A l'école, les parents sont devenus un problème
C'est la rentrée, et dans les relations profs/parents, des enseignants dénoncent l'attitude de certains parents. Démissionnaires, interventionnistes, râleurs, consuméristes... des parents collectionnent déjà les mauvais points! Ripostes.
Publié le 06-09-2016 à 13h06 - Mis à jour le 06-09-2016 à 13h47
C'est la rentrée, et des enseignants dénoncent l'attitude de certains parents. Démissionnaires, interventionnistes, râleurs, consuméristes... des parents collectionnent déjà les mauvais points!
Vrai
Madame Y
Directrice d'école depuis 12 ans, connue de la rédaction mais ayant demandé l'anonymat pour éviter des problèmes avec certains parents d'élèves.
" Comment gérer ces parents démissionnaires ou, à l’inverse, ceux qui multiplient les ingérences jusqu’au harcèlement ? Jamais, ils n’acceptent un dérapage de leur enfant-roi et rejettent la faute sur l’école ."
De plus en plus d’enseignants se plaignent de l’attitude de parents d’élèves, est-ce une réalité ?
Malheureusement. A ce niveau, il existe deux catégories de parents. D’abord les démissionnaires qui ne s’occupent pas de leur enfant, ne sachant même pas dans quelle classe il se trouve. Ils attendent tout de l’école, qu’elle éduque et fasse réussir leur enfant; à côté, ils se foutent de tout sauf des allocations. Ils interviennent parfois de manière menaçante quand ça ne va pas "normalement". On les retrouve davantage parents d’élève de l’enseignement professionnel. A l’autre extrême, certains parents omniprésents multiplient les ingérences, jusqu’à friser parfois le harcèlement à l’égard de professeurs. Ils interviennent, conseillent, reprochent autant en matière de pédagogie, d’évaluation ou d’organisation. L’échec ne peut pas être de la faute du fils ou de la fille puisque c’est l’enfant-roi. C’est donc de la faute de l’école et des enseignants. Ils sont persuadés d’en savoir autant que les professeurs parce qu’ils ont été à l’école et que le modèle qu’ils ont connu, enfant, est le bon. Ils en seraient la preuve…
Avez-vous des exemples de comportements fâcheux de parents ?
Avec d’aucuns, c’est l’enfer. Ils décortiquent tout et n’hésitent pas à nous "dénoncer" à l’administration ou auprès du cabinet de la ministre qui, on le regrette, prend davantage le parti des parents/électeurs. Les plateformes internet permettant la mise en ligne des cours et des échanges de questions-réponses sont un plus indéniable. Mais ce système devient une plaie quand certains parents en usent et abusent les week-ends et soirées. Exiger à 23 heures des précisions pour un examen qui a lieu le lendemain n’est pas acceptable. Les recours en cas d’échec - une belle invention - nous désespèrent. Les parents sont prêts à dire et à écrire n’importe quoi pour défendre leur fils ou leur fille et expliquer l’état "commotionné" dans lequel il ou elle était lors de l’examen. Ici, c’est la grand-tante du cousin qui est décédée dans ses bras; là, c’est la grand-mère qui l’a élevé qui est morte pour le 3e fois. Invraisemblable. L’année dernière, un élève a clôturé son examen de mathématique avec 16 %. Notre décision d’échec est contestée. Le recours avançait que le professeur avait harcelé l’élève qui n’arrivait pas à se concentrer durant son examen. J’avais ensuite imposé un assesseur durant la deuxième partie orale. L’élève a affirmé qu’il n’y en a jamais eu. Incompréhensible. Tant que dans ce système, les parents n’auront rien à perdre à introduire recours sur recours, ils ne se lasseront pas d’essayer tout et n’importe quoi, au cas où.
A quoi attribuez-vous cette évolution comportementale ?
