Référendum "pour ou contre l'Europe", un piège à éviter?
Jeudi, les Britanniques se prononcent sur leur adhésion à l'Union européenne. Mais sont-ils capables de répondre par "oui ou non" à une question aussi complexe que le Brexit? Le référendum est un piège pour les uns, une solution pour les autres. Ripostes.
Publié le 22-06-2016 à 18h29 - Mis à jour le 22-06-2016 à 18h30
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Jeudi, les Britanniques se prononcent sur leur adhésion à l'Union européenne. Mais sont-ils capables de répondre par "oui ou non" à une question aussi complexe que le Brexit? Le référendum est un piège pour les uns, une solution pour les autres.
Oui
Jérôme Jamin, politologue, chargé de cours à l'université de Liège.

" Ce référendum "pour ou contre" l’appartenance à l’Europe est malvenu, pervers et mensonger. La question du Brexit est trop large et complexe. Dans un pays où les référendums sont rares, le premier réflexe d’une partie de la population est de se venger de toutes les frustrations : depuis 20 ans, on m’impose des mesures sans me demander mon avis, donc je rejette tout en bloc. "
Faut-il se méfier du référendum, voix du peuple mais aussi de l’émotion ?
Non. Il n’y a pas un mais plusieurs types de référendum. Les gens doivent-ils cautionner une proposition initiée par des citoyens ou venue des gouvernants ? Les référendums sont-ils réguliers ? Si oui, les gens en ont l’habitude et se renseignent avant de voter. S’ils sont rares, le risque est grand que le référendum soit utilisé pour punir un homme politique, un parti ou une idée comme à l’époque où la question du Traité constitutionnel en France a été utilisée pour sanctionner l’Elysée.
Justement, que penser d’un référendum d’appartenance : oui ou non à l’Union européenne ?
Cela peut devenir pervers. Une population peut peser sur son destin soit grâce à un transfert de pouvoir que propose le système parlementaire classique, soit grâce à des outils de démocratie directe dont le référendum. Mais ce dernier processus doit s’inscrire dans une culture, être régulier et viser des pans du système comme la sécurité sociale, l’enseignement, l’environnement, etc. A partir du moment où un référendum remet en cause non pas des éléments mais tout le système via un "pour ou contre", cela me paraît malvenu. Sans doute beaucoup souhaiteraient rester avec une autre Europe, par exemple, avec davantage de pouvoirs aux députés européens ou moins de pouvoir économique et plus de pouvoir politique ou une Europe davantage militaire ou avec de meilleures frontières, etc. Ici on abuse du référendum, un outil qui a bonne réputation démocratique, en obligeant des individus à se positionner sur une question trop large et complexe.
L’histoire des référendums européens n’est-elle pas un peu bancale ?
Oui, on refait les votes jusqu’au moment où la population vote dans le sens voulu (voir encadré). A côté, on rétablit artificiellement le rêve d’une action directe sur son destin à l’échelle nationale. C’est un mensonge de faire croire qu’une telle démocratie existe toujours au niveau national alors que le Royaume-Uni comme les autres nations ont accepté depuis longtemps de transférer une partie de leurs pouvoirs (via leur Premier ministre, leurs ministres, leurs députés, etc.) au niveau européen. Proposer un référendum nie ce transfert partiel de souveraineté et signifie à la population qu’elle peut encore décider de son destin… à tort. Ces référendums sont tellement rares qu’alors le premier réflexe est de se venger de toutes les frustrations : depuis 20 ans, on m’impose des mesures sans me demander mon avis, donc je rejette tout en bloc.
Le référendum est-il un cadeau pour tous les démagogues, comme disait Theodor Heuss ?
Le discours principal des anti-Europe, y compris à l’extrême droite, est essentiellement un discours de défense de la démocratie avec un mot d’ordre : démocratie, référendum et pouvoir au peuple. Ces référendums d’appartenance sont donc des aubaines face à un prétendu "monstre bureaucratique et non-démocratique".
Non
Yvan Blot, ancien député du Pas de Calais, auteur du livre "La démocratie confisquée".

" Qui est le mieux placé pour définir l’avenir d’un Etat sinon le peuple lui-même ? De plus, je ne crois pas qu’il y ait de raisons de croire que le choix de la population, qui se base sur son expérience quotidienne, soit moins rationnel que celui des édiles politiques, qui réfèrent à de livres ou à des études. Sans compter que ceux-ci sont contraints par les décisions d’un parti auquel ils appartiennent. "
En quoi un référendum constitue-t-il une saine démarche politique ?
