Et si le congé de paternité devenait obligatoire?
Tous les hommes n’osent pas prendre ce congé. Or les parents doivent contribuer à égalité à l’éducation de l’enfant. Pour lui, et pour avoir les mêmes possibilités de s’épanouir par ailleurs. Au travail par exemple. Opinions croisées.
Publié le 10-06-2016 à 16h52
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Tous les hommes n’osent pas prendre ce congé. Or les parents doivent contribuer à égalité à l’éducation de l’enfant. Pour lui, et pour avoir les mêmes possibilités de s’épanouir par ailleurs. Au travail par exemple. Opinions croisées.
OUI
Françoise Claude, chargée d'études aux Femmes prévoyantes socialistes.
Les Femmes prévoyantes socialistes ont été précurseurs en la matière. Que réclamez-vous exactement, et depuis combien de temps ?
Dès 1994, nous avons organisé toute une campagne pour diffuser l’idée d’un congé de paternité en Belgique. A l’époque, je m’en souviens, nous nous sommes attiré beaucoup d’ironie… Pourquoi un congé de paternité, pour que les papas puissent aller tranquillement au café ? C’est un exemple de ce qu’on entendait. Finalement, le congé de paternité a été instauré en 2002 (10 jours maximum à prendre dans les quatre mois suivant la naissance). Seulement il est facultatif. Nous aimerions le voir devenir obligatoire et rallongé à neuf semaines. Entre-temps, un projet entre autres soutenu par le parti socialiste prend position pour un congé obligatoire de 15 jours ouvrables.
Pourquoi est-ce important ?
Pour deux raisons. D’abord, parce que s’il n’est pas obligatoire, tous les hommes ne vont pas oser le prendre. Je pense que si l’on n’avait pas rendu les congés payés obligatoires, beaucoup d’employeurs ne les donneraient pas… Ensuite, parce qu’il est évident que les parents doivent contribuer tous les deux à l’éducation de leurs enfants, à égalité. Pour créer du lien avec l’enfant, mais aussi pour conserver les mêmes possibilités de s’épanouir par ailleurs. Neuf semaines correspondent à la partie du congé de maternité actuellement obligatoire. Nous estimons donc que ce n’est qu’en imposant aux employeurs d’accorder neuf semaines de congé obligatoire aux papas que l’on pourra parler d’équilibre entre les deux membres du couple. Les quinze jours prévus dans le projet qui circule ne seraient qu’une première étape.
S’occuper d’un enfant, ce n’est pas le genre de choses que l’on peut faire sous la contrainte sans dommage pour lui : cet argument est souvent avancé par les personnes qui s’opposent à un congé obligatoire pour les jeunes pères. Qu’en pensez-vous ?
J’ai envie de répondre que si on n’est pas motivé pour s’occuper d’un enfant, les moyens de contraception d’aujourd’hui permettent de ne pas devenir parent. A partir du moment où on a choisi d’avoir un enfant, il est normal d’être là pour lui.
Les mamans ne sont-elles pas contentes de pouvoir vivre cette période avec leur nouveau-né ?
Sans doute mais, d’abord, toutes apprécient d’être épaulées. Et ensuite, il n’est pas normal qu’en 2016, le fait d’avoir des enfants continue à avoir des conséquences négatives sur leur carrière professionnelle. Or c’est une réalité. Même avant de tomber enceintes, d’ailleurs. Si un patron qui engage a le choix entre cinq candidats à compétences égales, il écartera la jeune femme susceptible de devenir un jour maman parce que, justement, les congés des femmes sont plus importants que ceux des hommes.
Autre argument de poids : la nécessité de continuer à faire rentrer de l’argent dans les caisses des jeunes parents. Si la maman arrête de percevoir son salaire complet, il faut bien que quelqu’un d’autre le fasse, non ?
Bien sûr, sauf qu’on est toujours, là, dans la reproduction de rôles stéréotypés. On pourrait croire qu’on n’en serait plus là aujourd’hui mais si. C’est aux femmes que continue, classiquement, à être dévolu le rôle d’élever les enfants.
Possède-t-on des chiffres pour évaluer le succès de l’actuel congé de paternité optionnel ?
Je n’en ai pas trouvé… Par contre, je vois dans les chiffres de l’Inami que le montant global attribué aux congés de paternité en Belgique stagne depuis 2009. Cela signifie-t-il qu’on atteignait déjà, à l’époque, un taux important de participation ? Impossible à dire… Un tas d’autres explications sont possibles, comme une baisse des naissances.
Enfin, chaque parent a également droit à trois mois de congé parental par enfant. Les papas en profitent-ils ?
Ces congés sont pris à 70 % par les mamans et 30 % par les papas.
NON
Marielle Helleputte, présidente de l'ASBL Parents actifs@home
Si les pères doivent disposer de l’opportunité de créer des liens avec leurs enfants, il n’est pas question que l’Etat s’immisce dans l’organisation familiale en les obligeant à prendre congé à un moment donné.
Le 7 mars, le PS proposait non seulement de prolonger le congé de paternité à 15 jours, contre 10 actuellement, mais aussi d’en faire une obligation et non plus un simple droit. Qu’en pensez-vous ?
