d’actions.
Seule, la pétition est-elle inefficace ?
C’est un argument parmi d’autres et elle n’a pas de sens si on ne la recadre pas dans un processus plus global de changement. Elle arrive à un moment donné où l’on pense qu’elle est, stratégiquement, efficace et elle est alors accompagnée de toute une série de mesures. Celles prises en amont : il s’agit de faire connaître la cause que sert la pétition afin que le potentiel signataire soit informé, comprenne l’intérêt d’une telle action et y réagisse. Et en aval : l’usage qui en est fait. Dans un certain nombre de cas, il s’agira de simplement envoyer l’ensemble des signatures à la personne concernée. Souvent, il s’agit de les remettre de façon visible. Le document imprimé est important. Il est une trace tangible et non pas un fichier vite effacé.
Les pétitions en ligne ne sont donc pas suffisantes ?
La question est moins de savoir comment on récolte des signatures que ce que l’on en fait une fois que la pétition a été signée. Il faut se servir de ces signatures comme d’une aubaine pour mettre une problématique sur la table des dirigeants, ouvrir le débat et remettre, dans notre cas, le rapport sur lequel la pétition se base.
Elle est donc un instrument de plaidoyer politique et un moyen de montrer une capacité de pression - directement sur les dirigeants comme sur des acteurs tiers qui peuvent faire pression sur les gouvernements eux-mêmes. Imaginons que nous lancions une pétition sur l’armement par la Région wallonne de l’Arabie saoudite et qu’elle est signée par 100 000 personnes dans l’Union européenne, les sections qui organisent les signatures dans leur pays iraient en parler à leur ministre des Affaires étrangères, lesquels en parleraient dans les enceintes internationales, faisant écho auprès du ministre-Président wallon de la position de leurs citoyens. Enfin, la pétition est un moyen de porter une problématique à la connaissance de l’opinion publique (personne ne connaissait Aung San Suu Kyi, en Europe, avant la campagne de soutien). Des prisonniers que nous avons aidés à faire libérer nous ont fait part de l’importance des signatures. Les instruments de pression sont pluriels mais la pétition est révélatrice de la représentativité de votre proposition dans l’opinion publique.
NON - Xavier De Cock, Petition.be.
Un certain amateurisme peut entamer le sérieux de l’outil. Nous avons environ 10 % de signatures crédibles. Je dirais aussi que les pétitions permettent parfois aux gens de déculpabiliser à moindre effort, d’avoir un peu vite le sentiment d’avoir fait tout ce qu’ils peuvent. Enfin, si on veut arriver à faire changer les choses avec une pétition, il faut être extrêmement doué en communication.
Vous qui voyez passer des centaines de pétitions sur votre plateforme, quel est selon vous le défaut de tels outils ?
Certaines pétitions ont permis d’ouvrir des débats très importants et une partie de celles-là d’obtenir des changements. Mais je dirais aussi que les pétitions sont comme les avis postés sur les réseaux sociaux et qui se transmettent ensuite viralement. Elles permettent aux gens de déculpabiliser à moindre effort. D’avoir parfois, un peu vite, le sentiment d’avoir fait tout ce qu’ils peuvent.
Accueillez-vous beaucoup de pétitions ? Quels sont les critères pour pouvoir en publier une sur lapetition.be ?
Concernant le nombre, je ne pourrais pas vous dire précisément mais, pour vous donner un ordre de grandeur, je dirais qu’il y a entre deux et cinq nouvelles pétitions par jour. Nous ne mettons aucun filtre. Cela signifie que n’importe qui peut publier un texte. En revanche, il nous est arrivé de réagir en cas de dérives, de retirer certaines pétitions qui posaient problème, après plusieurs interventions d’avocats par exemple. Mais généralement nous ne prenons aucune position quant au contenu des textes. Contrairement à certaines autres plateformes, nous restons spectateurs et n’offrons aucun service d’accompagnement sauf exception. Celui qui le souhaite doit, ensuite, prendre son bâton de pèlerin et aller présenter sa requête auprès des autorités compétentes, à condition que celle-ci ait récolté un certain nombre de signatures (à la Commission européenne, le seuil est fixé à un million de signatures).
Les différents niveaux de pouvoir reconnaissent en effet un droit de pétition (ce sera le cas aussi au Parlement bruxellois dès l’automne prochain, moyennant 5 000 signatures). A l’échelon européen, la commission des pétitions du Parlement se réunit ce jeudi. A son ordre du jour, cinq pétitions "à débattre" et plus de cent autres qu’il est proposé "de clore". Il semble que très peu, même avec un grand nombre de signatures, arrive ne fût-ce qu’au stade du débat ?
Les signatures garantissent seulement que la pétition soit mise à l’ordre du jour. Ensuite, effectivement, elle peut être rapidement clôturée.
Votre outil à vous existe-t-il depuis longtemps ?
La plateforme a été installée voici une dizaine d’années. Elle avait fait parler d’elle en août 2008, quand une pétition pour l’unité de la Belgique (c’était notre 400e) avait récolté entre 450 000 et 500 000 signatures. Après, on ne peut pas dire qu’elle ait réellement obtenu une avancée concrète. Ce fut juste une excellente vitrine.
Les pétitions que vous voyez passer obtiennent-elles gain de cause ?
C’est plutôt rare. Celles qui ont le plus de résultats sont des pétitions très locales. Je me souviens du sauvetage du cinéma Plaza Art, à Mons en 2012. Il faut dire que les auteurs du texte avaient eu l’intelligence de poster le texte peu avant les élections… Je soupçonne que cela a dû aider. Classiquement, on constate d’ailleurs une recrudescence de pétitions locales juste avant les élections. Sinon, la pétition qui a le mieux fonctionné l’an passé soutenait le producteur de fromage de Herve (25 000 signatures). Il a obtenu beaucoup de presse mais a fini par renoncer. Puis, plus récemment, le soutien exprimé (15 000 signatures) au militaire qui avait fait son shopping en service. Quelques jours de buzz puis il a disparu. En ce moment, il y a celle qui réclame qu’un immeuble XIXe soit protégé à Etterbeek. Mais si on veut arriver à faire changer les choses avec une pétition, il faut être extrêmement doué en communication.
A la lecture des sujets défendus sur les plateformes du genre de la vôtre, et sans juger de l’importance des sujets faute d’avoir étudié les dossiers, certaines revendications semblent ridicules… Cela ne décrédibilise-t-il pas l’outil ?
Nous avons à peu près 10 % de signatures crédibles. Il y a même, parfois, des pétitions qui ne sont signées par personne, pas même par leur auteur ! Tenez, celle-ci : une pétition pour sensibiliser les oiseaux à la fermer entre 22h et 7h du matin, de mi-avril à mi-septembre. Je soupçonne que ce soit une blague… Il est vrai qu’un certain amateurisme peut entamer le sérieux de la pétition en tant qu’outil de changement.