Retards de paiement: les frais réclamés sont-ils exagérés?
La loi-cadre de 2002 sur le recouvrement amiable des dettes du consommateur ne dit rien des montants des amendes ni des délais de paiement. Porte ouverte aux abus? Une proposition de loi plus précise arrive à la Chambre la semaine prochaine. Opinions croisées.
Publié le 19-04-2016 à 18h36 - Mis à jour le 19-04-2016 à 18h48
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/LDXCXDZJBJADHIA3XOQHGIIPEI.jpg)
La loi-cadre de 2002 sur le recouvrement amiable des dettes du consommateur ne dit rien des montants des amendes ni des délais de paiement. Porte ouverte aux abus? Une proposition de loi plus précise arrive à la Chambre la semaine prochaine.
OUI - Fabienne Winckel, député PS qui dépose la proposition de loi de plafonnement des frais de retard
C’est une jungle avec pas mal de dérives. La loi de 2002 qui stipule que les frais de rappel doivent être "proportionnels" est détournée par des clauses abusives et certains huissiers et sociétés de recouvrement. Le montant de la dette peut être multiplié par 3 ou 4. Tant pis pour les consommateurs et les opérateurs qui ne peuvent plus récupérer leurs factures initiales. Une proposition de loi pourra changer ça.
Vous travaillez depuis des années sur la question des frais de rappel abusifs qui sanctionnent les retards de paiement de factures. Quelle est la nature du problème ?
Que ce soit bien clair, pour moi aussi, toute dette doit être payée. Mais à côté, existent de plus en plus d’abus liés aux frais de rappel de certains opérateurs en téléphonie, énergie, santé ou parking. Il n’est pas rare de voir une dette de 15 euros passer en 3 semaines à 80 voire 100 euros. Cette multiplication par 3 ou 4 de la dette va souvent non pas bénéficier aux opérateurs mais plutôt à certains intermédiaires de recouvrement et huissiers. Oui, un commerce de l’endettement s’installe et prend de l’ampleur. Test-Achats et l’Observatoire du crédit et de l’endettement le dénoncent. La loi de 2002 sur le recouvrement de dette à l’amiable s’avère régulièrement détournée. Elle stipule que les frais de rappel doivent être "proportionnels". C’est flou et cela entraîne pas mal de dérives. Des sociétés inscrivent des clauses - genre en petits caractères, en bas de la 4e page des conditions générales - annonçant telle somme forfaitaire prohibitive ou tel pourcentage exagéré de la facture en cas de retard de paiement. Il arrive même que des frais tombent sur la tête du client sans rappel. La Commission des clauses abusives (au sein du Conseil de la consommation du SPF Economie) a émis plusieurs avis critiques à leur sujet. En vain.
Quelles solutions faut-il envisager ?
Corriger et préciser la loi de 2002. Dans ce sens, je dépose la semaine prochaine une proposition de loi visant d’abord à supprimer de telles clauses abusives et ensuite à plafonner les frais administratifs, de rappel, de mise en demeure, etc, à 50 % de la dette initiale (exemple, pour une facture de 120 euros, la totalité des frais de rappel ne pourra pas dépasser 60 €). Cela protégera les consommateurs mais profitera aussi au créancier principal qui a du mal à récupérer une dette qui a été doublée voire triplée par les frais abusifs de certains huissiers et sociétés de recouvrement. C’est le cas classique de personnes en difficulté qui, prenant peur face aux en-têtes des lettres d’huissier et chiffres musclés, ne réagissent plus et laissent s’accumuler les frais et problèmes. Les services de remédiation de dettes peuvent vous parler de cette réalité à souhait. Deux autres mesures ont été enlevées de cette nouvelle proposition de loi : il s’agissait d’harmoniser le délai de paiement de toutes les factures à 30 jours calendrier et d’autoriser le SPF Economie à contrôler - comme les sociétés de recouvrement - les pratiques de certains huissiers. Mais la profession préfère s’autoréguler. Et le lobby, relayé par les libéraux et la N-VA au Parlement, est trop puissant.
NON - Jean-François Flament, directeur commercial à la Société wallonne des eaux
Nous perdons plus de 12 millions de notre chiffre d’affaires en impayés que nous ne récupérons jamais. Mais la proportion du montant global facturé qui doit faire l’objet d’au moins un rappel est de 16 %, soit environ 80 millions d’euros par an ! La différence s’obtient par une série de mesures telles rappels et mises en demeure. Car nous devons équilibrer nos rentrées et des coûts qui, eux, ne diminuent pas !
Quelle est votre expérience des défauts de paiement ?
Notre situation est évidemment particulière puisque nous sommes un service public autonome. L’objectif n’est pas le lucre, mais bien de faire entrer assez de deniers pour maintenir le réseau en état, autrement dit d’équilibrer nos recettes et nos charges. Autre spécificité : nous avons un certain monopole de distribution dans les communes que nous desservons mais, en contrepartie, nous n’avons pas le choix de nos clients. En ce qui concerne la situation, on a clairement vu augmenter le poids des impayés depuis une dizaine d’années. Or, dans le même temps, les charges, elles, n’ont pas diminué. Le message que j’essaie donc de faire passer, c’est que ce que les uns ne paient pas, les autres devront s’en acquitter.
Qu’est-ce que cela représente concrètement ?
Lorsque tous les moyens "classiques" (le rappel et la mise en demeure) ont été mis en œuvre sans succès, nous confions les dossiers qui nous semblent offrir une chance de retrouver notre dû à des sociétés de recouvrement. On peut considérer que nous cédons approximativement 8 % de notre chiffre d’affaires à celles-ci. Et à l’heure actuelle, on peut estimer à 2,7 % la part qui ne sera jamais récupérée, soit plus de 12 millions d’euros. Quand on regarde la moyenne européenne, c’est acceptable. Seulement, les moyens qui sont mis en place pour éviter d’avoir une croissance de ces taux d’impayés sont importants.
Comme ?
Comme le Fonds social de l’eau. Chaque personne qui paie sa facture paie un petit pourcentage qui alimente le Fonds social destiné à recouvrir les créances via les CPAS. Il est bien évident que cela ne suffit pas à combler les impayés. Ou comme des mesures de limitation de débit. Par ailleurs, il y a toute une procédure de rappels et mises en demeure sans laquelle nous récupérerions encore moins que ce qui nous revient à l’heure actuelle. La proportion du montant global facturé qui doit faire l’objet d’au moins un rappel est de 16 %, soit environ 80 millions d’euros par an.
Le premier rappel coûte chez vous 4,72 €, et le rappel de mise en demeure, 10 €. A quoi sont consacrées ces sommes ?
Ces sommes, fixées dans le Code de l’eau, servent à recouvrir partiellement les frais globaux de gestion des paiements : ce qui concerne les impayés (par courrier ou par voie électronique), mais aussi les paiements effectués avec une communication erronée ou encore des demandes d’échelonnement par exemple.