Evaluation externe, un nivellement par le bas?
Prenons l'exemple du CE1D en français passé jeudi par les deuxièmes secondaires. Dans la foulée, de très nombreuses critiques ont enflammé les réseaux sociaux. Les enseignants ne sont pas tous du même avis. Témoignages.
Publié le 21-06-2016 à 16h07 - Mis à jour le 21-06-2016 à 18h05
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Prenons l'exemple du CE1D en français passé jeudi par les deuxièmes secondaires. Dans la foulée, de très nombreuses critiques ont enflammé les réseaux sociaux. Les enseignants ne sont pas tous du même avis.
OUI - Aurore Bocart, prof de français en 2e secondaire dans un grand établissement urbain populaire
Fin mai, dans ma classe, en fonction du travail journalier et des examens de décembre, j’avais quinze élèves en échec. Pourtant, mis à part un seul élève, tout le monde se retrouvera en 3e année. Et aucun n’a obtenu moins de 80 % en compréhension à l’audition. Qu’on arrête de prendre nos élèves pour les abrutis qu’ils ne sont pas. Car si plus personne ne rate, alors, plus personne ne réussit non plus !
A votre avis, le CE1D de français de jeudi constitue-t-il un nivellement par le bas ?
Oui. Cela fait plusieurs années que les élèves, pour réussir leur 2e année secondaire et accéder à la 3e, peuvent se contenter de ne réussir que cette seule épreuve au détriment de tout leur travail journalier, examens de décembre compris. Petit à petit, des jeunes ont compris (en observant l’expérience de leurs aînés probablement) qu’ils pouvaient se permettre de dormir en classe, de n’étudier aucune de leurs interrogations, de ne lire aucun livre imposé, de venir en classe sans cours, ni feuilles, ni Bic parfois, et de remettre feuille blanche sur feuille blanche. Et c’est ainsi que petit à petit, cette énorme mascarade s’est mise en place. Aujourd’hui, je souhaite pousser un gros coup de gueule. J’aimerais qu’on cesse de niveler par le bas, qu’on arrête de prendre nos élèves pour les abrutis qu’ils ne sont pas. Parce que si plus personne ne rate, alors, plus personne ne réussit non plus ! Comme la plupart de mes collègues, je ne parviens plus à donner le moindre sens à mon métier.
Si les évaluations avaient été différentes, vos élèves auraient donc été en échec ?
Fin mai, dans ma classe de 2e année secondaire, en fonction du travail journalier et des contrôles de décembre, j’avais quinze élèves en échec. Pourtant, mis à part un seul élève, tout le monde se retrouvera en 3e année. Et aucun n’a obtenu moins de 80 % en compréhension à l’audition. Quinze élèves en échec : sûrement de la faute du professeur, me répondront certains ? Possible, mais dans la plupart des cas, les élèves en situation d’échec avaient cessé le combat, il y a plusieurs mois, ayant compris que la réussite du fameux CE1D validerait leur passage. Qui reprocherait à quelqu’un d’accéder d’un point A à un point B en choisissant la seule voie sans obstacle ? Pas moi. Je n’en veux pas à mes élèves. J’en veux au système d’être ce qu’il est devenu. J’ai l’impression d’avoir travaillé pour rien. Comme si j’avais passé deux ans à recopier l’intégralité d’un annuaire téléphonique et qu’on venait de jeter l’ensemble à la poubelle.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les critiques émanent de gens qui ne comprennent pas à quoi sert vraiment l’épreuve ?
Que tout au long de cette année, j’ai tenté de motiver des troupes amorphes en essayant de faire comprendre que tout ce qu’on voyait en classe était important, qu’ils auraient besoin de comprendre les fonctions, les phrases complexes, de maîtriser l’orthographe, la conjugaison ou encore les règles d’accord des participes passés. Et force est de constater qu’à aucun moment, ne leur a été posée la moindre question là-dessus et qu’ils le savaient. L’examen de cette année bat tous les records. Il a été réussi, avec brio, par un élève de primaire. C’est du vécu ! De plus, il véhicule à certains moments des valeurs relativement douteuses. Ainsi, l’interview proposée en compréhension à l’audition dénigre l’orthographe. Quel message veut-on faire passer à nos enfants ? Qu’avoir une bonne orthographe ne sert à rien ? C’est cela et nous l’avons vite réalisé : dans sa tâche d’écriture, un élève peut se permettre jusqu’à 29 mots erronés (sur 150) pour grappiller encore un point. C’est pathétique !
