Un permis à points pour les conducteurs étrangers en France?
Manuel Valls, Premier ministre de l’Hexagone, souhaite un permis à points virtuel pour les Belges et les autres non résidents. D’où que l’on vienne, une infraction sur les routes ne se limitera plus à l’amende. Ce système, appliqué ailleurs, est-il pertinent? Entretiens croisés.
Publié le 19-02-2016 à 17h43 - Mis à jour le 19-02-2016 à 17h50
Manuel Valls, Premier ministre de l’Hexagone, souhaite un permis à points virtuel pour les Belges et les autres non résidents. D’où que l’on vienne, une infraction sur les routes ne se limitera plus à l’amende. Ce système, appliqué ailleurs, est-il pertinent?
OUI - DANIELLE FRANK, Département des Transports au ministère luxembourgeois du Développement
Le système de permis à points est en vigueur depuis 2002 au Luxembourg. Pour tous les conducteurs, luxembourgeois ou pas. Car il n’y a pasde raison de traiter différemment deux personnes ayant commis une même infraction. Cela a fortement amélioré la sécurité sur nos routes !En quatorze ans, le nombre d’accidents a diminué de moitié. En 2015, 29 % des retraits de points ont concerné des personnes étrangères.
Pour quelles raisons et quand le système de permis à points a-t-il été mis en place au grand-duché de Luxembourg ?
Il a été instauré en 2002 pour tous les conducteurs, résidents et non résidents, en plus de notre système d’amendes. L’idée était de créer un système encore plus dissuasif pour ceux qui enfreignent les règles du code de la route. Et cela fonctionne ! Le permis à points a également un intéressant caractère éducatif en ce qu’il confère à chacun la faculté de gérer soi-même son capital de points. Au Luxembourg, nous travaillons la sécurité routière sur trois axes : l’éducation/formation, la sensibilisation et la répression. Le système de permis à points entre donc complètement dans cette ligne.
Pourquoi avez-vous mis d’emblée les Luxembourgeois et les autres conducteurs sur le même pied ?
Pour une question d’égalité de traitement. Il n’y a pas de raison que deux conducteurs commettant une infraction sur nos routes soient traités différemment.
Quand un conducteur étranger est pris en infraction, comment cela se passe-t-il concrètement ?
Exactement comme pour un conducteur luxembourgeois. En plus de l’amende qui lui sera imposée par ailleurs, lorsqu’il a commis une infraction donnant lieu à un retrait de points, un permis virtuel sera ouvert à son nom, sur lequel il perdra le nombre de points correspondant. Cela signifie qu’on ne touche pas à son permis à lui, mais que, dans notre banque de données, apparaît un permis à points amputé d’un certain nombre d’unités. Un courrier recommandé lui sera par ailleurs envoyé à son domicile. S’il en arrive à perdre les douze points que compte son permis au départ, il n’a plus le droit de conduire sa voiture au Luxembourg. Les points pourront être récupérés après trois ans sans infraction au Grand-Duché. D’autre part, il aura aussi la possibilité de participer à un stage d’un jour dans notre centre de formation de Colmar-Berg, qui lui permettra de récupérer maximum trois points à la fois.
Vous qui avez un aussi grand recul, comment jugez-vous l’efficacité du permis à points en général ?
Je recommanderais sans hésiter ce système à tous les pays. Il a été très bénéfique pour la sécurité. Les chiffres sont là. Sur la période entière de 2002 à 2016, le nombre d’accidents (avec ou sans morts) a pu être réduit de 50 %. En outre, de mémoire, nous en étions à une centaine de décès par an sur les routes en 2000, un chiffre qui est descendu à moins de 35. Mais nous visons clairement "le zéro victime". C’est la raison pour laquelle, depuis le 1er juin dernier, nous avons encore considérablement durci les mesures, en particulier à l’égard de la vitesse excessive et de l’alcool qui demeurent les principales causes d’accidents graves. En 2015, ces deux comportements ont été à l’origine de 62,52 % des retraits de points opérés.
Beaucoup de conducteurs étrangers sont-ils encodés dans votre système avec des points perdus, voire interdits de circulation chez vous ?
Au courant de l’année 2015, 22 343 courriers recommandés ont été envoyés suite à une réduction de points, dont 6 503 (29,10 %) lettres à destination d’adresses étrangères.
