Les détenus jugés par vidéoconférence, une bonne chose?
En septembre 2017 au plus tard, on pourra organiser les audiences des chambres du conseil et des mises en accusation via écrans. Les détenus ne devront plus se déplacer au palais. C’est contraire aux droits du prévenu, clame le monde judiciaire! Entretiens croisés
Publié le 11-03-2016 à 17h47 - Mis à jour le 11-03-2016 à 17h53
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En septembre 2017 au plus tard, on pourra organiser les audiences des chambres du conseil et des mises en accusation via écrans. Les détenus ne devront plus se déplacer au palais. C’est contraire aux droits du prévenu, clame le monde judiciaire! Entretiens croisés
OUI - SONJA BECQ, Députée fédérale (CD&V), membre de la commission de la Justice de la Chambre.
La communication par vidéoconférence fait de plus en plus partie de notre quotidien. L’utiliser pour la comparution d’inculpés en détention préventive permet de résoudre deux problèmes : le coût important des déplacements et les risques qu’ils représentent en matière de sécurité. C’est une possibilité, pas une procédure automatique. Et ses modalités d’application seront strictement encadrées.
La loi relative à l’utilisation de la vidéoconférence pour la comparution d’inculpés en détention préventive a été publiée au "Moniteur" il y a trois semaines. Vous faisiez partie de la commission de la Justice de la Chambre qui a travaillé sur ce texte proposé par la N-VA. Pourquoi est-ce une bonne idée d’amener un inculpé qui, durant sa détention préventive, doit être amené au palais de justice à chaque comparution en chambre du conseil ou en chambre des mises en accusation, à être entendu par vidéoconférence ?
Parce que ces déplacements génèrent un coût important et présentent des risques en matière de sécurité.
En quoi consiste exactement la nouveauté ?
La loi votée donne le fondement juridique nécessaire à une comparution par vidéoconférence. C’est une possibilité, pas une obligation. Le choix appartient à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation et ne nécessite pas le consentement de l’inculpé en détention provisoire.
Un effet positif serait-il également espéré concernant la résorption de l’arriéré judiciaire ?
C’est possible, mais à ce stade il est impossible de dire si cela pourra faire gagner du temps ou pas. Tout dépend aussi si la procédure sera beaucoup utilisée ou non.
Que sait-on justement des modalités pratiques ?
L’arrêté royal qui doit préciser toutes les modalités pratiques de la mise en œuvre du texte doit encore être rédigé au cabinet du ministre de la Justice Koen Geens. Il est très important car il est évident qu’il faut mettre en place toute une série de garanties (comme la certitude qu’un débat interactif puisse effectivement avoir lieu en temps réel, que la qualité de la transmission soit irréprochable et que le prévenu puisse s’entretenir avec son avocat de manière confidentielle). Au niveau du calendrier, il est prévu que la loi entre en vigueur en septembre 2017 au plus tard.
Cette procédure doit donc être strictement encadrée. N’a-t-il pas été question du tout de la mise en place concrète, au moment des discussions à la Chambre ?
Plusieurs choses ont été précisées, si. Comme ce qu’on entend par vidéoconférence (le fait d’établir une liaison entre deux ou plusieurs lieux en temps réel, en utilisant des techniques de télécommunication interactives, avec transmission vidéo et audio simultanée).
Dans le monde judiciaire, on ne cache pas son mécontentement vis-à-vis de cette nouvelle possibilité et dénonce une "déshumanisation de la justice". Qu’en pensez-vous ?
Comme je l’ai dit plus haut, je répète d’abord qu’il s’agit d’une possibilité et pas une nécessité. D’autre part, il faut bien se rendre compte que la communication par vidéoconférence fait de plus en plus partie de notre quotidien. Dans le monde des entreprises, il est très courant de tenir des réunions par caméras interposées. Si vous êtes parent et que vous avez un enfant à l’étranger aussi, vous avez l’habitude de communiquer avec eux sur des écrans. L’outil fait partie de notre vie quotidienne. Il entre d’ailleurs dans le plan d’action européen relatif à l’e-justice.
A l’étranger, y a-t-il des pays où ce moyen est déjà utilisé avec succès ?
Oui. Aux Pays-Bas, en Italie, en France, au Canada, en Australie, cela existe déjà.
Et pourquoi pas encore ici ?
Il y a eu une expérience à Charleroi. Les détenus qui le souhaitaient pouvaient comparaître devant une juridiction d’instruction par vidéoconférence depuis la prison. Mais en 2003, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons avait déclaré le système illégal parce qu’il ne respectait pas la loi relative à la détention préventive (qui ne prévoyait à l’époque que deux façons de comparaître : soit en personne, soit représenté par un avocat). Il a donc fallu prendre le temps de changer la loi. Et puis il faut aussi prendre le temps pour que tout soit correctement organisé, y compris au niveau des instruments techniques.
