Les règlements communaux visent-ils à chasser les prostituées?
Des prostituées de Saint-Josse, soutenues par un collectif, demandent au Conseil d'Etat d'annuler le nouveau règlement qui doit entrer en vigueur le 1er mars. Il vise à endiguer la criminalité, dit le maïeur. Ou à refouler la prostitution qu'on refuse de voir? Opinions croisées.
Publié le 03-02-2016 à 15h47 - Mis à jour le 03-02-2016 à 15h52
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Des prostituées de Saint-Josse, soutenues par un collectif, demandent au Conseil d'Etat d'annuler le nouveau règlement qui doit entrer en vigueur le 1er mars. Il vise à endiguer la criminalité, dit le maïeur. Ou à refouler la prostitution qu'on refuse de voir?
OUI
Maxime Maes, membre du collectif Utsopi (Union des travailleurs du sexe organisés pour l'indépendance).
Les mesures sont hypocrites. On fait semblant de les prendre pour un mieux mais, en fait, tout montre qu’on ne veut toujours pas voir la prostitution et les travailleurs du sexe, voire qu’on souhaite les chasser. Interdire de travailler la nuit et le dimanche, imposer un certificat à un prix exorbitant : les changements vont précariser davantage des travailleurs qui le sont déjà. C’est de la répression cachée.A votre initiative, une demande d’annulation et de suspension a été introduite au Conseil d’Etat contre le nouveau règlement pour encadrer la prostitution rédigé par le bourgmestre de Saint-Josse. A votre avis, que visent des règlements tels que celui-là ?
Nous avons encore rencontré M. Kir lundi. Et, bien qu’il nous affirme que tel n’est pas son but, nous pensons, nous, que les règles qui risquent d’être mises en place n’auront d’autre effet que de chasser les prostituées. Il y a trop de dispositions désavantageuses. Prenez, par exemple, la fermeture des vitrines les nuits et les dimanches. On nous dit que l’objectif poursuivi est de faire baisser la criminalité dans le quartier. Au niveau de notre structure, nous avons un gros doute sur le fait que fermer la nuit et le dimanche ait un effet quelconque sur la criminalité. On nous affirme aussi que ces fermetures permettraient de diminuer le "turn-over" des filles. En principe, une vitrine est effectivement attribuée à une seule personne mais, dans la pratique, il y a souvent plusieurs filles, constat à l’origine d’un soupçon de traite d’êtres humains. Même réponse : nous ne voyons pas ce qu’une telle mesure pourrait améliorer à ce propos-là. D’autant que, pour nous, ce n’est pas parce qu’il y a plusieurs filles au même endroit qu’il y a forcément traite (les loyers sont élevés, il est courant qu’elles soient plusieurs à se partager l’addition). Ces deux mesures sont clairement de nature à précariser encore davantage le secteur.
D’autant qu’une nouvelle taxe est également prévue. Etes-vous d’accord avec cette nouveauté ?
Pas du tout, non. Cette redevance concerne le certificat de conformité. C’est un peu le permis de travail qui autorise l’activité. Jusqu’ici, celui-ci était gratuit. Désormais, il coûtera 2 500 euros pour une période de cinq ans. C’est une somme monstrueuse qui serait ainsi demandée à chaque fille par carrée, et dont elle devrait s’acquitter à nouveau s’il advenait qu’elle change de carrée dans la période… A cela, il faut ajouter les loyers qui peuvent tourner autour de 3 000 à 4 000 euros/mois pour une vitrine. Vous voyez combien il devient compliqué de gagner sa vie dans ce contexte (il ne faut pas se leurrer, ceux qui ont vraiment besoin d’argent continueront leur activité mais en se cachant, c’est tout ce qu’on aura gagné). De plus, le futur certificat deviendrait la prérogative du seul bourgmestre (et non plus de toute son équipe), qui pourrait réfléchir pendant une période allant jusqu’à 180 jours avant de l’accorder ou pas. Pendant cette période, il doit évidemment y avoir cessation d’activité et donc de revenus. Or, la plupart des prostituées sont déjà dans des situations compliquées.
Vous avez dit que de telles règles n’auraient d’autre effet que de chasser les prostituées du quartier. Pensez-vous que tel pourrait même être leur but ?
C’est ce que nous pensons oui. Il y a eu des problèmes similaires à Charleroi et Namur, ou à Liège où un Eros Center devait être construit qui n’a finalement jamais vu le jour. Il y a de plus en plus de lobbies qui mettent une terrible pression sur le secteur. Les mesures sont hypocrites. On fait semblant de les prendre pour un mieux mais, en fait, tout montre qu’on ne veut toujours pas voir la prostitution et les travailleurs du sexe voire les chasser ailleurs. Ceux-ci travaillent parfois au noir, comme indépendants ou comme salariés mais ne se nomment pas comme tels. Ce qui pourrait tout résoudre, ce serait une vraie reconnaissance de la profession. Sinon, on est dans une répression cachée.
