Faut-il continuer à favoriser les voitures de société?
Selon le Bureau du Plan, les voitures de société déterminent le comportement des travailleurs en matière de mobilité. La "surconsommation" épinglée entraîne un coût sociétal conséquent. De quoi remettre ce régime en question? Opinions croisées.
Publié le 25-02-2016 à 18h59 - Mis à jour le 25-02-2016 à 19h00
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Selon le Bureau du Plan, les voitures de société déterminent le comportement des travailleurs en matière de mobilité. La "surconsommation" épinglée entraîne un coût sociétal conséquent. De quoi remettre ce régime en question?
OUI - Lorenzo Stefani, Porte-parole de Touring
La voiture de société reste indispensable pour les travailleurs qui tentent de rejoindre la capitale. Elle est un véritable avantage, tant pour les entreprises que leurs employés, et ne pourra disparaître que lorsque des infrastructures complètes de mobilité seront mises à la disposition des usagers.
Les voitures de société ont-elle encore leur place aujourd’hui sur nos routes déjà très encombrées ?
Nous ne sommes pas d’accord quand certains politiques affirment que les voitures de sociétés créent des problèmes au niveau de la mobilité. Il faut d’abord considérer ces véhicules comme faisant partie intégrante d’un salaire. Beaucoup de sociétés créent de l’emploi pour les jeunes et dans le package, il y a une voiture, un GSM, un ordinateur. Cela permet de dynamiser l’emploi. Actuellement, il n’existe aucune alternative qui permet par exemple d’allouer ce budget de la voiture de société à un logement. Pour le moment, la meilleure des solutions est la voiture de société. Tant qu’il n’y a pas d’alternatives qui ont fait leur preuves, et bien le véhicule de société ne sera pas remplacé.
En Belgique, près d’une voiture sur deux est une voiture de société. Une étude publiée par le Bureau fédéral du Plan (BFP) démontre que le fait de posséder une voiture de société détermine fortement le choix du travailleur en matière de mobilité à des fins privées. Quid de l’impact sur l’environnement ?
La voiture de société nuit moins à l'environnement qu’une voiture privée. Il faut en effet savoir que les véhicules privés ont une moyenne de grammes de CO2 par kilomètre qui tourne autour des 141 grammes alors que le véhicule de société tourne autour de 112 grammes. La norme européenne impose à la Belgique d’atteindre 95 grammes sur l’ensemble de sa flotte automobile. Donc, si on supprime les véhicules de société qui ont une moyenne de vie entre trois et quatre ans, et qui donc profitent des nouvelles technologies, on va perdre sur différents niveaux : tant au niveau économique qu’au niveau de l’environnement.
Leur grand nombre ne nuirait-il pas à la mobilité ?
Les voitures de sociétés restent l’alternative la plus rapide pour atteindre la capitale pour un travailleur qui habite en dehors de Bruxelles. Si vous n’avez pas de voiture de société et que vous devez vous rendre à Diegem pour aller rendre visite à un client, dites moi : commentvous y rendez-vous en transports en commun? Il y a très peu de trains.
Que pensez-vous du plan mobilité proposé par Kris Peeters pour en finir avec les voitures de société ?
C’est une excellente idée mais la voiture de société ne pourra disparaître que lorsque les infrastructures de mobilité seront effectivement mises en place, comme par exemple le RER, que l’on attend toujours, ou encore la mise en place d’un ticket de transport commun aux différents services. Par exemple, un ticket qui fonctionnerait pour les Tec, pour le RER et pour la Stib à la fois. Et ne parlons pas des tunnels qui se ferment à tour de bras. L’employeur et l’employé ne sont pas dupes ! A partir du moment où l’on propose des alternatives, il faut les infrastructures qui permettent de circuler en toute sécurité à Bruxelles. Il y a encore de nombreux tronçons qui manquent, il y a encore de nombreuses voies qui ne sont pas assez sécurisées pour les vélos sur certains boulevards.
S’agit-il d’un véritable avantage pour les entreprises et leurs employés ?
