Plus aucune visite médicale à domicile en soirée?
Les médecins de Saint-Nicolas ont décidé de ne plus effectuer de visite à domicile dès la nuit tombée. Une question de sécurité, selon eux. Mais au détriment de patients fragilisés ou précarisés qui se déplacent difficilement. Opinions croisées.
Publié le 17-02-2016 à 14h27 - Mis à jour le 17-02-2016 à 15h21
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Les médecins de Saint-Nicolas ont décidé de ne plus effectuer de visite à domicile dès la nuit tombée. Une question de sécurité, selon eux. Mais au détriment de patients fragilisés ou précarisés qui se déplacent difficilement. Opinions croisées.
OUI - DR MILAZZO SANTO, président du Cercle des médecins généralistes de Saint-Nicolas
La trentaine de médecins généralistes du Cercle des médecins de Saint-Nicolas a décidé de suspendre les visites à domicile le soir et pendant la nuit. Ils estiment que leur sécurité n’est pas garantie. La garde est dès lors assurée mais sans déplacement. Ils demandent que le système soit revu, d’autant que, disent-ils, la garde ne sert à rien… sauf à risquer de se faire agresser.
Quel a été le constat dressé par le Cercle des médecins généralistes de Saint-Nicolas ?
Il y a deux ans, un collègue a été pris dans un traquenard alors qu’il se rendait en consultation. La semaine dernière, un autre a à nouveau été victime d’une agression. Le constat est celui-ci : notre commune est, de l’aveu même des forces de police, dangereuse et criminogène. Lorsqu’on est de garde, on ne va pas nécessairement dans des lieux que l’on connaît, chez des personnes que l’on connaît. Le fait est que la police ne peut pas nous épauler : elle est en sous-effectif, humain comme technique, et ne dispose pas des moyens pour nous accompagner à chaque visite de patient. Par ailleurs, la manière de pratiquer la médecine, ou en tout cas la garde, est restée enracinée dans les années 1950 : le service à la population consistait alors à ce que le médecin se déplace chez ses patients. Aujourd’hui, les docteurs ont une autre optique : ce sont les patients qui viennent au cabinet, comme toutes les professions qui assurent un service.
N’êtes-vous pas soumis à l’obligation d’assurer ces gardes ?
Nous devons nous déplacer chez le patient qui le désire, quelle que soit la raison - aussi futile soit-elle - qu’il invoque. Si on déroge à cette obligation et que le patient porte plainte, nous sommes sanctionnables.
Vous parlez de futilités. Faut-il relativiser l’urgence ? On court la plupart du temps comme des dératés pour traiter des bêtises. Il faut savoir que la nuit profonde, s’étalant de 23h à 6h, équivaut au risque zéro en termes de santé publique. Des études montrent que ces gardes ne servent à rien. L’urgence n’est soit pas réelle et le traitement peut alors être reporté au lendemain; soit elle est grave et concerne les urgences. Pour résumer les choses, on se déplace soit pour un spray pour la gorge ou une ordonnance soit pour appeler l’ambulance. C’est idiot. On ne sert à rien. Il faut donc revoir l’organisation de la garde. Les solutions mises en place ne sont-elles pas suffisantes ?
