Les partis politiques sont-ils ringards et dépassés ?
Les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit debout... Les mouvements citoyens essaiment. Dans le viseur, un système qui ne répond plus à leurs attentes et par lequel ils ne se sentent plus représentés. Faut-il réinventer la démocratie ou les outils nécessaires sont-ils en place? Opinions croisées.
Publié le 14-04-2016 à 17h31 - Mis à jour le 14-04-2016 à 17h32
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/YEJ7XUEHHNF65L7ZLPGXMOS37I.jpg)
Les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit debout... Les mouvements citoyens essaiment. Dans le viseur, un système qui ne répond plus à leurs attentes et par lequel ils ne se sentent plus représentés. Faut-il réinventer la démocratie ou les outils nécessaires sont-ils en place?
OUI - Jean Garrigues, historien et spécialiste de la vie politique française
Ces mouvements sont l’expression d’un divorce entre les citoyens et les élites politiques, oligarchie qui s’est approprié le pouvoir et qui maintient un système dépassé et caduc. Ils remettent en question la démocratie représentative et revendiquent de participer à la gestion de la cité. C’est inévitable. Mais le changement se fera nécessairement en s’appuyant sur le système, pas en le renversant.
Les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit Debout. Comment expliquez-vous l’émergence de ces mouvements citoyens ?
J’y vois un divorce entre les citoyens et les élites politiques. Il y a un rejet du politique, des partis, des institutions, du personnel politique qui atteint un degré que, en France, nous n’avons jamais connu sous la Ve République. Le taux d’abstention auprès des jeunes, qui augmente en permanence, en témoigne. Le système politique est véritablement en faillite et j’ai le sentiment de coupure, d’aveuglement et d’isolement des élites politiques par rapport aux citoyens. La démocratie représentative ne les représente plus.
L’offre ne répond-elle plus à la demande ?
C’est fondamentalement cela. Ces mouvements démontrent bien que notre démocratie représentative est caduque et dépassée, que les partis sont ringards. Le citoyen réclame une nouvelle offre politique.
On retrouve des remises en question de ce système tout au long de l’histoire. C’était le cas lors de la Commune de Paris en 1871 parce que les citoyens souhaitaient une démocratie plus absolue et immédiate sur le modèle des sans-culottes de la Révolution française. Lors de la campagne de 2007, Ségolène Royal avait associé les citoyens à la confection de son programme. Il y a donc un désir de moderniser le fonctionnement de la démocratie… qui en a bien besoin : cesser la professionnalisation de la politique, interdire le cumul, raccourcir le nombre de mandats que l’on peut exercer, renouveler la classe politique, ouvrir la fonction au plus grand nombre, réfléchir à une manière dont on exerce la fonction, dont on casse le moule du recrutement, dont en envisage l’adhésion à un parti…
Le changement ne doit-il pas inévitablement venir de l’intérieur même du système ?
Il me semble évident que les mouvements spontanés qui se créent hors des structures traditionnelles sont plus des symptômes que de véritables solutions. Quand on entend les discours aux Nuits debout, il semble difficile de faire émerger une alternative crédible qui génère et qui se fonde sur un socle idéologique cohérent et qui associe une expertise de la gouvernance. La politique nécessite, aussi, une expérience et la connaissance de codes et de pratiques. On ne peut pas l’improviser totalement. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut plus faire la politique telle qu’on la fait aujourd’hui, sans tenir compte de ces mouvements qui expriment la volonté de renouveler les pratiques. Mais le changement ne peut se faire qu’en s’appuyant sur le système actuel… et sur ses acteurs.
Les partis montrent-ils une ouverture à cet égard ?
Là est toute la difficulté puisque ces derniers sont des fruits de l’appareil. Ils appartiennent à une caste, une oligarchie qui s’est approprié la vie politique. Comment attendre d’elle qu’elle se remette en cause ? Ils sont l’inverse de ce que réclament les citoyens. En même temps, les tensions sociales et idéologiques éclatent de partout et les acteurs politiques doivent en tenir compte. C’est notamment le cas lorsque l’on donne de l’importance à la base des partis, aux militants, à la diversité et à la mixité sociale. Mais cette prise en compte est lente et limitée. La logique électorale continue de prédominer. Même quand un parti ambitionne d’éclater les frontières, comme celui d’Emmanuel Macron, il devient le projet d’un homme qui s’inscrit dans la perspective d’une élection… Il y a une réflexion à mener sur la nature de nos institutions.
Dans un monde où les pouvoirs locaux sont de plus en plus étendus, les gens ne comprennent pas pourquoi on ne les associe pas plus au processus de décision. Il est cohérent de réclamer ce pouvoir. Ceci suppose que la population assume cette coresponsabilité inhérente à la co-construction. Attention à ce que ceux qui ont le temps de s’y adonner ne confisquent pas le débat.
A vous entendre, on est plus face à une force de pression qui mènera à des aménagements qu’à un renversement.