NON - Cindy Ghislain, prof de français en 2e secondaire dans l'enseignement général
Arrêtons de toujours tout dénigrer ! Le CE1D était un peu plus facile que les autres années, c’est tout. Ce n’est pas pour ça que l’enseignement est moins bon ! Et moi, je tiens à dire que je suis fière du résultat de mes élèves au CE1D de français. Certains ont travaillé durement tout au long de l’année et ce travail a porté ses fruits.
Face au flot de critiques sur l’épreuve du CE1D en français, vous avez tenu à réagir sur les réseaux sociaux. Pourquoi ?
Prof depuis 15 ans, j’enseigne depuis 2011 en 2e secondaire. J’avais donc déjà eu l’occasion de faire passer le CE1D en français. Je n’avais cependant jamais entendu autant de critiques à l’encontre de cette épreuve externe. C’était digne d’un psychodrame, certains professeurs allant jusqu’à dire qu’ils avaient pleuré en voyant le niveau des questions… Certes, je reconnais que l’examen apparaissait un peu plus facile que les années précédentes, et plus court également, mais il ne faut pas exagérer ! Cela ne méritait pas un tel déferlement de réactions outrées…
C’est que certains professeurs y ont vu du mépris pour leur travail. Une opinion que vous ne partagez pas ?
Non, je ne suis pas d’accord. D’une part, le travail des professeurs a été directement utile aux élèves. Si, contrairement à certaines années, il n’y avait pas de questions sur la grammaire, l’orthographe, la ponctuation et la syntaxe étaient bien évaluées dans la rédaction d’un avis argumenté sur un récit de fiction. De même que la segmentation en paragraphes et l’emploi des bons connecteurs. Donc, non, les règles ne sont pas jetées aux oubliettes ! D’autre part, le travail des professeurs n’est jamais perdu. Je rappelle à qui veut l’entendre qu’on ne travaille pas pour que nos élèves réussissent le CE1D, mais pour leur donner les moyens de comprendre un texte et de s’exprimer correctement à l’oral ainsi qu’à l’écrit.
Si vous reconnaissez que le CE1D était facile, n’aurait-on pas dû corser les questions, de peur de niveler vers le bas ?
Il y a quelques années, certains examens étaient beaucoup plus ardus qu’aujourd’hui, au point qu’ils présentaient des difficultés pratiquement insurmontables pour une frange d’élèves plus faibles pour telle ou telle raison. Les personnes qui rédigent les questionnaires ont peut-être voulu adapter l’épreuve au plus grand nombre. Il ne faut toutefois pas se méprendre, il arrive encore que certains élèves ratent.
Vous avez déjà corrigé le CE1D de français complété par vos élèves ? Certains ont donc raté ?
C’est en effet le cas d’un peu plus d’un quart de ma classe, malheureusement. Si l’on constate cependant que l’un ou l’autre de ces élèves a travaillé sérieusement pendant l’année et qu’il a obtenu de bons résultats dans les autres matières, il reste toujours la possibilité d’une seconde session, qu’on peut organiser en interne. Par ailleurs, il faut continuer d’être fiers de ceux qui réussissent : ce sont généralement des élèves qui ont travaillé dur et qui, parfois, ont fait des heures de remédiation, de longs mois durant, pour arriver enfin au succès. S’ils obtiennent une bonne note en français, ce ne sera qu’une juste récompense des efforts fournis.
A vous entendre, le mouvement de grogne qu’a suscité le CE1D cette année était complètement injustifié. Etait-il alors dû à de mauvaises raisons ?
Difficile à dire. Peut-être qu’une partie du corps professoral, dans certaines écoles élitistes, regrette que le CE1D ne représente plus l’opportunité de faire le ménage parmi les mauvais élèves. Enfin, beaucoup de personnes qui ont la critique facile n’ont même pas vu le CE1D ou n’y connaissent rien.