L'argent doit-il rester tabou?
Si vous optez pour les formulaires imprimés, il vous reste moins de deux semaines pour déclarer vos revenus de l'année 2015. Chez nous, salaires et avoirs restent généralement frappés du sceau du secret. En Norvège, par contre, revenus et impôts sont rendus publics depuis 150 ans. Ripostes.
Publié le 17-06-2016 à 18h17 - Mis à jour le 14-02-2017 à 12h01
Si vous optez pour les formulaires imprimés, il vous reste moins de deux semaines pour déclarer vos revenus de l'année 2015. Chez nous, salaires et avoirs restent généralement frappés du sceau du secret. En Norvège, par contre, revenus et impôts sont rendus publics depuis 150 ans.
Non
Lone Haugen Semmingsen
Conseillère économique et financière de la Mission norvégienne auprès de l'Union européenne.

" Publiant des informations sur les contribuables norvégiens, dont leur actif net, leur revenu net et le montant d’impôts payé, les autorités fiscales assurent la transparence et la confiance dans le système."
Est-il vrai qu’on peut prendre connaissance des revenus de tout le monde en Norvège ?
En fait, la loi nationale prévoit des règles strictes en matière de confidentialité pour éviter que quiconque ait accès à toutes les données divulguées aux autorités concernant les affaires et la richesse des particuliers. Toutefois, il existe une exception en matière d’imposition. Chaque automne, les autorités fiscales élaborent une liste contenant des informations sur chacun des contribuables norvégiens, dont leur actif net, leur revenu net et le montant d’impôts qu’ils ont payé l’année précédente. Il s’agit donc seulement d’une partie des déclarations complètes sur les revenus, et il est impossible d’en déduire le salaire de son voisin ou de son collègue.
Est-ce que n’importe qui peut accéder à ces informations ?
En accord avec la législation actuelle, cette liste n’apparaît que sur le site Web des autorités fiscales. Toute personne qui veut y avoir accès doit y être autorisée après identification électronique. Par ailleurs, depuis 2013, le Parlement norvégien a décidé d’enregistrer ceux qui effectuent des recherches concernant les contribuables qui sont des particuliers, leur permettant ensuite de savoir qui a pris des renseignements à leur sujet. La limite d’âge est fixée à 16 ans pour avoir accès à la liste des impôts et des revenus. Celle-ci est chaque fois publiée pour une période d’un an, après quoi elle est remplacée la suivante.
La presse peut-elle aussi recourir à ces informations ?
Oui, et en plus de la publication mentionnée ci-dessus, les organes de presse peuvent aussi avoir accès à la liste fiscale de la Direction du service des impôts. Les journalistes ont cependant dû signer un accord, avec effet à partir de 2011, qui réglemente l’utilisation de telles informations. Ainsi, la presse s’engage à ne pas publier en ligne la liste des impôts et des revenus ni à la communiquer à des tiers. Cependant, la presse peut, dans une certaine mesure, faire référence à des particuliers dans des articles de journaux et désigner des groupes spécifiques de personnes, en faisant, par exemple, le classement des dix personnes les plus riches de la ville.
Quels sont les avantages d’un tel système ?
Nous pensons que ce système assure la transparence et contribue ainsi à la légitimité et la confiance dans le système fiscal norvégien. Nous estimons aussi que ce système, démontrant un traitement égal et équitable dans la façon dont les gens et les entreprises sont imposés, joue un rôle dans la conformité fiscale, contribuant au débat public, qui à son tour joue un rôle dans les réformes fiscales. Voilà qui conduit à introduire des lois qui font qu’il est plus difficile d’éviter complètement de payer des impôts. Enfin, le secret sur le résultat des évaluations des autorités fiscales pourrait créer un motif de spéculation sur base des évaluations annuelles de l’impôt et du travail des autorités fiscales en général.
Cette politique de transparence est-elle récente ?
Au contraire. Il faut savoir que depuis de nombreuses années, l’accès gratuit à l’information est un droit fondamental en Norvège, en ce compris, depuis 1863, l’information sur le revenu des particuliers, la richesse et les impôts.
Comment ces informations étaient-elles disponibles avant Internet ?
Avant l’ère digitale, les listes sur les impôts et les revenus étaient affichées dans les bureaux des autorités locales.
Pensez-vous qu’un système tel que celui-là pourrait être adopté par d’autres pays, notamment la Belgique ?
Il ne m’appartient pas de répondre à cette question. En Norvège, la publication des impôts et des revenus est une partie intégrante de notre système fiscal, et elle l’est depuis très longtemps.
Oui
Janine Mossuz-Lavau
Directrice de recherche CNRS émérite au Cevipof, sociologue et auteur de "L'Argent et nous"

" Nos ancêtres paysans cachaient l’argent sous leur matelas. Il nous en reste quelque chose. Comme du poids de la religion catholique où la richesse est mal vue. Montrer qu’on a de l’argent attire les problèmes… "
Vous avez fait de notre lien à l’argent le centre d’une grande enquête. Que vous a appris celle-ci ?