NON - LORENZO STEFANI, Porte-parole de Touring
Le permis de conduire doit pouvoir contribuer à la meilleure sécurité de conducteurs avertis et recouvre dès lors les notions de formation et de sanction. Mais le système de sanctions est intrinsèquement lié à un code de la route. Il faut dès lors privilégier l’harmonisation des codes européens avant de s’attaquer à des sanctions communes.
Comment jugez-vous l’application d’un permis à points aux conducteurs belges circulant à l’étranger ?
Le système à points, radical et aveugle, ne fonctionne pas. La preuve en est qu’aujourd’hui, en France, 100 000 personnes circulent sans permis. En ce qui concerne l’application de ce système aux non-résidents, permettez-moi de douter de sa pertinence.
Le permis de conduire doit pouvoir contribuer à la meilleure sécurité de conducteurs avertis. Si on se limite à l’aspect des sanctions, le système de contraventions est satisfaisant. On en comptait environ 400 000 concernant des conducteurs belges l’an dernier. Croyez-moi, au niveau de l’interpellation et de la correction de l’infraction commise, les PV sont suffisants ! D’autant plus que l’uniformisation de ce système de sanctions au niveau européen assure aujourd’hui qu’une contravention est envoyée par la poste à l’usager dans sa langue et ce, dans des délais brefs. S’il faut durcir ce système, l’aspect virtuel peut être utilisé sans qu’il y ait des points, dans l’instauration d’un registre des PV non payés, sur base duquel on pourrait réclamer les paiements dus, voire augmenter les tarifs. Mais se voir confisquer le droit de rouler va beaucoup trop loin. Cette idée est incohérente et injustifiée lorsqu’elle est appliquée à une personne qui n’a pas une connaissance de l’usage quotidien de ces routes.
Le système de PV implique, lui aussi, que soit respecté le code de la route…
Bien sûr. Mais c’est sans compter l’argument sécuritaire : le permis à points focalise l’attention du conducteur sur le code de la route et non sur la route elle-même. Il roulera comme s’il passe un examen de permis de conduire, stressé au mieux d’être mis en confiance. Ce système risque d’avoir des effets secondaires désastreux sur la sécurité routière; celle-là même que le permis à points est censé améliorer.
Est-il, au niveau pratique, inapplicable ?
On touche ici au niveau de la formation : le permis à points est un système d’implémentation à longue durée qui doit être éducatif et encadré. En plus des soucis pratiques qu’elles posent, en quoi pensez-vous que les formations auxquelles les Belges devraient assister pour récupérer des points seraient d’un quelconque intérêt, auraient un quelconque sens, alors que le code de la route dans leur pays n’est pas le même ? Le permis de conduire est intrinsèquement lié à un code de la route…
Il faudrait donc privilégier l’harmonisation des codes de la route avant de s’attaquer aux sanctions ?
Aujourd’hui, le code de la route est différent dans chaque pays. Comment voulez-vous qu’un Belge, en bon père de famille, circule en France tout en risquant de se voir confisquer son véhicule ? La solution proposée par Manuel Valls n’est pas applicable à partir du moment où il n’y a pas d’uniformité au niveau européen. Lorsqu’on aura une uniformisation européenne du code de la route, on pourra parler d’un système commun et équitable de sanctions, dont le but est d’être éducatif car ayant pour objectif de garantir la sécurité routière.
Le permis à points ne changera pas les comportements pour un mieux ?
Non, je ne le pense pas. Il est important de baser les décisions sur trois piliers de la mobilité : le moyen de transport, les infrastructures et le conducteur. Ce n’est pas avec un permis à points que ce dernier aura les plus grandes compétences. Seule une uniformisation du code de la route garantira de la sérénité et de la sécurité. C’est inévitable.
Le grand-duché de Luxembourg a instauré le permis virtuel à points pour les non-résidents. Ce n’est pas concluant ?
Avant de juger de la pertinence d’un système, regardons l’état de sa mobilité : le Luxembourg est loin d’être le pays avec le taux de mortalité le plus bas ou avec la meilleure fluidité du trafic. Les statistiques d’embouteillages, d’accidents et d’insécurité parlent d’elles-mêmes. Prenez la Suède, l’un des meilleurs élèves en la matière : elle n’a jamais parlé de mettre en place en tel permis.