Renforcer les quotas de chansons françaises à la radio?
Le débat fait rage en France actuellement. Sur la table, un compromis sur l'obligation de diffusion de 40% de titres en français (et pas que des tubes). Depuis 20 ans, on discute. Artistes et radios ne sont pas sur la même longueur d'ondes. Chez nous non plus. Opinions croisées.
Publié le 16-06-2016 à 14h11
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Le débat fait rage en France actuellement. Sur la table, un compromis sur l'obligation de diffusion de 40% de titres en français (et pas que des tubes). Depuis 20 ans, on discute. Artistes et radios ne sont pas sur la même longueur d'ondes. Chez nous non plus. Opinions croisées.
OUI
Claude Semal, chanteur, auteur et comédien belge, cofondateur de la Fédération des auteurs, compositeurs et interprètes réunis de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le système de quotas est encore plus crucial en Belgique francophone. Il y va de notre possibilité de gagner notre vie. La Belgique francophone est en état de colonisation culturelle, avec un pourcentage de consommation musicale autochtone de 5 %. Le Japon est à 95 %, la plupart des grands pays européens à 50 % et la Flandre entre 60 et 70 %. Du coup, toute notre chaîne musicale est en souffrance. En quoi vous sentez-vous proche des 1 800 pétitionnaires pour la sauvegarde des quotas de chansons françaises ?
La question est encore plus cruciale en Belgique francophone qu’en France. La Belgique francophone est culturellement sous-développée. On ne s’en rend pas toujours compte grâce à quelques arbres qui cachent la forêt, comme Stromae, un des rares artistes belges qui s’exportent bien et profitent d’une très grande visibilité. Seulement le pourcentage de consommation de musique autochtone, par rapport à tout ce qui est importé en Belgique, est ridicule. Le Japon est à 95 %, la plupart des grands pays européens sont à 50 % (c’est le cas de la France, l’Angleterre, l’Espagne, la Suède…) La consommation propre reste, en Flandre, de 60 à 70 %. Quant à nous, en Belgique francophone, nous sommes dans une situation de colonisation culturelle avec 5 % de consommation de musique à nous : nous importons 95 % !
Avec quelles conséquences pour les artistes belges ?
Toute l’industrie et toute la chaîne musicales sont évidemment en souffrance puisque l’argent, au lieu de revenir aux producteurs, musiciens et artistes locaux, file dans les grosses industries française et anglo-saxonne. Et ce, alors même qu’on n’arrête pas de souligner l’importance de soutenir la culture, notamment comme important outil du vivre ensemble. Pour cela, il faut des moyens. Et une manière d’augmenter ces moyens sans prendre un sou supplémentaire dans la poche des contribuables est de relever les quotas.
Les quotas existent en Belgique aussi (lire encadré ci-contre). Peut-être ne sont-ils pas suffisants ?
On vit vraiment une situation incroyable. Lors des D6bels Music Awards de la RTBF (censés être l’équivalent des "Octave" de la musique des chaînes privées), on est arrivé à un résultat hallucinant. Parmi les groupes, albums, clips et disques qu’on a entendus ce soir-là, pas un seul ne chantait en français à l’exception de Stromae, apparu dans une vidéo, mais qui n’a absolument pas besoin de ce genre de coup de pouce. Le reste, ce n’était que de la chanson en anglais. Autre exemple : on peut prendre du plaisir à voir une émission comme "The Voice". Mais que cette émission devienne la principale vitrine culturelle de la télévision publique, avec 90 % de chansons chantées en anglais, et qui sont toutes des reprises avec 0 % de créativité, là ça ne va plus ! Vous savez, en Belgique c’est une idiotie de croire que parce qu’on chante en anglais, on aura une carrière internationale. Nos meilleurs ambassadeurs (Stromae, Arno, Rapsat) chantent en français.
Et que répondez-vous aux radios jeunes qui disent avoir du mal à trouver suffisamment de choses, en français, susceptibles de plaire à leur public cible ?
C’est du grand n’importe quoi. Franchement, il y a des gens qui chantent en français dans tous les styles. Il y a tout un travail d’éducation à faire par rapport à ça.
NON
Richard Lenormand, directeur général du pôle radiotélévision de Lagardère Active.
Les radios subissent la concurrence des plates-formes Internet, comme YouTube et Spotify. Si, en plus, on est freiné dans la rotation des chansons françaises qui plaisent le plus au public en faveur de morceaux moins appréciés ou moins connus, il deviendra difficile d’assurer la viabilité des stations de radio à destination d’un public jeune.
Face à l’obligation, en France, de diffuser en radio 40 % de titres en français - et pas que des tubes -, vous dénoncez des contraintes inadaptées et obsolètes. Pourquoi monter au créneau ?
Directeurs de radios à destination des jeunes, nous revendiquons notre liberté éditoriale. C’est-à-dire, la possibilité de passer des hits et aussi d’introduire de nouveaux morceaux avec les précautions nécessaires pour ne pas perdre les auditeurs. Vous savez, il y a deux manières de faire fuir les gens : passer des publicités, ou bien diffuser une chanson peu connue. C’est pourquoi, nous insistons généralement auprès de notre public en les avertissant que nous avons sélectionné la perle rare qui pourrait leur plaire, avant qu’il ne retrouve un air bien connu de Zaz ou Maître Gims.
En quoi cette liberté éditoriale serait-elle menacée ?
Nous pointons particulièrement un amendement qui vise à plafonner la diffusion des chansons francophones les plus plébiscitées par les auditeurs. Autrement dit, nous devrions passer moins de tubes et davantage de chansons au succès peu assuré. Avec cette contrainte supplémentaire, il va devenir difficile d’assurer la compétitivité de nos stations radios, surtout dans le contexte actuel particulièrement délicat…
En quoi le contexte actuel serait-il délicat pour les radios à destination des jeunes ?
Nous subissons non seulement la concurrence des plateformes Internet, comme YouTube et Spotify, mais, en plus, avec la crise du disque, la production musicale francophone s’est effondrée de 60 % ! Pis, de plus en plus d’artistes français chantent en anglais. Il devient donc très difficile pour nous de trouver de bonnes chansons qui plaisent aux auditeurs et qui peuvent par ailleurs remplir les quotas requis.
Fauve, La Femme, Feu ! Chatterton… Ce sont tout de même de bons groupes francophones, non ?
Certes, mais ce sont des groupes pop rock, et notre public réclame davantage de musique up-tempo : de la techno, de l’electro, du hip-hop… Voyez David Guetta, ses chansons sont en anglais.
Actuellement, sur Virgin Radio, vous passez 5 à 7 fois le même tube par jour. Vous ne pensez pas qu’au contraire un peu de diversité vous ferait du bien, à vous et surtout à vos auditeurs ?
Non, il faut savoir que les gens écoutent quotidiennement la radio pendant 80 minutes en moyenne. Ils n’entendront donc qu’une seule fois ces hits qui sont répétés au fil de la journée. C’est une manière d’accrocher les auditeurs à coup sûr, et nous avons besoin de cela, également pour vendre des nouveautés. Vous vous rendez compte que si les gens n’écoutaient plus la radio, ils se tourneraient uniquement vers les plates-formes de musique en ligne, sur lesquelles il n’y a aucun regard pour privilégier les productions nationales ?