NON - LAURENCE EVRARD, Avocats.be, Responsable des actualités législatives
Cette nouvelle loi nous inquiète, non seulement parce qu’elle pose le principe de la comparution par vidéoconférence mais surtout parce qu’elle en laisse la détermination des modalités, de façon exclusive, au Roi. C’est seulement au moment où l’arrêté royal sera publié au Moniteur belge que l’on saura si les droits de la défense sont garantis ou pas. Or, des garde-fous sont nécessaires.
Pourquoi avocats.be se positionne contre la loi qui instaure la vidéoconférence pour les audiences en chambre du conseil et en chambre des mises en accusation ?
Nous nous opposons au principe même de vidéoconférence - qui fait suite à l’avortement du projet qui visait à instaurer des chambres du conseil en prison et qui répondait à ce même objectif de limiter les transferts des détenus - car nous considérons qu’elle porte atteinte au droit de la défense : l’inculpé en détention préventive est présumé innocent, et le faire comparaître depuis la prison atteint à ses droits. Si on peut comprendre les raisons qui président à la volonté d’introduire la vidéoconférence, il faut veiller avant tout au respect des droits de la défense. Notez qu’on parle de la vidéoconférence depuis longtemps et qu’elle avait fait l’objet d’un projet pilote à Charleroi, alors avorté par manque de base légale.
Comment garantir les droits de la défense ?
Je comprends bien que, pour un motif budgétaire, la vidéoconférence soit organisée dans certaines circonstances; par exemple lorsque l’on confirme un mandat d’arrêt. Par contre, la procédure, si elle est organisée, doit être accompagnée des garanties suivantes : pour que le système soit équitable, il faut que les inculpés marquent leur accord explicite à la comparution par vidéoconférence, que ce choix ne soit pas définitif - qu’il puisse donc, à chaque comparution, discuter avec son avocat de la décision la plus adéquate -, et que la comparution par vidéoconférence ne soit pas possible pour la confirmation du mandat d’arrêt ni pour la première comparution. Nous avions écrit aux membres de la commission de la justice pour leur faire part de ses réserves et de ses suggestions par rapport à la proposition de loi. Mais celle-ci reste vague.
Vous dénoncez le flou qui entoure cette loi ?
Elle est très succincte. Elle prévoit que la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation "peuvent décider" que l’inculpé qui se trouve en détention préventive comparaîtra par vidéoconférence. Par ailleurs, la détermination des modalités d’utilisation pour la comparution d’inculpés qui se trouvent en détention préventive est laissée au Roi.
Cette nouvelle loi nous inquiète, non seulement parce qu’elle pose le principe de la comparution par vidéoconférence, mais surtout parce qu’elle en laisse la détermination des modalités, de façon exclusive, au Roi. Nous n’avons donc sur elle aucune prise. C’est seulement au moment où l’arrêté royal sera publié au Moniteur belge que l’on saura si les droits sont garantis ou pas. Il n’y aura pas eu de débat parlementaire, ni de discussion démocratique, ni d’audition des acteurs de la justice auprès de la commission justice. On peut espérer que l’arrêté royal respectera les droits de la défense… mais la loi est pour le moment tellement laconique qu’on en a aucune garantie.
De plus, la N-VA vient de déposer une proposition de loi autorisant la vidéoconférence pour les mineurs, ce qui montre qu’il y a un vrai risque de généralisation.
La mise en place d’un tel système vous semble-t-elle compliquée ?
A nouveau, nous n’en savons pas grand-chose. Nous posons ces questions : où se trouvera l’avocat : avec son client pour pouvoir le conseiller ou avec le juge ? Quelle importance donne-t-on au langage non-verbal ? Sous prétexte d’économie, on déshumanise complètement la justice. Le juge et le prévenu se verront à travers un écran. Il est pourtant important, pour l’un comme pour l’autre, qu’il y ait un contact, que le détenu puisse se tenir au courant de l’évolution de son dossier, qu’il puisse s’exprimer.
J’ai lu que certains détenus préféraient rester en prison. Chacun peut cependant avoir un sentiment différent sur cette question et que cela doit être laissé à leur appréciation.
A-t-on une idée de l’impact budgétaire d’une telle mesure ?
Non. On nous parle de motivations budgétaires mais on n’a jamais de chiffre. La logistique, le matériel auront, eux aussi, un coût. Mais il y a rarement, voire jamais, d’analyse d’impact.