J’ai effectivement réalisé une enquête par entretiens sur le rapport que les Français entretiennent avec l’argent, au cours de laquelle il m’est apparu que la parole sur l’argent est toujours taboue aujourd’hui. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela.
D’abord, le fait qu’à quelques générations près, nous venons tous du monde paysan. Or, dans ce monde-là, on ne met pas l’argent à la banque mais on le garde, en liquide, à la maison. On le conserve très précieusement en cas de coup dur, pour tenir le coup lors d’une année désastreuse. Et surtout, on n’en parle pas : cela pourrait attirer les cambrioleurs. Bien longtemps plus tard, il nous reste toujours quelque chose de cette mentalité. Nous avons tous un peu hérité de cela.
Ensuite, il y a le poids de la religion catholique : une religion tournée vers les pauvres avec, quand même, des phrases célèbres telles que : "Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu." La richesse et les riches ne sont pas du tout bien vus. Certes, c’est un peu atténué aujourd’hui, mais il en reste quelque chose.
Enfin, la partie la plus à gauche de la population a retenu du marxisme, sans avoir jamais lu Marx, un slogan sommaire selon lequel le profit ce n’est pas bien. Tout cela entretient une relation gênée à l’argent. On n’en parle pas facilement. Telle n’est pas notre mentalité.
A la fois, n’a-t-on pas le droit d’avoir chacun ses petits secrets ?
Celui qui pèse sur ce qui touche à l’argent est vraiment lourd. A titre de comparaison, j’avais également réalisé une grande enquête sur la sexualité des Français. Quand j’ai commencé à travailler sur l’argent, j’ai imaginé, par facilité, d’aller retrouver quelques-unes des personnes qui m’avaient raconté leur vie sexuelle. Et là, j’ai été bien surprise. Certains qui avaient été extrêmement prolixes et m’avaient raconté leurs ébats jusque dans les détails, étaient beaucoup plus gênés de parler d’argent, voire même refusaient. La différence d’attitude était complètement frappante !
Cette retenue est-elle typique de nos pays ? Vous êtes-vous intéressée à ce qui se passe ailleurs dans le monde ?
Aux Etats-Unis, on répond sans problème à la question : "Combien tu gagnes ?" On dit même : "Combien tu vaux ?" Ce qui distingue la société américaine de la nôtre, c’est que là-bas, il faut payer pour tout. Pour se soigner, pour s’instruire, etc. L’argent est présent et voyant tout le temps. En France, on a ce qui reste d’un Etat providence qui prend encore en charge une série de choses. L’obsession de l’argent est donc beaucoup moins présente.
Selon vous, ce silence est-il une bonne ou une mauvaise chose ?
Généralement, j’aime bien quand la parole est libérée. Cela étant, nous ne sommes pas prêts pour la transparence à ce propos. Sans compter qu’afficher certaines ressources peut parfois vous apporter des ennuis. Quand mon livre est sorti, un journaliste qui m’interrogeait m’avait demandé combien je gagne. Je lui avais répondu. Lui, il a publié ma réponse. Eh bien, à dater de ce jour-là, même si je vous assure que je ne gagne pas des mille et des cents, j’ai vu apparaître autour de moi un tas de gens qui voulaient me rencontrer pour me proposer des choses. Une autre anecdote : un jeune homme qui travaille dans l’entreprise de son père (une fabrique et plusieurs magasins de vêtements de luxe à Paris) m’a expliqué combien il était peiné par la méchanceté des gens vis-à-vis de son frère cadet. Outre son boulot, lui aussi dans l’entreprise paternelle, le seul plaisir de celui-ci est sa voiture : une grosse Ferrari. Eh bien sa belle voiture est rayée au moins une fois par mois par des gens jaloux qui ne supportent pas un jeune qui réussit. La richesse n’est pas populaire, non.
A savoir pour la déclaration fiscale 2016
Avec 43 nouveaux codes , la déclaration fiscale 2016 compte désormais un total impressionnant de 810 codes. "Il faut toutefois nuancer : plus de 47 % des contribuables, hors proposition de déclaration simplifiée, ne remplissent que 10 codes ou moins. Et près de 83 % d’entre eux ne dépassent pas les 20 codes remplis" , pointe l’administrateur général de la Fiscalité Philippe Jacquij.
Il n’empêche que cet exercice annuel peut poser certaines difficultés. "Surtout en ce qui concerne l’habitation , rapporte une experte fiscaliste. Depuis le 1er juillet 2014 en effet, une grande partie de la fiscalité afférente au crédit logement a été régionalisée. Si vous êtes wallon et que vous avez une résidence secondaire en Flandre, cela peut devenir compliqué; et il s’agit de ne pas se tromper de cases à remplir."
Comme chaque année, la date butoir de remise des déclarations imprimées a été fixée au 30 juin 2016 . Pour les déclarations via Tax-on Web, vous avez jusqu’au 13 juillet . Enfin si vous recourez à un mandataire utilisant ce canal, comptez un délai supplémentaire courant jusqu’au 27 octobre .