Sauver le climat en mangeant moins de viande de boeuf?
Une nouvelle étude recommande aux Européens de diminuer drastiquement leur consommation de boeuf et de produits laitiers pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Jugée partielle, elle omettrait l'impact positif des ruminants sur l'environnement. Entretiens croisés.
Publié le 24-02-2016 à 13h12 - Mis à jour le 24-02-2016 à 13h17
Une nouvelle étude recommande aux Européens de diminuer drastiquement leur consommation de boeuf et de produits laitiers pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Jugée partielle, elle omettrait l'impact positif des ruminants sur l'environnement. Entretiens croisés.
OUI - Lionel Delvaux, chargé de mission "ruralité" chez Inter-Environnement Wallonie
Pour atteindre les engagements environnementaux pris lors de la COP 21, il faut réduire les émissions des gaz à effet de serre. Un des moyens est de restreindre la consommation de viande dans des proportions mesurées. L’émission de tels gaz est non seulement due au méthane (20 fois plus puissant que le CO2) émis par les bovins mais aussi à cause des fourrages et du soja importés pour ces élevages.
Pourquoi faudrait-il réduire la consommation de viande bovine ?
Les ruminants ont, comme c’est le cas pour toutes les productions, un impact environnemental. Mais il faut aussi mettre dans la balance les bénéfices environnementaux que ces ruminants apportent, y compris pour les productions végétales. Ne pas le faire revient à nier la complexité d’une situation globale. Il est archifaux de conclure qu’il faut arrêter de manger de la viande pour sauver la planète.
Quel est le lien entre la production de viande et les gaz à effet de serre ?
Via la rumination des végétaux, les bovins - bien plus que les porcs et les poulets - produisent du méthane, un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le CO 2 . Des études du Giec et de la FAO sur le secteur de l’élevage ont montré que le développement de tels gaz est non seulement dû au méthane émis par les bovins mais aussi à cause de l’alimentation utilisée dans les élevages. Toutes ces importations d’aliments - dont le soja - se font au détriment de forêts primaires détruites. Et leur production et transport émettent pas mal de CO 2 .
Quels sont les freins à un tel mouvement ?
Avez-vous constaté les réactions du monde politique en Flandre et en Wallonie à l’annonce d’une journée par semaine sans viande ? Etonnamment, alors que la Flandre est une des régions les plus productrices en viande dans l’Union européenne, le monde politique y soutient un changement des mentalités, une évolution assez logique puisque le Conseil supérieur de la santé reconnaît que le Belge consomme trop de viande. En Wallonie, par contre, la majorité des politiques opte pour une défense affirmée de la viande et du secteur de l’élevage. Pourquoi n’accompagnent-ils pas cette évolution des mentalités ?
N’y aura-t-il pas des effets désastreux dans le monde agricole ?
D’abord, il ne faut pas arrêter de manger de la viande mais en consommer moins. Et privilégier des produits de meilleure qualité, résultat d’une production différenciée. Un des enjeux est de désintensifier l’élevage bovin dans nos régions et de favoriser l’autonomie fourragère des élevages. Près de 30 % des aliments dans les élevages sont importés. Le problème est que les aides à la production de viande bovine sont encore liées au nombre d’animaux. Cela n’encourage pas une réduction du cheptel et à l’autonomie fourragère (avec à la clé une réduction des coûteuses importations de soja et autres aliments). Les aides devraient être différemment couplées. Mais il est difficile de faire pousser autre chose que de l’herbe dans le Cantal ou les Ardennes. S’ils se nourrissent d’herbe, les bovins valorisent correctement ces prairies. L’élevage a donc sa place dans ces zones.
NON - Frédéric Rollin, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Liège
Les ruminants ont, comme c’est le cas pour toutes les productions, un impact environnemental. Mais il faut aussi mettre dans la balance les bénéfices environnementaux que ces ruminants apportent, y compris pour les productions végétales. Ne pas le faire revient à nier la complexité d’une situation globale. Il est archifaux de conclure qu’il faut arrêter de manger de la viande pour sauver la planète.