L’ASBL Parents actifs, dont je suis la présidente, n’adhère certainement pas à cette proposition. Au contraire, nous pensons que le congé de paternité doit relever d’une décision libre, prise en toute conscience par le couple. L’Etat n’a pas à s’immiscer dans l’organisation familiale, en opposant par exemple des sanctions en cas de non-respect d’une telle obligation de congé de paternité. Cela serait regrettable.
Vous reconnaissez pourtant l’utilité d’un congé de paternité ?
Bien sûr, le père doit, autant que la mère, bénéficier de l’opportunité de mieux connaître son enfant et de l’apprivoiser. Pour ce faire, un moment de calme et de tranquillité est nécessaire. Mais, je le répète, cela ne doit pas être ressenti comme une obligation. Par ailleurs, je tiens à ce qu’on continue de distinguer le congé de maternité du congé de paternité. La mère doit se reposer de sa grossesse et de son accouchement. Le père ne connaît pas une telle fatigue physique. N’allez pas me dire qu’il est exténué d’avoir simplement assisté à la mise au monde de son bébé.
Si le père peut décider s’il prend ou non un congé de paternité, devrait-il également, selon vous, en choisir le moment ?
C’est une évidence. Si le congé de paternité est obligatoire, l’Etat devrait certainement déterminer une période pendant laquelle il faudrait le prendre. Or un père peut vouloir prendre son congé aux premiers jours qui suivent la naissance de son enfant ou bien une fois que sa compagne retourne elle-même travailler. A nouveau, tout est une question d’organisation de la vie de famille, c’est-à-dire quelque chose dans lequel l’Etat ne devrait pas intervenir de façon contraignante.
Sans obligation de prendre un congé de paternité, comment peut-on dès lors inciter les pères à s’impliquer, dès les premiers jours, dans l’éducation de leurs enfants ?
Je pense que c’est à la société de changer son regard sur la place du père dans la famille. Il s’agit de prendre conscience de l’importance de sa présence auprès de ses enfants. Trop souvent, aujourd’hui encore, les patrons voient d’un mauvais œil un employé qui réclame du temps pour s’occuper de son bébé et tisser des liens avec lui. Pour y remédier, il faut une réflexion commune, un cheminement. Il faut en parler, que cela rentre dans notre langage et notre imaginaire. Selon moi, il y a heureusement déjà un changement des mentalités qui s’annonce en ce sens. On commence à intégrer le fait qu’il n’y a pas que le travail dans la vie et qu’une vie de famille harmonieuse est également indispensable pour l’équilibre de l’individu.
Avec votre association, vous apportez votre contribution à la réflexion européenne sur les congés de maternité et de paternité, où en est-on à ce niveau-là ?
Il y avait une directive concernant le congé de maternité, mais elle n’est plus d’actualité. Après une série de discussions, le Parlement a donc accepté sa révision, avant que le projet soit rejeté par le Conseil des ministres, qui a tout bloqué. C’est pourquoi, aujourd’hui, la Commission a lancé une série de consultations, afin de récolter de nouvelles idées, et d’élaborer un nouveau texte, mais quand cela aboutira-t-il ? Cela, l’histoire ne le dit pas.
Peut-on réellement attendre de l’Europe qu’elle propose des avancées en matière de congé de maternité et de paternité ?
D’une manière générale, pour tout ce qui touche aux questions de société, oui, ce sont souvent les directives européennes qui impriment la marche à suivre. Reste que trouver un consensus à 28 Etats membres, c’est très difficile. D’autant plus que chaque pays a une culture de la famille différente des autres. Dès lors, c’est souvent la norme la plus minimale qui est acceptée.
Ce qu’en pensent trois jeunes papas
Antoine : "Après la naissance de ma petite fille, j’ai pris une dizaine de jours de congé pour endosser mon nouveau rôle de père. Il s’agissait aussi de trouver un nouvel équilibre avec ma compagne. Nous n’étions plus seulement un couple, mais une famille. Ces dix jours m’ont paru très court !"
Ambroise : "Le lien émotionnel entre un bébé et sa maman est directement très fort. Au point qu’au début, on se demande un peu à quoi on sert, en tant que papa. Alors, on en profite pour s’occuper de l’intendance, faire les courses et le ménage. Puis, au fil des jours, un lien finit tout de même par se créer avec le nouveau-né. Je viens par exemple de passer un long moment avec mon fils dans les bras. Il s’y sent de plus en plus à l’aise et ne pleure plus. Il a à peine quelques jours, mais je crois qu’on commence à construire quelque chose."
Xavier : "S’occuper d’un bébé, c’est tout un apprentissage, presqu’un nouveau métier. La première fois qu’on l’habille ou qu’on lui donne un bain, cela prend plus d’une heure. A moins de prendre un congé de paternité, il est donc difficile de s’y consacrer. Puis, quand arrive votre deuxième enfant, il est aussi nécessaire de se partager les tâches. Quand l’un des parents s’occupe de l’aîné, l’autre prend soin du nouveau-né."