Briser le silence lors des concerts de musique classique?
Le silence est d'or lors des concerts de musique classique. pourtant, un autre genre de concert récolte les faveurs d'une audience plus jeune: applaudissements, discussions et boissons y sont autorisées. Une tendance amenée à se développer selon certains. Sacrilège pour d'autres. Opinions croisées.
Publié le 18-03-2016 à 16h11
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Le silence est d'or lors des concerts de musique classique. pourtant, un autre genre de concert récolte les faveurs d'une audience plus jeune: applaudissements, discussions et boissons y sont autorisées. Une tendance amenée à se développer selon certains. Sacrilège pour d'autres.
OUI - John Holmes, directeur du marketing "The Orchestra of the Age of Enlightenment"
Le public des concerts de musique classique est vieillissant. Ce constat nous a amenés à revenir à l’atmosphère de ces événements à l’époque de Mozart ! Des moments lors desquels on créait du lien. Lors des Night Shift, celui-ci se crée d’abord entre les musiciens et l’audience, qui assiste à une version "light" de ce que sont les concerts traditionnels, sans pour autant en perdre la qualité.
Vous avez mis sur pied le Night Shift. Prochaine date : le 29 à Londres ( http://www.oae.co.uk/) . Ces concerts de musique classique vont à l’encontre des règles strictes imposées par le genre au public. Quel est le concept ?
Nous l’avons mis en place il y a 10 ans déjà. Il est le fruit d’un constat : le public des grands événements de musique classique est généralement âgé. Nous avions envie de savoir s’il était possible de changer cet état de fait et nous sommes demandés quel produit pourrait être adapté à leurs envies et besoins. Nous avons remarqué que ce qui maintenait les jeunes loin de la musique classique était de plusieurs ordres : d’abord le prix; ensuite la longueur : ils considèrent que 2h30 de concert sans savoir s’ils l’apprécieront est un risque trop élevé; enfin, il y avait ce sentiment de gêne dû au fait qu’ils se rendraient à un événement dont ils ne connaissaient ni les codes ni les règles, contrairement à ceux qui y sont habitués.
Vous avez cherché à casser l’idée selon laquelle la musique classique est réservée à une certaine élite ?
On s’adresse particulièrement aux 18-35 ans qui ne fréquentaient pas les concerts de musique classique. Nous avons commencé par organiser des concerts qui prenaient place juste après une représentation traditionnelle, avec les mêmes musiciens, les mêmes morceaux et les mêmes chefs d’orchestre. Avec la particularité qu’ils ne duraient qu’une heure, que le public était autorisé à applaudir entre les mouvements et qu’il pouvait boire pendant le concert.
Par ailleurs, les musiciens et le public pouvaient interagir. Ce dernier élément est primordial car il a permis de briser la frontière qui existait autour du manque de connaissance de la musique classique. Nous proposons donc une version allégée des concerts traditionnels, mais tout aussi qualitative. Le projet a grandi et s’est installé dans des bars de Londres et ailleurs. Ces événements attirent un public différent pour une expérience différente.
Quelle a été la réaction des musiciens ?
C’est la chose la plus intéressante ! Presqu’à l’unanimité, ils aiment jouer ce genre de concerts parce qu’ils y trouvent un plaisir à faire tomber les barrières. Ils apprécient la relation qui se crée entre la musique sur le papier, celle qu’ils produisent, et le public. Ils relaient une expérience profonde qui va au-delà de la musique. Etant donné que l’échange entre les musiciens et le public est systématique, il donne lieu à des conversations insoupçonnées. Les musiciens y accordent beaucoup de valeur. Je me souviens d’une personne qui avait dit avoir été bouleversée par la musique de Beethoven et qui demandait alors au musicien les raisons de cette émotion. Cela n’est pas possible lors des concerts traditionnels. Par ailleurs, les musiciens ont l’impression que le fait de pouvoir applaudir rend l’audience plus attentive encore.
Traditionnellement, le silence est d’or. Les applaudissements, les bavardages ne les dérangent-ils pas ?
En fait, le public s’autorégule. Aussitôt que la musique commence, il règne un certain silence. Il est intéressant de soulever qu’au XVIIe siècle, l’atmosphère des concerts de musique classique était celle-là ! C’était celle d’événements sociaux. Les gens discutaient, il arrivait aux musiciens de répéter des mouvements que le public aurait éventuellement manqués. Nous n’avons en fin de compte rien inventé mais adapté ce qui existait à un public donné. Il y aura donc toujours une place pour les concerts traditionnels, que nous continuons d’organiser. Le Night Shift n’est en ce sens pas un événement qui dissuade l’audience traditionnelle de se rendre aux concerts. La même musique peut être appréciée de manières différentes par des publics différents. On aurait pu penser que le Night Shift était une manière d’attirer le public aux concerts traditionnels. Mais on se rend compte que le concept est apprécié pour ce qu’il est. Nous nous sommes faits à l’idée que cette trajectoire de l’un à l’autre n’est pas obligatoire. Peut-être qu’un jeune qui apprécie le Night Shift pourrait préférer, avec l’âge, le "Old Festival Hall". Il s’agit d’un défi sur le long terme : celui de construire une audience pour la musique classique, maintenant et dans le futur.
