Les espaces verts des villes sont-ils en danger?
Parmi les nouvelles vagues sur lesquelles les pros de l’immobilier doivent surfer figure la reconquête de la flore sur la brique aux étages et sur les toits des immeubles. Pourquoi, dès lors, continuer à construire sur des espaces verts emblématiques ? Jardiniers et paysagistes s’inquiètent. Ripostes.
Publié le 03-06-2016 à 13h44
Parmi les nouvelles vagues sur lesquelles les pros de l’immobilier doivent surfer figure la reconquête de la flore sur la brique aux étages et sur les toits des immeubles. Pourquoi, dès lors, continuer à construire sur des espaces verts emblématiques ? Jardiniers et paysagistes s’inquiètent.
OUI
Martin Hamoir
Pour le Tuiniers Forum des Jardiniers
" Nous, le Forum des potagistes, dénonçons la bétonisation des jardins, potagers, terres agricoles et espaces ouverts de la Région de Bruxelles-Capitale, sans lesquels on ne peut pas (sur)vivre ."
Le Forum des jardiniers (aussi appelé le Forum potagiste) laisse entendre que, dans notre capitale, il n’y aura bientôt plus assez d’espace pour y cultiver les légumes qui ont fait sa renommée : les choux de Bruxelles. Ne forcez-vous pas le trait ?
Si peu ! Au cours des dernières années, la ville a déjà perdu de nombreux espaces verts : Union, une grande partie de Boondael et du plateau Engeland, pour ne citer que ceux-ci. Aujourd’hui encore, toute une série de sites et d’initiatives agricoles et potagères de la Région sont directement menacés : Boondael-Ernotte, le Donderberg, le Keelbeek, le champ des Cailles, la Plaine, rue Gray, Solvay sports, l’hippodrome de Boitsfort, etc. Sans parler des lieux qui ne sont pas immédiatement menacés, mais dont le statut reste précaire. Au nombre desquels on compte les sites qui ne bénéficient d’aucune protection dans le cadre du plan régional d’aménagement du sol.
Pourquoi appelez-vous à défendre ces espaces verts menacés ?
C’est, dans un premier temps, la raison d’être du Forum potagiste, qui est né le 17 avril, lors de la journée mondiale de la lutte paysanne. Ce jour-là, tous les jardiniers, potagistes et personnes liées aux espaces verts s’étaient rassemblés et, en discutant, nous nous sommes rendu compte que nous étions tous dans la même situation : l’avenir de nos carrés de verdure n’est pas assuré. Mais, dans un second temps, nous sommes également conscients qu’il n’en va pas que de nos intérêts individuels, mais aussi et surtout de l’avenir de tous les citadins. Pour vivre agréablement, il ne suffit pas d’une boîte où dormir; il faut un milieu de vie agréable, en ce compris des petites parcelles de nature. Or la politique actuelle ne semble pas prendre cet aspect en compte.
Le gouvernement a pourtant mis en place la stratégie "Good Food", dont l’un des objectifs est d’arriver dans vingt ans à produire localement environ 35 % de nourriture…
C’est vrai, mais au regard des politiques actuellement mises en place - il faut savoir que le plan d’aménagement du sol de la RBC ne réserve qu’une superficie de 1,5 % à l’agriculture et aux cultures potagères -, cet objectif restera certainement lettre morte, comme la résilience de Bruxelles, qu’il est impératif de renforcer compte tenu des défis qui nous attendent : réchauffement climatique, épuisement des réserves de pétrole…
Il y aurait, à vous entendre, un véritable manque de vision à long terme de la part des politiciens ?
Il y a des signes qui ne trompent pas : on décide parfois de construire des bâtiments sur des terrains naturels, c’est-à-dire sur des terrains sur lesquels on n’avait jamais bâti, et, par ailleurs, on aménage artificiellement des parcs. Allez comprendre…
Selon les prévisions démographiques du Bureau du plan, Bruxelles se prépare à accueillir une vague de nouveaux habitants. Comment ne pas construire des bâtiments pour les loger ?
