Burkini : un débat stérile ?

Le maire des Pennes-Mirabeau a d’abord interdit une "journée burkini" dans un parc aquatique. Ensuite, plusieurs de ses confrères ont proscrit le vêtement de leurs plages. La France est raillée ici et là pour l’importance donnée à ce débat. La question fait-elle vraiment trop de vagues ? Ripostes.

Entretiens: Camille de Marcilly & Monique Baus
Tunisian women, one (2ndR) wearing a "burkini", a full-body swimsuit designed for Muslim women, walk in the water on August 16, 2016 at Ghar El Melh beach near Bizerte, north-east of the capital Tunis. / AFP PHOTO / FETHI BELAID
Tunisian women, one (2ndR) wearing a "burkini", a full-body swimsuit designed for Muslim women, walk in the water on August 16, 2016 at Ghar El Melh beach near Bizerte, north-east of the capital Tunis. / AFP PHOTO / FETHI BELAID ©AFP

Le maire des Pennes-Mirabeau a d’abord interdit une "journée burkini" dans un parc aquatique. Ensuite, plusieurs de ses confrères ont proscrit le vêtement de leurs plages. La France est raillée ici et là pour l’importance donnée à ce débat. La question fait-elle vraiment trop de vagues ?

OUI

Rubin Sfadj, avocat

" Le débat sur le burkini rase les pâquerettes et est excessif. Au lieu de s’enflammer sur un maillot de bain, on devrait discuter de sujets bien plus urgents au lendemain des attentats. "

Dans un texte publié sur Slate.com, vous vous interrogez sur la nécessité de faire de la question du burkini "une grande conversation nationale". Ce débat est-il vain ?

Depuis quelque temps, les sujets de débats publics sont non seulement de plus en plus triviaux mais en plus, les positions sont de plus en plus radicales. On finit par se traiter de nazis et de collabos à propos d’un maillot de bain. Quand on prend un peu de recul, c’est tout de même absurde. Qu’on en discute en plein mois d’août, pourquoi pas mais que cela prenne une telle ampleur et justifie l’intervention du Premier ministre dans la presse ou des arrêtés municipaux… Cette hystérisation du débat public ne peut rien apporter de bien.

Au final, que cache ce débat ? Qui a intérêt à ce que l’on parle du burkini ?

Politiquement, les seuls bénéficiaires seront les membres du Front national. L’exagération renforce l’idée d’un affrontement entre des cultures, des peuples, des identités, et dont la seule solution serait la force. Le Front national est le seul parti à apporter une réponse. Quand Manuel Valls s’exprime dans "La Provence" pour à la fois affirmer son soutien aux maires qui interdisent le burkini et parler de vivre ensemble pour ménager la chèvre et le chou, la réaction de l’extrême droite c’est : très bien mais il faut agir. Tout cela conduira à un score très élevé du Front national en 2017.

Que faire pour relever le niveau du débat ?

Il faut du recul et une prise de responsabilité. Les gens doivent avoir conscience, en particulier les élus, que même si on n’est pas responsable du vote des autres, on est en revanche responsable d’un climat politique dans un pays. Et on ne peut pas se défaire de cette responsabilité quand finalement il y a des conséquences.

Est-ce qu’il vaudrait mieux ne pas en parler du tout ?

Je ne dis pas qu’il ne faut pas débattre mais entre ne pas débattre et se traiter de collabos comme cela a été fait par des éditorialistes français ou des politiques, il y a un juste milieu à trouver. Faire référence à la Seconde Guerre mondiale, c’est absolument exagéré et excessif. Nadine Morano s’est fendu de déclarations en ce sens (elle a comparé les femmes voilées aux nazis, NdlR). Même si on ne peut pas attendre la perfection de chaque déclaration, le plus important c’est la prise de recul.

Pendant qu’on parle du burkini, on passe à côté de questions bien plus cruciales ?

Absolument, il n’y a que vingt-quatre heures dans une journée ! Chaque instant passé à s’insulter sur le burkini n’est pas utilisé pour parler de sujets plus importants. Avec la vague d’attentats, il y a certainement des thèmes plus urgents à traiter que la manière dont on doit s’habiller à la plage. Le premier sujet que pose une vague d’attentats, c’est un sujet de police, il me semble, qu’il s’agisse de police de terrain ou de renseignement. Ce débat n’a pas vraiment eu lieu en France.

Même si le débat s’exporte désormais, est-ce une forme de spécificité française de s’enflammer sur ce type de sujets ?