NON - Martine Dumont-Mergeay, critique musicale, spécialiste de la musique classique et de l'opéra
Il suffit d’avoir un jour vécu l’expérience d’un silence absolu au concert pour comprendre ce que cela représente. S’il n’y a pas le silence, on ne peut pas appréhender la musique telle qu’elle a été composée. Le public a le rôle essentiel d’organiser les silences autour de la musique. Les spectateurs sont les partenaires du contexte qui permettra la communion avec la musique, les musiciens, le compositeur.
A Londres, The Orchestra of the Age of Enlightenment (un des orchestres de référence sur instruments d’époque) a instauré la série The Night Shift : des concerts dans les plus grandes salles mais sans les codes traditionnels : on peut applaudir, boire, manger, etc. Certains voient dans cette formule l’avenir du concert classique. Une tendance qui pourrait prendre de l’importance avec pour objectif, par exemple, d’attirer de nouveaux spectateurs. Quelles sont les règles en vigueur, en principe, lorsqu’on assiste à un concert classique ?
Il y a une chose à bien comprendre, c’est que le silence fait intégralement partie de la musique. S’il n’y a pas le silence, on ne pourra pas appréhender la musique telle qu’elle a été composée. La mission qui incombe au public, c’est d’organiser les silences autour de la musique. Les spectateurs ont un rôle essentiel dans "l’expérience" concert. Ce sont les partenaires du contexte qui permettra la communion avec la musique, les musiciens, le compositeur. Les règles veulent donc qu’on n’applaudisse pas entre les différents mouvements d’une œuvre. Vers la fin du XVIIIe siècle, on a assisté à l’émancipation du musicien. Il est sorti des cours et des églises pour partir à la rencontre des gens. Rapidement, le silence s’est imposé. Comment voulez-vous apprécier une œuvre autrement que dans le silence ? Ce qui ne veut pas dire que le public n’a pas le droit de réagir. Simplement, il faut respecter certains codes. Le silence est imposé entre les parties d’une œuvre. Seulement ce qui s’est passé, c’est que les œuvres, assez brèves à l’époque où les musiciens ont commencé à sortir, se sont rallongées pour aboutir, à la fin du XIXe siècle, à des symphonies fleuves de plus d’une heure. Et les mêmes règles sont restées d’application : on n’applaudit toujours qu’à la fin.
Pourquoi est-ce important de respecter cette règle ?
Il suffit d’avoir un jour vécu l’expérience d’un silence absolu au concert pour comprendre ce que cela représente. A ce moment-là, le gamin qui n’a jamais été au concert comme le mélomane averti : tout le monde est complètement séduit. Communier dans un silence acoustique parfait, ça c’est une véritable expérience de concert ! Deux exemples pour illustrer ceci. D’abord, Maria Joao Pires, qui est selon moi l’une des plus grandes pianistes, a dit dans une interview qu’elle ne se sent capable de s’exprimer que lorsqu’elle ressent cette écoute silencieuse jusqu’au dernier rang et qu’elle met toute son énergie à aller chercher jusqu’au dernier spectateur. Là, alors, quelque chose de magique peut avoir lieu. A contrario, j’ai vécu des concerts où rien ne peut se passer. Je pense à ce pianiste chinois, Lang Lang. Un véritable génie, plutôt dans le genre tapageur. Il y a quatre ou cinq ans, devant une salle comble à Bruxelles, il a commencé son concert par une sonate de Mozart. Il a immédiatement été très clair que le public était déçu, qu’il attendait plus spectaculaire, qu’il s’ennuyait. Lang Lang a modifié son programme, a inclu des morceaux tonitruants, mais rien n’y a fait : il n’est pas parvenu à imposer le respect. En cuisine, on dirait que la sauce n’a pas pris. Et, dans ce cas, le concert est raté.
Vous qui assistez à de nombreux concerts, comment qualifieriez-vous l’attitude du public ? Y a-t-il une difficulté grandissante à bien se comporter ?
Le public habitué, bien conscient de ce qui se joue, demeure sans problème très respectueux. C’est différent avec les non-habitués. C’est le cas par exemple d’une salle remplie à coup de sponsoring. La soirée sera forcément perturbée par toutes sortes de bruits. Et, vous savez, les pages d’un programme qui se tournent sont, pour celui qui espère le silence, comme le bruit d’un marteau-piqueur ! Et je ne parle pas des quintes de toux. C’est vraiment étrange, d’ailleurs, comme il y a des salles où l’on tousse (aux Beaux-Arts, on tousse beaucoup) et d’autres où cela n’arrive jamais… J’ai vu des chefs d’orchestre intervenir pour demander aux spectateurs de faire attention. D’ailleurs il est souvent demandé, avant le début du concert au moment des avertissements concernant les téléphones, d’éviter de faire du bruit. Et en cas de problème, il arrive que quelqu’un intervienne à l’entracte pour demander aux gens de respecter le silence.