Nous entendons souvent dire que les espaces verts devraient aujourd’hui s’effacer devant la construction de crèches, prisons, écoles, logements… Il est évident que certains de ces équipements ont leur utilité. Ceci dit, il est également notoire qu’à l’heure actuelle, 2 000 000 m² d’espaces de bureaux sont inoccupés à Bruxelles et des milliers de mètres carrés de logements sont également vides. Quel gaspillage de l’espace construit ! Prétendre que le peu d’espace vert restant doit encore être sacrifié à l’étalement urbain est dès lors un argument fallacieux. J’insiste : le Forum potagiste est bien conscient de la "crise" du logement annoncée dans la capitale. Cependant, il ne suffit pas de concevoir des réponses urbanistiques dictées par les seules lois du marché. Il faut au contraire adopter une réflexion à la fois sociologique, sociale, politique et économique pour imaginer des solutions à long terme pour la ville. C’est à cela que nous aspirons. D’ailleurs, le jour où il existera une instance pour réfléchir aux questions de fond sur l’avenir de Bruxelles, qui influencera les décisions du gouvernement, notre organisation n’aura plus de raisons d’être.
NON
Jo De Witte
Porte-parole du ministre-Président bruxellois, Rudy Vervoort.
" Le gouvernement a prévu d’augmenter considérablement les espaces verts à Bruxelles, et de les répartir harmonieusement au profit de tous. Plus de 30 hectares de verdure supplémentaires sont en chantier. "
La concertation autour du projet remanié de la nouvelle prison de Haren a eu lieu mercredi. Toute personne qui le désire peut également consulter, jusqu’au 16 mai, les projets pour l’hippodrome de Boitsfort. Dans les deux cas, des espaces verts emblématiques de la Région sont menacés. Comprenez-vous que certains s’inquiètent de la disparition de zones où pourraient, par exemple, atterrir des projets agricoles ?
A propos de Haren, il est utile de rappeler que cette zone a été une friche industrielle, progressivement conquise par la nature. En effet, cette zone est prévue pour une urbanisation, conformément au plan de planification qui n’a pas inscrit cet espace en zone verte. Toutefois conscient de la disparition d’un espace vert de fait, le projet prévoit aussi de créer des espaces verts autour du site de la prison. Pour ce qui est de l’hippodrome, il n’y a aucun potager à cet endroit (qui ne s’y prête d’ailleurs pas). L’espace vert qu’est la Forêt de Soignes est non seulement préservé, mais aussi valorisé dans le cadre du projet Drohme.
Vous ne considérez donc pas que les espaces verts soient en voie de disparition dans la Région-Capitale ?
Pas du tout. La Région mène une politique forte en matière de création d’espaces publics et d’espaces verts. En effet, malgré le fait que Bruxelles est déjà l’une des villes les plus vertes d’Europe, le gouvernement a prévu d’augmenter considérablement les espaces publics et verts sur le territoire régional, et de les répartir harmonieusement au profit de tous les Bruxellois.
Avez-vous quelques exemples concrets ?
Cette volonté d’augmenter les espaces verts se reflète en premier lieu au travers des pôles de développement et de la zone du Canal. Au sein de ces pôles, au moins 30 hectares d’espaces verts seront créés (sans compter les 30 autres hectares de l’Hippodrome en lisière de Forêt). Il s’agit plus précisément des projets suivants : 9 hectares en chantier à Tour&Taxis, 2,3 hectares sur le site Béco pour 2018, 3 à 5 hectares gare de l’Ouest, 8 hectares rendus au public au Mediapark (aujourd’hui, la moitié existe mais est enclavée et non accessible), la création d’un parc de 4 hectares Porte de Ninove, entre 1 et 3 hectares parc Josaphat et, enfin, l’agrandissement du taux de verdurisation de 15 à 21 hectares dans le cadre du projet Neo. Outre ces pôles, l’ambition du plan canal est de rénover et créer environ 200 ha d’espaces publics d’ici dix ans le long du canal, dont une certaine proportion sera constituée d’espaces verdurisés comme ceux déjà prévus dans le projet de PPAS Biestebroeck ou le parc Béco déjà mentionné. Le gouvernement veille donc bien à la qualité "verte" de sa Région et il mène un juste équilibre entre les différentes fonctions nécessaires à remplir en tant que Région et Capitale.