Dans mon école, 65 % des élèves vivent dans des familles décomposées et/ou recomposées. Je ne porte aucun jugement mais je crois que quand une cellule familiale explose, chacun des deux parents essaye de préserver une belle image par rapport au fils ou la fille, ne lui refuse pas grand-chose et accepte, accepte, accepte… Il n’y a plus de limite. Tout est accordé. Un enfant insulte un professeur, le parent lui trouvera des circonstances atténuantes. Et si je sanctionne avec une retenue ou un jour de renvoi, les parents ne comprennent pas, nient ou minimisent. Vous imaginez les répercussions auprès de l’enfant ? Autre cause, certains parents travaillant tous les deux externalisent l’aide et l’accompagnement aux enfants, notamment via des cours particuliers. Si échec il y a, ce ne sera pas de leur faute puisqu’ils considèrent avoir tout fait, tout donné - surtout tout payé - pour la réussite de leur enfant. C’est donc la faute à l’école et aux profs, diront-ils en dégageant leur responsabilité. C’est dur à vivre, croyez-moi. Certains élèves sont totalement isolés et n’ont d’autres repères que l’éducateur qui, dans des cas (et pas dans des familles précarisées), va jusqu’à réveiller l’élève le matin. Ces parents sont consommateurs d’école : "Nous payons - via nos impôts notamment -, à l’école d’éduquer et d’assurer la réussite." Et cette mentalité se généralise.
Faux
Bernard Hubien
Secrétaire général de l'Ufapec (Union francophone des associations de parents de l'enseignement catholique).
" Les parents doivent s’impliquer dans la scolarité de leurs enfants. Des structures de participation existent. C’est l’outil idéal pour améliorer le dialogue école-famille. Mais peu d’écoles remplissent cette obligation. "
Quelle place les parents doivent-ils occuper à l’école selon vous ?
Les parents doivent s’impliquer dans la scolarité de leurs enfants. Leur difficulté est, parfois, de trouver la place adéquate dans le partenariat école-famille. Mais, dans tous les cas, les parents doivent pouvoir poser des questions sur ce qui est fait et, ce qui est parfois plus compliqué, recevoir des réponses. Idéalement, ils peuvent passer par leurs représentants au conseil de participation ou par l’association de parents lorsque celle-ci existe dans l’école fréquentée par leurs enfants.
Pourquoi "idéalement" ?
Parce que l’objectif est qu’il y ait une association de parents par école (décret d’avril 2009), mais qu’on n’y est pas du tout. Quant au conseil de participation, le décret de 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire prévoit qu’il y en ait un dans tous les établissements scolaires, avec des représentants de toutes les parties concernées par l’école en nombre égal, parents compris. Le problème, c’est que moins d’une école sur deux respecte aujourd’hui cette obligation !
Pourquoi ?
Parce qu’il arrive qu’elle considère cela comme des ennuis supplémentaires. Certaines directions ont bien compris que, quand elle fonctionne bien, la participation des parents est vraiment un outil formidable. Mais d’autres font tout pour la freiner. Dommage car l’amélioration du dialogue école-famille passe par là.
Ce dialogue est donc compliqué. A qui la faute ?
Le parent a le devoir de suivre et d’accompagner le parcours scolaire de ses enfants. Mais parfois, des parents se permettent de faire des commentaires pédagogiques. Et les enseignants refusent de les entendre, invoquant la liberté pédagogique. En fait, tout est question de dosage. Par exemple, il est inadmissible que des parents ne puissent pas obtenir d’explications lorsque 18 élèves sur 23 sont en échec en math. Nous ne sommes pas d’accord non plus lorsqu’un enseignant conseille aux parents d’un élève en difficulté de prendre des cours particuliers. Cette externalisation de la remédiation n’est pas acceptable. En revanche, il n’est évidemment pas question que les parents puissent intervenir à tout bout de champ. L’association de parents n’est ni un syndicat, ni une inspection pédagogique, ni le surveillant des agissements de l’école, ni un auxiliaire de sécurité. C’est un partenaire dans l’accompagnement du parcours qui vise la réussite scolaire des enfants.