Le renversement total, ce serait le chaos car il n’y a actuellement pas d’alternative pour faire fonctionner une démocratie absolue à l’échelle d’une grande nation, même si on peut prendre des initiatives à l’échelle locale. Cela apparaît comme un horizon utopique.
NON - Marc Tarabella, député européen (PS)
Il faut multiplier les initiatives pour encourager la participation. Mais sans structure, on ne peut rien gérer. Les mouvements citoyens et les politiques sont complémentaires. Toutefois, j’ajoute que gouverner n’est pas toujours aller dans le sens de la majorité. C’est avant tout prendre ses responsabilités et les décisions indispensables et prioritaires, même si la majorité des gens pense le contraire.
Que révèle le succès du mouvement Nuit debout de ce que pensent les gens de la politique ? Ce besoin de se rassembler et de s’exprimer dans la rue n’est-il pas une preuve que le système existant, peut-être ringard ou dépassé, ne convient plus, ne suffit plus ?
Je ne le vois pas du tout comme cela non. Le champ d’action n’est pas le même et chacun a un rôle à jouer dans le sien. Celui de l’homme politique, c’est l’action décisionnelle qui réglemente la société. Et celui de Nuit debout, c’est l’expression, par un ensemble de gens conscientisés politiquement ou pas, d’une envie d’autre chose, d’un ras-le-bol peut-être… Voir les citoyens s’approprier ainsi le débat public est plutôt très positif. Cela signifie justement que la chose politique les intéresse. Il n’y a pas d’un côté les ringards et de l’autre l’avenir : les deux sont complémentaires.
Je me permets d’insister : en France, un sondage a montré que la majorité (70 %) des 18-24 ans s’abstient aux élections. Là, le lien n’est-il pas rompu ?
Mais non. Je peux vous parler de ce que je vis comme parlementaire européen. On n’a jamais été autant sollicité qu’aujourd’hui pour discuter de questions de toutes sortes. Que les gens souhaitent se réapproprier les débats, c’est une chose, mais cela ne signifie pas que le lien est rompu. Dernier exemple en date : le traité transatlantique (TTIP). Il m’est arrivé à plusieurs reprises, alors que je ne suis pas spécialiste du sujet (même si, par certains aspects, il touche à la protection du consommateur), de devoir aller jusqu’à quatre ou cinq fois en une seule semaine débattre de ce dossier devant des assemblées rassemblant parfois jusqu’à 300 personnes, des jeunes en majorité. Ce n’était pas le cas auparavant. Ce qui me fait dire qu’on peut parler d’appropriation des thèmes par les gens, même quand il s’agit de sujets qui semblent se passer très loin (mais qui ont des impacts dans la vie quotidienne de tout le monde). C’est très motivant. A contrario, le découragement pourrait survenir si les gens ne se mobilisaient pas. Soyons contents qu’ils s’informent et se bougent !
Les lieux de débats sont-ils suffisamment accessibles ?
Mais oui ! Au PS, nous avons par exemple nos "Chantiers des idées". Tous les deux week-ends, des discussions sont organisées sur des questions fondamentales. Et elles sont ouvertes à tous !
Le monde politique est-il suffisamment à l’écoute de ce qui est exprimé dans la rue ?
Je me souviens du traité Acta (pour lutter contre la contrefaçon) en 2011. Enormément de jeunes et d’internautes se sont mobilisés, j’en ai rencontré quelques-uns, il y a eu de grandes manifestations. Et bien, au final, nous avons pu faire passer l’idée qu’il y avait un problème et ce qui aurait dû passer comme une lettre à la poste a, finalement, été refusé par le Parlement européen. L’important est donc que le monde politique ne soit pas sourd. Il ne faut certainement pas négliger ce genre de mouvement mais, au contraire, essayer de comprendre les raisons de la mobilisation et les revendications, puis voir comment on peut y répondre.
Serait-il néanmoins opportun de faciliter davantage la participation du citoyen, d’ajouter des outils supplémentaires pour qu’il puisse s’exprimer plus ?
Je pense qu’il faut mettre le curseur au bon endroit. La seule fois qu’on a organisé une consultation populaire en Belgique, elle a failli déboucher sur une guerre civile ! Si François Mitterrand avait demandé l’avis des Français avant d’abolir la peine de mort, sans doute les exécutions auraient-elles toujours lieu aujourd’hui. Le système de dotations suisse, en revanche, est très intéressant. Donc bien sûr, il faut multiplier les initiatives pour encourager la participation. Cela étant, pour gérer les problématiques, il faut tout de même une structuration. Sans structure, on ne peut rien gérer. J’en reviens à la notion de complémentarité entre ce genre de mouvement et ceux qui ont le pouvoir de la prise de décision. Toutefois, j’ajoute que gouverner n’est pas toujours aller dans le sens de la majorité, c’est prendre ses responsabilités et les décisions indispensables et prioritaires, même si la majorité des gens pense le contraire.