Mais, finalement, qui sortira gagnant du choix du Brexit?
Quasiment 52% des votes en faveur du Brexit. Adversaires de l'Europe et indépendantistes de tous poils se frottent les mains. Et si la lecture du résultat était différente. Ripostes.
Publié le 25-06-2016 à 16h52 - Mis à jour le 25-06-2016 à 17h07
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Quasiment 52% des votes en faveur du Brexit. Adversaires de l'Europe et indépendantistes de tous poils se frottent les mains. Et si la lecture du résultat était différente.
L'Europe
Pierre Defraigne,
Directeur général honoraire à la Commission européenne et directeur exécutif du Centre Madariaga / Collège d'Europe.
" Les gens sont traumatisés par le Brexit, ils sont affolés. Il faut donc leur dire tout de suite qu’on va en faire quelque chose ! Le Brexit est une sorte de vaccin qu’on inocule pour susciter la réaction saine de l’organisme."
Quel est, selon vous, l’impact du Brexit sur l’Union européenne ?
L’Europe va gagner en force ce qu’elle perd en poids. Si elle ne va pas bien aujourd’hui, c’est l’héritage de Thatcher. Et ce sont les Britanniques qui en sont largement responsables. La coupable, c’est la pensée néolibérale qui a mis les Etats en compétition, et c’est l’intergouvernementalisme qui a permis à chaque Etat de garder son droit de véto. Le cumul des deux a rendu l’Europe beaucoup plus vulnérable devant la mondialisation et devant la crise financière. Elle n’est donc pas en bon état. Mais l’épreuve qu’elle traverse aujourd’hui la force à rebondir. C’est ce qui peut lui permettre d’aller vers un mieux.
A quelles conditions ?
Je pense pour ma part que le problème britannique a toujours été un alibi. On a toujours dit qu’on était empêché d’agir. Pas si sûr. Cela étant, maintenant qu’on ne l’a plus, nous sommes devant nos responsabilités. Et, si on a cette volonté politique, nous avons les capacités pour renforcer l’eurozone en créant un budget à cet effet. Ce qui manque à l’eurozone aujourd’hui, c’est qu’elle n’a pas de budget. C’est aberrant. Il n’y a pas un économiste en Europe qui ne partage pas cet avis-là. Et, si elle ne s’appuie pas sur un budget fédéral, elle est condamnée. Seulement, pour parvenir à avoir ce budget, il faut mettre la défense en commun. Cela servirait de ciment beaucoup plus fortement que le marché unique. Quand on aura une défense qui permettra d’avoir une réelle politique étrangère, alors l’Europe en sortira renforcée.
Cette possibilité est-elle vraisemblable ?
Cela ne va pas jaillir, comme cela, facilement. Je crois que le Brexit révèle ce que j’appelle le grand schisme européen. Plusieurs fractures remontent à la surface. Celle qui oppose ceux qui veulent rester dans l’intergouvernementalisme à ceux qui sont prêts à accepter un certain degré de fédéralisme. Un autre clivage oppose conservateurs et progressistes. Ces deux lignes de fracture ne se recouvrent pas, ce sont des clivages croisés. Et on les retrouve au sein de tous les Etats. Voyez ce qui se passe en Espagne, en Allemagne,… Il y a un effondrement des partis traditionnels : nous avons donc besoin de recomposer le paysage politique européen.
Etes-vous optimiste ?
Bien sûr. Même si nous allons d’abord traverser une grande crise. Tout repose sur le tandem franco-allemand. C’est l’alliance de l’aveugle et du paralytique. L’Allemagne est aveugle. Elle regarde le monde géopolitique à travers ses lunettes de mercantiliste. Et la France, elle, est trop faible. Ce couple improbable avait trouvé dans la présence britannique un alibi : c’était la cause du blocage. Le voilà donc à la manœuvre.
Dans un premier temps, une série de pays seront tentés d’imiter le Brexit ou d’essayer d’obtenir des conditions plus aisées comme celles détaillées dans le compromis de février proposé à Cameron pour qu’il reste. En réponse à cela, les deux grands vont forcément se réveiller. L’Allemagne et la France sont confrontées à de prochaines élections. Le Brexit impose aux candidats de venir avec des solutions crédibles dès avant les élections. Merkel et Hollande ne peuvent pas se présenter devant leur électorat sans propositions solides pour l’Europe. Ce n’est pas leur courage ni leur vision qui va jouer, mais bien leur opportunisme électoral.
