Une même allocation familiale de base pour chaque enfant?
Le 1er janvier 2020, les allocations familiales ne seront plus fédérales. La Flandre vient d'adopter un modèle avec une allocation de 160 euros pour chaque enfant. La suppression du système de rangs doit-elle s'imposer aussi aux 675 000 familles wallonnes et bruxelloises? Opinions croisées.
Publié le 08-06-2016 à 15h01
Le 1er janvier 2020, les allocations familiales ne seront plus fédérales. La Flandre vient d'adopter un modèle avec une allocation de 160 euros pour chaque enfant. La suppression du système de rangs doit-elle s'imposer aussi aux 675 000 familles wallonnes et bruxelloises? Opinions croisées.

OUI
Delphine Chabbert, secrétaire politique de la Ligue des familles.
Notre système d’allocations familiales est devenu trop compliqué (140 combinaisons de montants possibles) et ne correspond plus aux failles actuelles. Une réforme est nécessaire qui prenne en compte les enfants des travailleurs pauvres (souvent des femmes à temps partiel) et des familles recomposées. Supprimons ce système des rangs et distribuons une même allocation de base de 150 € pour chaque enfant. Que reprochez-vous au système d’allocations familiales ?
Il a été conçu voici bientôt un siècle pour des familles qui étaient alors plus nombreuses et s’est affiné après la Deuxième Guerre mondiale avec des objectifs natalistes de reconstruction du pays. C’est le système des rangs et d’allocations progressives selon le nombre d’enfants : au plus vous avez d’enfants, au plus l’allocation est élevée. Cela devait inciter les gens à faire des enfants et à mieux les soutenir. Sauf que depuis, toute la littérature scientifique l’affirme, un système d’allocations familiales avec rangs n’a aucun impact sur la natalité. Aujourd’hui, ce système est devenu très compliqué (140 combinaisons de montants d’allocations possibles) et ne correspond plus à la sociologie des familles.
Qui votre nouveau système voudrait-il soutenir ?
Les grandes perdantes actuelles sont les familles recomposées, pénalisées par ce système de rangs. Comment compter les enfants dans une famille recomposée ? Quel rang a l’enfant d’un couple dont les conjoints ont, chacun de leur côté, déjà eu des enfants ? Pour le couple, il sera le 3e ou le 4e vu leur réalité matérielle mais l’administration va le compter au rang 1 avec une allocation de 90 euros. Ce sera le prétexte à d’éventuels arrangements entre les parents séparés quant à la domiciliation de l’enfant pour avoir une allocation supérieure, etc. Bref, c’est compliqué et souvent source de conflits. Ensuite, le niveau socio-économique des familles a changé. La croissance des "Trente glorieuses" est loin. La crise continue à augmenter le taux de pauvreté des enfants en Belgique. Dans cette lutte, les allocations familiales sont un outil efficace. Le système actuel avec des suppléments attribués selon le statut des parents (chômeur, invalide, pensionné…) laisse de côté les travailleurs pauvres. Une travailleuse à temps partiel qui gagne 700 € par mois (soit moins qu’un chômeur) ne bénéficie d’aucun supplément. Ce n’est pas juste.
Quelles sont les principales mesures de votre réforme ?
Dans un budget inchangé, nous préconisons la suppression du système des rangs et demandons une allocation de base de 150 € pour chaque enfant, un supplément de 50 € par enfant de famille à faibles revenus (le plafond serait un revenu de ménage pour deux de 2 500 € bruts et un supplément d’âge de 42,50 € par enfant de plus de 14 ans.
En supprimant ce système de rangs, on vous reproche de favoriser la famille à un enfant contre les familles nombreuses.