L’expérience montre qu’il y a un décalage assez important entre l’opinion majoritaire des élites et l’opinion majoritaire de la population. Or, en démocratie, c’est cette dernière qui devrait prévaloir. Et, pour cela, il n’existe pas d’autres moyens que d’appeler au référendum. La Suisse, qui y recourt couramment, est un bon exemple. D’autant plus que cela donne des résultats convaincants.
Mais n’est-il pas dangereux de poser à la population d’un Etat une question aussi complexe que l’appartenance ou non à un système politique, en l’occurrence la question du Brexit ?
Cette question est tout de même claire - "Voulez-vous faire partie ou ne pas faire partie de l’Union européenne ?" -, néanmoins, la réponse qui y sera apportée jeudi, quelle qu’elle soit, entraînera des conséquences multiples. A un tel point que les experts ne parviennent pas à se mettre d’accord : tandis que les uns prédisent les pires catastrophes en cas de Brexit, les autres pressentent que cela ne changera rien… En tous les cas, moi, je ne vois pas en quoi un Parlement constitué d’élus politiques traiterait mieux de cette question que la population. J’ai été député gaulliste du Pas de Calais pendant 15 ans, et si vous saviez les conditions dans lesquelles sont votées les lois, vous seriez probablement déçu. Les gens imaginent qu’un parlementaire pèse le pour et le contre de son vote des heures durant, n’omettant aucun aspect de la question, afin de prendre une décision rationnelle, mais, en pratique, ce n’est pas du tout comme cela que ça se passe : il y a beaucoup de votes à faire, on les enchaîne à toute vitesse, en se conformant généralement aux directives du parti politique auquel on appartient. Certes, vous avez quelques députés qui étudient particulièrement telle ou telle question, qui se spécialisent, mais les autres ne font que suivre…
N’y a-t-il pas de risque que la question du Brexit soit biaisée par des arguments populistes ?
On dit que les gens favorables au Brexit utilisent des arguments qui jouent sur la corde sensible, mais les autres aussi. En outre, je suis persuadé que l’usage de la démagogie impacte davantage les élections classiques que les référendums. Parce que lors des élections classiques, l’aspect affectif est le plus important : en général, vous votez pour un parti politique qui correspond à votre philosophie, à votre conception de la vie et à celle de votre famille. Il y a des liens d’attachement très forts. Lors d’un référendum, par contre, on vous pose une question précise - de préférence - et vous y répondez en fonction de votre expérience quotidienne. Sans vous en tenir à la directive d’un parti politique qui vous dirait qu’il faut voter dans un sens ou dans un autre. Ce qui fait d’ailleurs que les référendums donnent des résultats assez différents des élections.
Concernant le Brexit, le choix de quitter ou non l’Union européenne marquera cependant une sanction ou une reconnaissance vis-à-vis de la politique de Cameron, n’est-ce pas ?
Ce référendum est effectivement proposé par l’exécutif britannique, et dans ces cas-là, il y a toujours cette ambiguïté : vote-t-on pour ou contre la politique du gouvernement en place ou vote-t-on pour ou contre une décision ? C’est pour cette raison précisément qu’en tant que spécialiste de la démocratie directe, je trouve que le référendum d’initiative gouvernementale est moins pertinent que le référendum d’initiative populaire, qui est initié par la base, à l’image des Suisses qui peuvent lancer des pétitions en vue de déclencher une consultation de l’entièreté de la population. Il n’est dès lors pas question de se prononcer pour ou contre les signataires de la pétition. Ainsi le référendum en devient l’exercice politique le plus "pur" possible.
Pour paraphraser Churchill, vous diriez finalement que cette pratique du référendum est la pire forme de gouvernance, à l’exception de toutes les autres ?
J’aime bien cette idée : je pense qu’il faut garder une politique parlementaire, mais appeler fréquemment au référendum. Car c’est un garde-fou contre une gouvernance déconnectée de la réalité des gens.
Démocratie directe et ses pièges
En 2008, le non au traité de Lisbonne l’avait emporté nettement en Irlande avec 53 % des voix; en 2009, le oui s’était imposé massivement en Irlande avec 67 % des suffrages exprimés. Cela illustre les limites de la démocratie directe, expliquait le politologue français Alain Duhamel dans une tribune dans le journal "Libération". Les Irlandais ont rejeté le traité puis l’ont plébiscité pour des motifs extérieurs au texte. En 2009, ils ont voté "non" à la crise.
Selon Alain Duhamel, c’est l’éternel problème avec les référendums, on ne répond pas - ou rarement - à la question posée, mais dans les meilleurs des cas à l’idée que l’on se fait de la question et, dans les pires, à tout autre chose. […] Le vote direct par référendum est généralement plus affaire de sentiments et de passions, de préjugés et de sanctions que d’analyse réfléchie, informée et rationnelle, et ce d’autant plus qu’il porte sur des sujets plus techniques.