Récupéré par le marketing, le hashtag perd-t-il son sens?
Le hashtag permet d'ordonner l'information sur les réseaux sociaux. Mais, désormais, les publicitaires s'en emparent pour promouvoir leurs messages. Au point que cet outil, banalisé, en aurait perdu son âme? Ripostes.
Publié le 27-05-2016 à 15h06 - Mis à jour le 27-05-2016 à 15h18
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Le hashtag permet d'ordonner l'information sur les réseaux sociaux. Mais, désormais, les publicitaires s'en emparent pour promouvoir leurs messages. Au point que cet outil, banalisé, en aurait perdu son âme?
NON
Cédric Swaelens, représentant de l'ASBL Sprout to be Brussels.

" Avec la promotion du hashtag #sprouttobebrussels, il s’agit de faire du "city marketing", mais aussi de rallier un maximum de gens au mouvement de revalorisation de Bruxelles. Pour moi, c’est indispensable ."
Pour revaloriser Bruxelles, vous annonciez, ce mercredi 25 mai, la naissance du mouvement #sprouttobebrussels. Quel nom compliqué !
A l’image des campagnes "I Amsterdam" et "I love New York", plusieurs acteurs du secteur privé ont voulu créer une marque propre à notre capitale, à laquelle peuvent se rattacher toutes les initiatives destinées à améliorer son image. Pour ce faire, ces acteurs se sont réunis autour d’une table avec la volonté de se fédérer et de prendre leur destin en main. Restait à choisir un nom. On s’est demandé ce que les étrangers connaissaient de Bruxelles : les choux ! "Sprout" en anglais. Ensuite, on a trouvé le jeu de mot "Sprout to be Brussels", avec un côté surréaliste qui convient bien à notre pays.
Et vous avez tout de suite pensé à y accoler un hashtag ?
C’est venu assez naturellement. On a bénéficié de la collaboration d’une agence de communication qui a l’habitude de jouer avec cet outil. Celui-ci permet d’afficher notre volonté de profiter des réseaux sociaux et de travailler en "open source". C’est-à-dire que n’importe qui peut arriver avec des idées, mais aussi que tout un chacun peut télécharger et s’approprier (à des fins non commerciales) le nom et le logo du mouvement. Les gens peuvent aussi s’en servir pour partager des publications sur Facebook, Twitter ou Instagram. Accompagnées du mot-balise #sprouttobebrussels, ces publications seront affichées sur des écrans géants entre autres installés sur la place De Brouckère. Le hashtag devient ici synonyme d’interactions, comme lorsqu’on affiche sa photo sur Time Square, à New-York.
Le mouvement suscite-t-il déjà de l’enthousiasme ?
On a seulement annoncé sa naissance ce mercredi, lors d’une conférence de presse, mais il avait déjà commencé à vivre par lui-même à travers les réseaux sociaux. Ainsi, la communication vient de la base : on sent qu’il y a une masse derrière #sprouttobebrussels. Au point que 18 000 personnes ont déjà aimé notre page Facebook.
Mais c’est tout de même vous qui avez lancé le mot-balise #sprouttobebrussels ?
Oui, on voulait déjà sentir comment réagirait le public. Et je pense qu’on est arrivé à point nommé. Le créateur du logo l’a partagé sur Facebook, ce qui a créé une émulation; les gens s’en sont emparés très rapidement. On pourrait dire qu’on a commencé de façon très organique, en dépensant à peine quelque 2 000 euros pour booster notre visibilité sur les réseaux sociaux.
N’y a-t-il pas de risques de confusion avec les autres hashtags référant à Bruxelles, tel #DiningForBrussels ?
C’est une difficulté. Il y a pas mal de hashtags qui sont lancés à gauche, à droite. Mais on n’entre pas en concurrence les uns avec les autres. Au contraire, on répercute ces autres mots-balises et d’autres acteurs peuvent également parler de nous. Comme je l’ai dit, on veut fédérer toutes les initiatives qui servent à la ville.
A vous entendre, le mouvement Sprout to be Brussels est destiné à s’installer dans la durée ?
Nous nous sommes effectivement constitués en ASBL pour coordonner nos actions sur le long terme. Nous allons par exemple, en partenariat avec les chèques repas, créer un concours dont les prix comprendront des voyages en avion et des nuits d’hôtel. D’autres actions qui incitent les gens à profiter de Bruxelles, de ses restaurants et ses commerces, sont ensuite appelées à suivre. Il faudra aussi compter sur notre plate-forme numérique qui permettra d’apprécier toutes les belles choses qui se dérouleront dans notre ville ces prochains mois.
A condition de les partager sans oublier le hashtag #sprouttobebrussels.
Exactement, vous avez tout compris.
OUI
Alice Maruani, journaliste numérique pour le site Internet français Rue89

" Forcément, vous avez déjà croisé un hashtag qui vous a tapé sur les nerfs. Pour moi, c’est celui de la campagne de la SPA contre la souffrance animale #JeVousFaisUneLettre ."
Sur le site Internet français Rue89, vous publiez un article qui dénonce, entre les lignes, la récupération marketing du hashtag. Qu’est-ce qui vous a poussée à aborder ce sujet ?
Ces derniers temps, j’ai remarqué que de plus en plus de publicitaires utilisaient des mots-balises. Sur les affiches de la Société protectrice des animaux (SPA), qui sont placardées dans le métro parisien, j’ai par exemple repéré #Corrida et #JeVousFaisUneLettre, ce qui est un détournement de la chanson de Boris Vian. Et sur la devanture d’un magasin de gaufres, #Gaufrerie. Cela m’a agacée, car le hashtag devient ainsi, après le @ et le .com, le nouveau signe pour "faire Web" (donc moderne). Mais pas vraiment non plus, puisqu’il est présent dans des domaines très éloignés du numérique.