NON
Emir Kir, bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode.
Dans le quartier Nord de Saint-Josse habitent de nombreuses familles qui souhaitent dormir la nuit et se rencontrer le dimanche. Entre 70 et 80 carrées, louées par des prostituées, existent aussi. On y a découvert des activités de vente d’armes, de trafic de stupéfiants et surtout de traite humaine. C’est inacceptable. Nous ne luttons pas contre la prostitution mais bien contre cette criminalité.
Que se passe-t-il dans le quartier Nord de Saint-Josse ?
Précisons d’entrée que le quartier Nord de Saint-Josse est un quartier d’habitation avec de nombreuses familles qui n’a rien à voir avec la rue d’Aarschot et toutes ses vitrines. Notre approche de ce quartier se veut donc générale, dans un souci d’améliorer le cadre de vie des habitants mais aussi celui des visiteurs et des commerçants. Sur deux plans. D’abord, la commune investit davantage au niveau de sa rénovation urbaine avec de meilleurs aménagements des lieux. Aidé par la Région et le fédéral, la commune injecte 63 millions d’euros pour la rénovation de deux tours de logements sociaux avec espace vert et crèche, pour la restauration de la place Saint-Lazare qui deviendra les Esplanades Saint-Lazare, pour la création d’un nouveau commissariat de police à l’angle des rues du Brabant et de la Prairie et pour terminer l’aménagement de la place Rogier. Ensuite au niveau de la sécurité. Il faut faire en sorte que les gens puissent traverser ce quartier où ils résident ou sortent de la gare du Nord, viennent de la place Rogier, quittent des hôtels ou des grandes tours. Voici quelques mois la situation y était particulièrement détériorée vu la présence de plusieurs types de criminalité : vente d’armes, trafic de stupéfiants et traite humaine. Depuis, des actions de la commune et de la zone de police ont été mises en place pour lutter contre cette insécurité.
Le nouveau règlement encadrant la prostitution dans les carrées fait-il partie de ce plan ?
Effectivement, parmi les mesures de sécurité permettant aux gens de vivre plus dignement dans ce quartier, nous avons décidé de modifier le règlement en matière de prostitution. Dès le 1er mars, nous interdisons cette activité les nuits et les dimanches afin que les habitants puissent dormir la nuit et se retrouver entre eux le dimanche. Nous augmentons aussi la taxe annuelle à charge du propriétaire à 3 000 € par carrée (NdlR : rez-de-chaussée avec néon loué par les prostituées) et de créer une redevance de 500 € par an (soit 2 500 € pour 5 ans) pour couvrir l’obtention d’un certificat de conformité, une forme de statut administratif qui accompagne le travailleur ou la travailleuse, lui octroie l’autorisation d’exercer la prostitution - bien que le métier ne soit pas reconnu par le fédéral - et lui ouvre quelques droits. Les contrôles administratifs, sociaux, policiers, des normes urbanistiques et d’hygiène (comme l’obligation d’avoir une toilette) coûtent en personnel salarié à la commune. Il y a actuellement entre 70 et 80 carrées dans le quartier. Sachez que les sommes perçues n’aideront qu’en partie à payer ce personnel affecté à ces activités. J’insiste, à ce niveau, la commune ne s’enrichit absolument pas.
Quelle est votre position sur la prostitution ?
Personne ne soutient la prostitution mais c’est un mal nécessaire dans notre société. La question est : comment cette activité peut-elle s’exercer ? Il existe en gros deux modèles en Europe. Faut-il s’inspirer de la Suède et de la France qui interdisent cette activité ? Je ne crois pas vu qu’alors la prostitution se déplace ailleurs. Regardez tous les Français qui viennent en Belgique ! Et puis le modèle allemand. Peu appréciable pour son côté commercial, le principe des maisons closes permet toutefois de légaliser la prostitution et d’assurer donc un accompagnement social, sanitaire et policier. Dans un "entre-deux", notre pays ne légalise pas officiellement, n’interdit pas mais tolère la prostitution en laissant les communes gérer le flou et les problèmes attachés. J’appelle donc le gouvernement fédéral à sortir une loi légalisant en encadrant l’activité de prostitution. En attendant, à Saint-Josse, le nouveau règlement doit permettre de trouver un équilibre entre des prostituées qui doivent vivre dans la dignité et des habitants qui doivent dormir la nuit.
Des travailleurs du sexe considèrent que votre nouveau règlement vise à chasser les prostituées de votre commune.
Je vais bientôt présenter un bilan sur les contrôles de nombreuses carrées. Nous y avons clairement identifié des activités de traite humaine avec un turn-over incroyable impliquant des centaines de femmes. La traite humaine est inacceptable derrière les vitrines comme dans les rues. Nous ne laisserons pas faire. Ne nous trompons pas de combat. Nous ne luttons pas contre la prostitution mais bien contre plusieurs formes de criminalité dans ce quartier.