Une étude scientifique suédoise estime que les Européens devraient diminuer d’au moins de moitié leur consommation de viande bovine pour atteindre les objectifs de réduction de gaz à effets de serre. Pourquoi vous inscrivez-vous en faux face à cette conclusion ?
Tout simplement parce que c’est une étude à charge. Les ruminants ont effectivement un indice de conversion alimentaire plus élevé que les autres animaux de production : ils doivent consommer plus d’aliments que le cochon ou la volaille pour produire une même quantité. Mais s’arrêter à ce constat, ce serait faire abstraction d’une réalité globale bien plus complexe. Il faut mettre dans la balance les bénéfices environnementaux que ces ruminants apportent.
Quels sont ces bénéfices pour l’environnement ?
Les ruminants, pour faire de la viande et du lait, consomment presque exclusivement des aliments que l’être humain ne pourrait de toute façon pas consommer. Ils consomment la plus grande partie des sous-produits de l’industrie agroalimentaire (la paille, le son, les pulpes de betteraves…). On n’en aurait que faire, sauf pour la production de biogaz qui est de mon point de vue moins bénéfique que de la viande et du lait, si les ruminants ne les valorisaient pas.Ensuite, les prairies permanentes sont des puits de carbone et non pas des sources de carbone, contrairement aux terres cultivées. C’est un point essentiel dans la mesure où 31 % de la surface de l’UE est constituée de ces prairies permanentes entretenues par les ruminants. Elles sont garantes de la biodiversité et de l’eau de qualité puisqu’elles ne sont pratiquement pas pulvérisées. Enfin, ce sont des éponges et, à ce titre, protègent contre les inondations.
La volaille et la production végétale n’apportent-elles pas de tels bénéfices ?
Mais l’étude néglige les impacts positifs que les ruminants ont sur les productions végétales elles-mêmes ! On présente toujours les choses en dissociant le tout et en fragmentant le débat. En réalité, la fertilité des sols est fortement conditionnée par des apports réguliers d’éléments fertilisants (les engrais chimiques peuvent jouer ce rôle là) et de matière organique. Celle-ci permet aux sols de mieux résister à la sécheresse et d’être moins vulnérables à l’érosion. Si les sols résistent mieux, ils produisent plus et de manière plus durable. La flore de sol bénéficie par ailleurs de la flore digestive des ruminants. Les poulets ne peuvent assurer le même rôle. Clouer les ruminants au pilori est un très mauvais procès qu’on leur fait. Ils transforment du carburant indigeste en produits nobles à notre profit. Il est faux et archifaux de conclure qu’il faut arrêter de manger de la viande pour sauver la planète.
Dans une approche globale, on ne peut négliger l’argument économique. Quel constat dressez-vous ?
On tourne autour des 2,5 millions bovins en Belgique. En 20 ans, on a donc perdu 1 million de têtes ! Bientôt, les vœux des chercheurs suédois seront exaucés. Par ailleurs, le nombre d’exploitations diminue. 2/3 de nos agriculteurs ont plus de 50 ans. Parmi eux, uniquement 21 % ont un repreneur annoncé. Dans les 15 années à venir, ils seront réduits à peau de chagrin. C’est un drame. La crise avec laquelle les éleveurs se débattent mine leur moral. Ils travaillent comme des damnés pour ne presque rien gagner et pour se retrouver sur le banc des accusés en termes de réchauffement climatique. On ne peut plus continuer à leur réserver ce sort-là. Ce sont eux qui nous nourrissent. "Il faut se souvenir qu’après la guerre, on avait faim en Europe. Qu’on critique le monde agricole est une chose, mais qu’on ne le fasse pas avec la bouche pleine", me disait à raison un agriculteur… On prépare les conditions pour la famine.Il existe une campagne de dénigrement tant de l’importance du secteur bovin que de la production locale. On assiste à la disparition de notre secteur agricole qui nous mène à devenir dépendants des importations pour nous nourrir. Nous serons bientôt à la merci des producteurs étrangers qui fixeront les prix. Pourtant, la souveraineté d’un Etat repose d’abord et avant tout sur sa souveraineté alimentaire.