Les gens sont traumatisés par le Brexit, ils sont affolés. Il faut donc leur dire tout de suite qu’on va faire quelque chose ! Le Brexit est une sorte de vaccin qu’on inocule pour susciter la réaction saine de l’organisme.
Et qu’en est-il du Royaume-Uni ?
L’état du Royaume-Uni va être pathétique. Son destin géopolitique va être misérable. Il devient un tout petit pays marginal. Il est donc question d’un changement d’échelle dans le monde où un Etat moyen devient minuscule.
Le Royaume-Uni
Nicolas Dupont-Aignan,
Président du parti Debout la France, candidat aux élections présidentielles françaises en 2017.
" On ne peut condamner des peuples à subir des politiques auxquelles ils n’aspirent pas. Optant pour le Brexit, les Britanniques renouent avec leur liberté. Sans compter les retombées économiques favorables ."
Suite au choix du Brexit, vous avez déclaré à la radio que "cette date va compter autant que la chute du mur de Berlin". Pourquoi ?
Parce qu’un peuple a renoué avec sa liberté ! Par un sens inné de ce qui leur est favorable, les Britanniques ont repris leurs intérêts à leur compte. C’est une grande joie. Mieux : un exemple.
Vous êtes certain qu’une sortie de l’Union leur sera bénéfique ?
Evidemment. On est toujours plus efficace quand on est libre de défendre ses intérêts. Aujourd’hui, l’Union européenne est une machine à produire de l’échec : l’échec migratoire, l’échec économique, l’échec social…
Ne craignez-vous tout de même pas que les Britanniques connaissent des lendemains qui déchantent ?
Ce sont les marchés, les banques, qui crient au loup. Ce sont ceux qui pillent l’Europe qui sont inquiets.
Tandis que la population, elle, ne subirait aucune conséquence désagréable suite au choix du Brexit ?
Au contraire, les travailleurs détachés, c’est quoi ? Le dumping social, c’est quoi ? Ce sont des milliers d’emplois qui sont perdus. Et l’immigration, c’est quoi ? Toujours plus de souffrance pour les citoyens. Il faut voir la réalité en face.
Vous évoquez des problèmes très vastes tels l’immigration. Selon vous, les nations, seules, seraient mieux outillées pour y répondre que l’Europe ?
On voit très clairement que lier le destin de vingt-huit pays au sein de l’Union, cela ne marche pas; il vaudrait mieux que chacun soit libre d’aménager des coopérations à sa guise. Si l’on mettait, par exemple, une frontière moins perméable entre la France et l’Italie, peut être que ce dernier pays changerait d’attitude dans sa façon de gérer l’accueil des migrants… Il y a des moments où, finalement, il faut pouvoir compter sur la responsabilité politique d’un Etat.
A vous entendre, l’Europe serait responsable de tous les maux…
L’Union européenne, pas l’Europe. Attention à la confusion.
Ainsi, ce sont les institutions européennes que vous pointez du doigt ?
Le problème ne s’inscrit pas dans la relation entre les Britanniques et les autres peuples européens. C’est effectivement l’oligarchie de Bruxelles qu’il faut blâmer. Ce pouvoir central est illégitime car il n’est pas démocratique. Comment peut-on accepter des directives et des règlements qui s’imposent au peuple et sont négociés par des gens non élus ? Puis, ce pouvoir central n’est pas non plus nécessaire; l’Europe a davantage besoin de coordination. En ce sens, je propose un traité alternatif qui nous mènerait vers une Europe des nations et des projets : une organisation allégée, beaucoup plus souple, plus réactive, dont la géométrie serait variable.
Vous aspirez également à ce que la France quitte l’Union ?
C’est même inévitable. Alors que le Royaume-Uni consume son divorce avec l’Union européenne, le prochain président de l’Hexagone ira également dans ce sens.
Vous pensez à Marine Le Pen ?
Pas nécessairement. Il faut quelqu’un de modéré pour gérer la transition hors Union européenne. Les Français n’accepteront pas de quitter cette aventure, sinon de manière intelligente et sereine. C’est pourquoi, je suis moi-même candidat à la présidentielle 2017, représentant le parti Debout la France, une alternative au Front national et au Front de gauche.
Un courant eurosceptique traverse l’Europe. Pensez-vous que l’Union soit un château de cartes sur le point de s’effondrer ?
C’est indéniable. Mais, moi, je ne suis pas là pour détruire les choses, seulement pour les reconstruire.