Oui et c’est également un avantage pour l’Etat car le véhicule de société contribue très largement à son financement. Il n’y a pas seulement les taxes payées via l’obtention des véhicules de sociétés par les entreprises mais il y a aussi les accises sur le carburant, et cetera, qui contribuent aux 17 milliards des cotisations des usagers de la route que l’Etat perçoit et qui d'ailleurs sont réinvestis.
Et si les véhicules de sociétés étaient supprimés ?
Cela aurait un effet négatif en termes d’emploi pour les sociétés de leasing et les constructeurs automobiles. Les employés n’auraient pas les moyens de changer de véhicule tous les trois ou quatre ans et la moyenne de rachat serait alors prolongée. Les constructeurs seraient alors obligés de ralentir les chaînes de production des véhicules et il y aura moins d’emplois. Les conséquences économiques seraient gigantesques.
NON - Patrick Dupriez, Co-président d'Ecolo
Le système des voitures de société nuit à l’environnement, à la mobilité et au climat. Ce soutien massif des pouvoirs publics à un régime qui est pourtant défavorable à la collectivité devrait être abandonné. Remplaçons-le par un "budget mobilité" : il laisserait le libre choix à chacun d’opter pour la mobilité qu’il souhaite. Ceci en complément d’une offre élargie et financièrement attractive de la mobilité douce.
Au vu des coûts sociétaux estimés par le Bureau du plan, à qui bénéficie le régime actuel et pourquoi est-il toujours d’application ?
L’étude du Bureau du plan le met bien en évidence : la voiture de société favorise une logique qui accroît les désagréments. Le régime ne bénéficie ni à l’environnement, ni à la mobilité, ni au climat. Il finance l’immobilité.
Selon les sources, le nombre de voitures-salaires oscille de 388 590 à 650 000. Aujourd’hui, 12 % des salariés bénéficient d’une voiture de société. Essentiellement les cadres et cadres supérieurs, aux salaires les plus confortables. Remarquons aussi que ce régime creuse les écarts de rémunérations. Or, ce régime fiscal coûte environ 4 milliards d’euros à la collectivité, auxquels s’ajoutent les 905 millions de coût sociétal. Ce soutien est massif : 1,4 % du PIB belge y est consacré. Si tous les travailleurs ne bénéficient pas de ce système, la population entière contribue à son financement et en subit les conséquences négatives (embouteillages, consommation d’espace, émissions polluantes…) : enfants, personnes âgées, et plus encore les plus précarisés. Comment peut-on maintenir un tel régime alors qu’il est à ce point incohérent avec les objectifs de protection de l’environnement, les engagements climatiques et la mobilité ? Ce régime, intenable, doit être abandonné. C’est aussi l’opinion de la Commission européenne, de l’OCDE et du FMI.
Quelle serait l’alternative à la voiture de société ?
Il faudrait remplacer la voiture-salaire par un budget mobilité d’un montant équivalent. Celui-ci serait attribué à tous les travailleurs sous forme forfaitaire (entre 700 et 2 800 euros) en fonction de la distance entre le lieu de travail et le domicile, et qui permet de choisir son mode de déplacement : voiture, transports en commun, vélo. Ou de jouer avec des formes de mobilités. De toute manière, la somme leur est acquise. Celui qui choisit un mode de transport moins coûteux conserve le reste de la somme. Cette formule laisse la liberté à chacun (ce qui garantit la possibilité de la mettre en œuvre) et est beaucoup plus favorable à l’environnement car elle évite cette course à l’automobile : la surmotorisation et la surconsommation qu’épingle le Bureau du plan.
L’actuelle offre de transports en commun est-elle suffisante pour que cette alternative tienne la route ?
Complémentairement au budget mobilité, il faut développer l’alternative pour que de plus en plus de gens puissent faire le choix des transports en commun. Mais on continue à désinvestir le train. Cela va à l’encontre d’une mobilité durable. Un certain nombre de responsables politiques ne veulent pas toucher à ce tabou. Mais il faut sortir de l’état d’esprit qui veut que la voiture soit synonyme de liberté. Plus de voiture, c’est moins de liberté, plus d’embouteillages, de pollution de l’air. Sortons du culte de la voiture tout en laissant la possibilité de l’utiliser lorsque c’est nécessaire.