Il y a certainement un goût pour ce genre de foire d’empoigne en France. Plus profondément, il y a un déplacement du débat vers le symbolique. Il est très important de discuter des symboles mais quand ils deviennent l’unique sujet de débat, c’est une forme de renonciation ou de recul face à la réalité. Une discussion politique doit être ancrée dans le réel. Parler des symboles et d’identité en termes abstraits est plus facile et cela implique moins de rendre des comptes que de développer des politiques. Quand il s’agit de choses concrètes, on peut en étudier l’impact. Cela vaut pour le burkini, la déchéance de nationalité ou le port de la burka.

NON

Yves Thréard, directeur adjoint du "Figaro"

" Ce n’est bien sûr pas d’un vêtement qu’il est question ! Nous sommes face à un islam militant et provocateur. Pour faire reculer la haine, il faut arrêter de se voiler la face, montrer la réalité et agir. "

De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer "la folie médiatique" autour de la polémique sur le burkini "qui surfe sur les peurs des gens". Dans un éditorial intitulé "Stop !", vous avez récemment affirmé en "Une" du "Figaro" : "Coupable est notre renoncement à tous à ne pas voir la réalité." Vous ne considérez donc pas qu’on s’emballe un peu trop autour d’un morceau de tissu ?

Pas du tout car ce n’est évidemment pas d’un vêtement qu’il est question ! Les défenseurs virulents des Droits de l’homme sont complices de l’islamisation de la France. Car nous sommes bel et bien face à un islam extrêmement militant et provocateur. Les beaux esprits progressistes qui, d’un côté, prônent la tolérance et font la chasse aux réactionnaires et, de l’autre, ferment les yeux sur ce qui n’est autre qu’un asservissement de la femme, une ségrégation sexiste, une négation de la personne, sont condamnables.

N’avez-vous pas parfois l’impression de mettre de l’huile sur le feu, d’attiser la haine des gens les uns contre les autres ? N’est-ce pas exagéré de tirer ainsi la sonnette d’alarme ?

Cela n’a rien d’alarmiste. C’est une réalité. Allez voir dans les rues, les quartiers, sur les plages : c’est simple de s’en rendre compte et de très nombreux Français partagent cette idée. Pour faire reculer la haine, il faut justement dire et montrer la réalité, interdire le burkini sur les plages, interdire le voile intégral sur la voie publique et le voile à l’école, ainsi que toute tentative d’immixtion dans la vie publique française.

La presse internationale s’est un peu moquée de l’ampleur qu’a prise le débat en France. Certains éditorialistes disent qu’en s’attardant sur un tel détail, on passe à côté des vraies questions. Votre réaction ?

D’abord, il ne s’agit pas d’un détail. C’est un problème qui s’ajoute aux autres. Il y a évidemment le chômage, l’absence de croissance, etc. En fait, il y a trois thèmes principaux en France aujourd’hui : l’économie, la sécurité face aux attaques et l’identité de la France qui est en train de se dérober sous les yeux des Français. Et le débat d’aujourd’hui autour du burkini n’empêche évidemment pas de s’intéresser à ces autres questions.

Dans leur façon de traiter et de mettre en évidence ce sujet, certains médias pourraient-ils porter la responsabilité d’une récupération qui profiterait au FN ?

C’est au contraire à force de refuser de dire les choses que le Front national grandit. Parce que ce que veulent les Français, c’est qu’on leur parle de leur réalité. Le malheur, c’est que trop de politiciens se voilent la face, refusent de voir la réalité et sont à mille lieues des vraies préoccupations quotidiennes des gens.

Dans une interview publiée par votre journal il y a quelques jours, Jean-Louis Harouel (professeur agrégé de droit à Paris II et auteur, entre autres, de "Les Droits de l’homme contre le peuple" chez Desclée De Brouwer) affirme que "l’islam est par nature politique" et que "les femmes qui portent le burkini sont des militantes". Pas d’exceptions à cela ? Le rejoignez-vous ?

Je suis absolument d’accord. C’est cela, l’islam militant dont je vous parle. Il y a quarante ans, cela n’existait pas, n’est-ce pas ?

Quelle est l’influence du contexte actuel sur la manière de traiter de cette question ou, au contraire, de la mettre en sourdine ?

Il est évident que le contexte rend encore plus urgent le traitement d’un tel sujet.

Y a-t-il eu débat au sein de votre rédaction sur cette position ?

Non. C’est clairement la ligne du "Figaro" et tout le monde était à peu près d’accord.

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