Mais les espaces verts dont vous parlez ne sont pas tous des terres agricoles possibles. Un des objectifs de la stratégie "Good food" mise en place à Bruxelles est d’arriver à produire localement environ 35 % de la nourriture consommée par les Bruxellois. Sera-ce faisable sans les terrains adéquats ?
Mais la Région soutient le développement de l’agriculture urbaine ! Outre l’octroi de subsides (à l’ULB pour une recherche sur l’agriculture intra et périurbaine/ou à la Maison Verte et bleue) et la stratégie "Good Food" dont vous parlez, le gouvernement a affecté près de 6 millions à Boeren Bruxsel Paysans en vue de créer un pôle d’agriculture périurbaine à Neerpede et au Vogelenzang. La protection des intérieurs d’îlot promue par les réglementations urbanistiques permet également de protéger les espaces verts et d’encourager le développement d’initiatives privées de ce type.
Ne vous semblerait-il pas opportun de réaffecter certains bâtiments existants avant d’en construire de nouveau ?
Il n’y a pas de bétonisation excessive au vu du plan de développement régional. Et il y a également une forte reconversion du parc existant. Le secteur des bureaux a connu une reconversion de près de 900 000 m2 ces dernières années.
Histoires singulières de villes et de parcs
New York (USA). Créé à la demande des New-Yorkais, Central Park fut inauguré à la fin du XIXe siècle sur une ancienne friche recouverte de marécages et de rochers. Près de 200 000 personnes participèrent au chantier qui dura 19 années et quelque 500 000 arbres furent plantés. Ce poumon vert s’étale sur 341 hectares au pied des gratte-ciel de Manhattan. Après un passage à vide, ce sont les riverains qui prirent les choses en main dans les années 1970. Réunis au sein d’une association de quartier, ils ramenèrent la sécurité dans leur lieu dont, avec des bénévoles, ils assurèrent aussi la rénovation.
Lagos (Nigeria). Les autorités ont choisi d’exploiter tous les petits espaces disponibles dans ce vaste chaos urbain abritant pas moins de 20 millions d’âmes. Durant la longue période de dictature, tous les parcs ont été avalés par les projets immobiliers. Mais, depuis le retour à la démocratie en 1999, pas moins de 80 microparcs ont refait leur apparition. Parmi les plus originaux : le rond-point Falomo , cercle de verdure situé au milieu d’un des carrefours les plus fréquentés de la ville.
Genève (Suisse). Sans conteste l’une des villes les plus vertes d’Europe, avec 310 hectares de parcs et 428 000 plantes dont 40 000 rosiers renommés partiellement plantés, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par des soldats fraîchement démobilisés. La nature représente un cinquième de sa superficie.
Seraing (Belgique). La commune qui vient de revoir entièrement sa politique en matière d’espaces verts compte aujourd’hui une quarantaine de parcs. Dans le cadre de son plan "Master parc", une vingtaine d’entre eux seront réaménagés et connectés entre eux par des voies vertes dans les trois ans. Objectif : que chaque Sérésien puisse profiter d’un parc public vert à moins de 10 minutes à pied de chez lui. Originalité : des animateurs de parcs seront également engagés qui n’en seront pas seulement les gardiens mais organiseront des activités visant à créer du lien.
Ljubljana (Slovénie). C’est grâce à ses espaces verts que la ville a été nommée capitale européenne verte en 2014. En trois ans, plus de 2 000 arbres supplémentaires y ont été plantés et trois nouveaux parcs pesant ensemble 40 hectares y ont été créés.
Montpellier (France). Dès 2004, la municipalité a lancé une première opération de location de parcelles de jardin pour les habitants. Dépassée par son succès, il lui a fallu multiplier les offres. Là, elle compte 741 hectares d’espaces verts publics caractérisés par ses faune et flore superbement préservées.