Vous semble-t-il que le parent, avec son avis, ses questions, est toujours le bienvenu à l’école ?
L’école a plutôt tendance à éjecter les parents, c’est vrai. Or, pour se comprendre, familles et école doivent se fréquenter, ce qui est de moins en moins le cas. Dès lors, le dialogue est parfois compliqué. Pour ne rien arranger, on constate aussi que certains enseignants ont parfois tendance à oublier les difficultés du parent, même s’ils le sont eux-mêmes. Un parent qui ne connaît pas les codes de l’école et de l’organisation scolaire aura donc tendance à ne pas se manifester. D’autant que, face à l’école, les parents se sentent parfois infantilisés et/ou perdus face à un vocabulaire qui leur échappe. Les parents sont dépassés par tous les acronymes qui traversent les structures de l’enseignement. Même ceux qui ont fait des études. Exemple : les documents concernant l’inscription en secondaire sont particulièrement compliqués. Autre facteur de complication du lien école-famille : l’adéquation entre le temps scolaire et le temps de la famille est de moins en moins facile. Qui peut encore aller chercher son enfant à midi et manger avec lui à la maison ? Pourtant, le temps de midi reste considéré comme du temps "hors école". Enfin, l’école prend rarement en compte la situation des familles d’aujourd’hui, dans leur grande diversité de situations. Voilà autant de facteurs qui peuvent participer d’une mauvaise compréhension entre ces deux univers.
E-mails de parents adressés aux enseignants
" Que comptez-vous faire pour mon fils qui est dyslexique, dysphasique et a des troubles de la concentration, hein ? Qu’est-ce que vous allez faire pour lui ? Vous avez des documents spéciaux, des choses à mettre en place, hein ? Qu’est-ce que vous avez pour mon fils ? Vous lui mettez des 5, des 8 mais votre rôle c’est bien de l’aider, non ?"
" Vous avez oublié un demi-point sur la dernière interro de mon fils et après vous osez me dire que vous ne notez pas à la gueule ?"
" Vous avez enlevé les félicitations à mon fils sous prétexte qu’il perturbait les cours alors qu’il a 15 de moyenne, vous vous rendez compte qu’il en a chialé toute la nuit ? Mais c’est ça être enseignant ? Je vais vous dénoncer aux autorités, je vais porter plainte auprès de la direction, vous allez voir ! Vous détestez les enfants, on voit que vous faites ça pour vous venger d’un truc personnel !"
" Mais excusez-moi mais qu’est-ce que ça veut dire "euclidien" ? Quel est l’intérêt, franchement, d’apprendre ce terme aux enfants ? De mon temps, on n’apprenait pas ça et on vivait aussi bien !"
Réponse d’une prof qui en a marre
" Tout comme on préconise de démocratiser le débat politique, on "démocratise" le débat sur les programmes, sur les contenus pédagogiques, les méthodes. N’importe quel père de famille se croit capable d’enseigner une fraction… c’est si facile vous croyez ?
" On ne naît pas lâche quand on devient enseignant, on le devient. A force d’être emmerdés ("Ouh, qu’il parle mal le professeur, tu vois, cela ne m’étonne pas") à force d’être emmerdés, dis-je, par des papas et des mamans "surprotecteurs", dont l’enfant est roi, à force de se faire contrer nos punitions, nos notes, d’être menacés, d’être dénoncés au rectorat ou ailleurs, petit à petit, on baisse les bras.
" Vous, parents-râleurs , parents-jugeurs, parents-contreurs, parents-dénonciateurs, vous faites de nous des branleurs, des planqués, des lâches… et petit à petit, ce ne sont plus vos enfants, mes élèves, qui vont m’importer, mais vous lécher les bottes, vous satisfaire, vous jeter de la poudre aux yeux."
Extrait d’une tribune écrite par Lulu C., professeure dans le secondaire en France et publiée dans Rue 89 .