Quelles sont dès lors les raisons de son utilisation ?
En utilisant des mots-balises, les publicitaires caressent l’espoir qu’ils soient répercutés sur les réseaux sociaux, tout en propageant leur message et regroupant les consommateurs. Outre ce désir de viralité, les publicitaires suivent aussi un effet de mode, ils veulent faire "branchés", apparaître "jeunes". A ce titre, le hashtag peut remplacer les logos. Il attire l’œil " à peu de frais ", comme l’explique Marie-Anne Paveau, chercheuse à l’université Paris 13 et passionnée de la langue en mouvement. Au point que le hashtag soulignerait de plus en plus souvent un slogan, voire une marque. Mais, en fait, les publicitaires galvaudent ainsi sa raison d’être. Car on perd la spontanéité qui accompagnait originellement la création de mots-balises. Il suffit de penser aux occurrences suivantes : #JeSuisCharlie, #TweetCommeSarko…
Vous voulez dire que le hashtag est dénaturé ?
A l’image d’une dame travaillant pour la SPA, qui me disait qu’ils cherchaient simplement à attiser la curiosité d’adhérents de la jeune génération avec leur mot-balise #Corrida, il y a plein de gens qui ne savent pas à quoi sert avant tout le hashtag : c’est une manière de créer des hyperliens sur les réseaux sociaux - sur Twitter, essentiellement, sur Instagram et Facebook, ensuite - pour faire rencontrer des personnes qui partagent les mêmes opinions, ou du moins les mêmes intérêts; c’est l’expression d’une masse non concertée, à l’image du Web en général; c’est quelque chose de "sauvage". Or les publicitaires voudraient nous imposer de nouveaux hashtags, comme s’ils nous soufflaient les prochains sujets à débattre. C’est un renversement des choses, au risque que cela ne fonctionne pas. En partant originellement de la base, les nouveaux mots-balises viendraient désormais "d’en haut". Selon moi, c’est une banalisation de leur utilisation et cela les rend moins intéressants.
L’utilisation du hashtag au service du marketing doit pourtant être efficace, sinon les publicitaires y renonceraient.
C’est ce qu’avance également Marie-Anne Paveau. Elle ne m’a pas rassurée quand elle m’a dit que cette mode des publicitaires et des activistes en tout genre est un mouvement qui s’accélère et qui va probablement continuer. D’ailleurs, on peut aussi noter que le hashtag est repris sur la couverture de certains livres ainsi que lors de campagnes du gouvernement. Il qualifie enfin le mouvement politique #Onvaut mieuxqueça.
Que pourrait-on faire pour résister à cette tendance ?
C’est sans doute inévitable. Et je ne veux pas exagérer ma position. En tant que représentante de la génération Y, je trouve cela simplement bizarre de voir des hashtags associés à à peu près tout et n’importe quoi. Maintenant, il est également possible que les hashtags sortis de leur contexte numérique fassent long feu. A force de recourir sans cesse aux mots-balises, les publicitaires pourraient lasser les gens, jusqu’à ce que le mouvement s’essouffle de lui-même. Comme toutes les modes finalement.
Vous avez dit hashtag? Qu’est-ce que c’est ?
Concrètement, le hashtag consiste en la juxtaposition du signe typographique du croisillon (#, hash en anglais) et d’un ou plusieurs mots-clés (tag). L’ensemble est une balise, un signal-repère utilisé d’abord sur Twitter, puis sur les autres réseaux sociaux, blogs et autres sites, pour centraliser les messages autour d’un même thème.
Créé en 2008, un an après la naissance de Twitter, il reste d’abord un simple outil de communication permettant à n’importe qui de rejoindre une conversation autour du sujet nommé dans le tag.
Depuis 2014, le hashtag figure dans le dictionnaire français.
Son utilisation s’est considérablement élargie pour devenir le symbole de la culture Internet, un peu comme le @ le fut il y a une quinzaine d’années, après l’apparition des premières adresses e-mail. Comme le @ d’autrefois, le # est aujourd’hui associé à Internet dans l’imaginaire collectif. Par extension, il est utilisé tous azimuts pour donner une image jeune et branchée. Rien d’étonnant donc à ce que le marketing s’en soit emparé. Quelques exemples :
#JeSuisCharlie Les réseaux sociaux se sont accaparés ce signe de ralliement après les attentats de Paris, en janvier 2015. Pour la première fois, la barre des cinq millions de tweets fut dépassée pour un hashtag français.
#prayforbrussels et #Bruxelles ont rempli le même rôle après les attaques meurtrières perpétrées en mars dernier à Bruxelles. Comme le slogan n’était pas unique, le retentissement fut moindre.
#sprouttobebrussels La formule cache aujourd’hui toute une campagne de promo destinée à redorer le blason de la capitale belge.
#begov Autour de cette balise s’étaient notamment rassemblés tous les commentaires après l’accord de gouvernement, enfin trouvé par "la suédoise" en Belgique, en octobre 2014, 135 jours après les élections.
#LikeAGirl Ce hashtag a permis le succès d’une campagne publicitaire (pour la marque Always). Teintée de revendications féministes, elle a très bien fonctionné, au contraire de certaines autres. Ainsi, en janvier dernier, une tentative de l’Union nationale de l’industrie des taxis pour redorer le blason des taxis bruxellois (autour de #TaxisLégaux), en guerre contre les chauffeurs Uber, avait déclenché une pluie de commentaires négatifs et agressifs. L’inverse du but recherché.