Personne n’est en mesure d’assurer notre sécurité. Le poste de garde est lui-même risqué. De même, le chauffeur qui accompagnerait le médecin dit "volant" n’est pas plus un gage de sécurité. Dans ce cas-là, deux personnes seront braquées plutôt qu’une seule ! Il serait aussi ridicule de tripler les effectifs de garde pour ne plus être seul. On nous a proposé de mettre à notre disposition une radio reliée à la police. Mais la disponibilité des forces de l’ordre est limitée. C’est la quadrature du cercle… Ce sont là des demi-solutions pour lesquelles, en plus, les budgets manquent. Vous avez donc décidé de ne plus assurer ces gardes. La nuit ne sert à rien sauf à nous faire agresser… Le problème, c’est le déplacement. Nous avons donc uniquement supprimé ceux-ci mais continuons de répondre aux gens qui nous appellent, de les déconseiller et de les aiguiller. Quand nous les connaissons, nous les faisons venir à notre cabinet ou faisons appel au médecin de jour. Nous ne faisons pas grève. Nous n’avons pas l’intention de mettre des gilets pare-balles pour exercer notre métier. La seule solution est donc de ne plus se mettre dans les situations qui nous exposent à des faits de violence à notre encontre. Nous voulons deux choses : la suppression de la nuit et de l’obligation inconditionnelle de nous déplacer. En France, où ces gardes n’existent pas, les gens ne meurent pas plus.
N’y aurait-il pas une alternative à leur suppression ?
Même les policiers n’osent pas aller dans certains lieux. Je ne mets pas de croix sur mon véhicule car je ne souhaite pas être identifié comme médecin. On se sent dans un tel état d’insécurité que j’entends souvent de la bouche du médecin de garde qu’il ne ferme pas l’œil de la nuit, rongé par le stress d’une potentielle intervention. Outre la suppression de la nuit et de l’obligation, la mise sur pied du poste de garde et la garde téléphonique, comme c’est actuellement le cas, sont les solutions les plus appropriées. Il n’y aurait alors plus besoin de l’appel au 1733 qui coûte cher puisque nous effectuerions nous-même le tri.
NON - MICKY FIERENS, directrice de la Ligue des usagers des services de santé (LUSS)
Inadmissible du point de vue des patients. Soigner certaines personnes la nuit à leur domicile doit rester possible. Une telle suppression léserait particulièrement les gens qui ne peuvent pas se déplacer pour des raisons matérielle, physique, psychique ou les personnes âgées seules.
Que pensez-vous de la décision, à Saint-Nicolas, des médecins généralistes de garde de ne plus effectuer de visite à domicile dès que la nuit tombe ?
Du point de vue du patient, ce n’est pas admissible. Si c’est nécessaire, il faut qu’un médecin puisse se rendre au domicile du patient en demande. Comme l’atteste la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (LDP), tous les patients doivent pouvoir joindre un médecin de garde, à toute heure de la journée ou de la nuit, dans un laps de temps raisonnable. Les services de garde ont cette obligation. La base légale de ce service est l’arrêté royal du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé qui insiste sur la continuité des soins et sur l’institution de services de garde : les deux articles ont pour but commun de garantir la disponibilité et la joignabilité des médecins. On parle ici de visite médicale au domicile de patients durant la nuit.
Oui et cela s’adresse particulièrement à des gens qui ne savent pas se déplacer pour des raisons matérielle, physique, psychique ou à des personnes âgées seules. Voilà pourquoi les visites à domicile doivent pouvoir être assurées. On craint leur disparition. De plus en plus de postes de garde sont organisés mais ils ne doivent pas remplacer les possibles visites à domicile des médecins ou la disponibilité de son propre médecin généraliste. On prône tellement une fidélité à ce dernier mais si dès 18 heures, il n’est plus disponible, cela pose un problème.
Vous qui représentez les patients, comment réagissez-vous à cette décision ?
Nous avons déjà adressé notre désapprobation sur ce point. Directement vers la ministre de la Santé mais aussi via notre participation à une étude du KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé) sur les postes de garde. Nous avons attiré l’attention sur la nécessité pour les médecins de garde de pouvoir se rendre en visite au domicile des personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Comprenez-vous la réaction des médecins de Saint-Nicolas ?
Pour l’instant, il ne s’agit que de quelques médecins excédés. On peut comprendre leur sentiment face au danger d’être attaqué et volé. Mais il ne faudrait pas que cela glisse vers l’adoption de mesures générales. Il faut réorganiser le système des gardes pour que soigner certaines gens la nuit à leur domicile, reste possible.