Pas du tout. Les allocations familiales existent pour diminuer le coût de l’enfant pour les parents. De nombreuses études scientifiques montrent que le coût du premier enfant est supérieur à celui du deuxième. Il faut donc supprimer les rangs pour aider les familles au moment où les parents ont moins de ressources (début professionnel, prise de crédits…) et où l’enfant coûte le plus cher (investissement en équipement). Et puis, avant d’être nombreuses les familles commencent par un puis deux enfants et elles seront mieux aidées à ces moments. Enfin, nous demandons un supplément (30 euros/enfant) pour les familles nombreuses à faibles revenus. Que les craintes s’apaisent, cette réforme garderait les droits acquis et ne s’adresserait qu’aux nouveaux enfants. En clair, la famille nombreuse qui touche aujourd’hui 500 euros ne perdra pas un euro.
Non
Etienne Dujardin, juriste et père de trois enfants.
D’abord, le système actuel fonctionne très bien. Personne n’a rien demandé. Ensuite, il est faux de dire que ce système est moins compliqué ou que le troisième enfant coûte moins cher que le premier. Enfin, une allocation unique, quel que soit le rang de l’enfant, sera moins avantageuse pour les familles de plus de deux enfants. Or, ce sont les familles les plus nombreuses qui ont, le plus, besoin d’aide.
Pour la Ligue des familles, peu importe la place de l’enfant dans la fratrie, le montant des allocations familiales doit être le même pour tous. Est-ce une bonne idée ?
Certainement pas ! D’abord, cette réforme n’a jamais été demandée par personne. La Ligue des Familles s’en est emparée d’initiative, qui plus est au désavantage d’une partie des familles dont elle dit défendre les intérêts. Ensuite, l’argument utilisé par la Ligue, à savoir que le premier enfant coûte plus cher que le troisième, est erroné. Le troisième enfant coûte plus cher parce qu’il faut changer de meubles, de voiture voire de logement. On peut peut-être réutiliser le maxi-cosy pour tous les enfants mais, en regard des autres dépenses, cela représente bien peu. La progressivité respectée depuis plusieurs dizaines d’années se justifie pleinement. Plus une famille est nombreuse, plus il faut l’encourager.
Le système imaginé par la Ligue des familles est-il intéressant pour les familles ?
Pas celles qui comptent plus de deux enfants : celles-là seront perdantes par rapport au système actuel. Or, il est très important de continuer à encourager les grandes familles. On a appris aujourd’hui qu’un enfant bruxellois sur trois a deux parents chômeurs. C’est aussi le cas d’un sur quatre en Wallonie. Voilà un chantier qu’il serait urgent de mettre en œuvre afin de trouver comment les sortir de la précarité !
Les allocations familiales pèsent lourd dans le budget des familles ?
Elles ne couvriront jamais tous les besoins de base d’un enfant, quel que soit le train de vie de la famille. Mais elles sont essentielles ! Une fois encore : je trouve que le système actuel fonctionne très bien et je ne vois pas pourquoi il faut adopter une attitude aussi réformiste dans ce domaine-là, alors que personne ne l’a demandé.
La Ligue des familles estime que son système simplifie des grilles beaucoup trop compliquées. D’accord ?
Le système actuel n’est pas si compliqué. Et la Ligue prévoit aussi toutes sortes de catégories. Donc, non.
Autre argument : il est trop compliqué de déterminer le rang des enfants dans les familles recomposées. D’accord ?
Mais non. La progressivité tient déjà compte des familles recomposées. Par contre, le système proposé risque de les défavoriser si elles comptent plus de deux enfants.
Les allocations familiales ont été défédéralisées. Les régions ont la main. Y a-t-il selon vous des dérives à éviter dans cette nouvelle répartition des compétences ?
Le politique se rend compte que la question est importante pour les familles. Il ne s’agit donc pas d’aller trop vite. Les Flamands ont avancé. Mais leur nouvelle formule ne sera applicable que début 2019. Ce qui m’inquiète quand même, c’est la période de transition. Comment cela se passera-t-il pour les familles qui avaient deux enfants sous l’ancien système, puis un troisième sous le nouveau ? Quel montant sera prévu pour lui, l’ancien ou le nouveau ? Beaucoup de choses restent floues. Le débat n’est certainement pas terminé.